Payot - Marque Page - Philibert Humm - Rades
Ils disent que les aventuriers se vantent. Nous ne nous vantons pas. Nous enchantons le monde en l'honorant de notre visite et portons à la connaissance d'autrui le merveilleux des confins par le récit époustouflant de nos folles tribulations
A mon sens, l'aventurier doit garder ceci à l'esprit : les gens qui le lisent mènent le plus souvent une existence morne et routinière en comparaison de la sienne. Ils se lèvent à heures fixes, écoutent les prévisions de Laurent Cabrol, se rendent au travail, essuient les remontrances d'un chef de service, déjeunent à la cantine et couchent tous les soirs dans le même lit, quel ennui.
J'ai appris la géographie sur la porte d'un frigidaire. Ce n'est pas très glorieux. Dans chaque boîte de Cordons Bleus il y avait un département à collectionner. Et sur cet aimant, plutôt qu'un drapeau, la spécialité du cru. (...) J'ai collectionné ce pays-là avant même de l'aimer. Je l'ai aimé parce qu'il était bigarré, chatoyant, criard ; parce qu'il nécessitait de manger des cordons bleus et parce qu'on n'en avait jamais fini de le compléter ; aujourd'hui encore me manque l'Indre, qui est le département le plus rare et vaut douze Finistère dans les bourses d'échange.
On trouvait autrefois des panneaux "A vos risques et périls" devant les ravins ou au commencement des sentiers dangereux. C'était l'époque où l'on croyait l'homme intelligent et responsable. De nos jours, l'homme est présumé con comme une truffe et procédurier. Non content de prendre des risques il poursuit celui qui l'a laissé les encourir.
Ces rencontres fortuites et enrichissantes constituent le sel de l'aventure. Si vous avez de la chance, l'autochtone vous régalera du récit de légendes locales. Personnellement c'est ce que je préfère. Vous pourrez en contrepartie lui apprendre quelque chose qu'il ne sait pas, comme le fonctionnement des institutions de notre république. Rien ne sert de faire trop long. Un rapide exposé des caractères généraux du bicamérisme français et de son incidence sur l'affermissement de l'exécutif par le fractionnement du pouvoir législatif suffira amplement . C'est l'intention qui compte.
L’éditeur ne saurait être tenu responsable des mauvaises idées que ce livre ne manquera pas d’instiller dans le cerveau vicié des nouvelles générations gavées d’écran et pourries à la moelle. Cette aventure a été réalisée par des professionnels. N’essayez pas de la reproduire chez vous.
On se gargarisait d’avoir vu du pays mais n’étaient-ce pas les paysages en définitive qui avaient défilé devant notre barque immobile ? Les choses vont et viennent, de même que celui qui s’assied toute une vie au bord de la rivière en voit davantage que celui qui la suit. « Si quelqu’un t’a offensé, dit Lao Tseu à ce propos, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre. »
Le lendemain, à la première heure, celle de l'après-midi, nous allâmes au roi Merlin. Que les petits malins qui composent l'essentiel de mon lectorat se tranquillisent : j'écris "roi Merlin" à dessein. C'est une idée confusément admise dans ma famille qu'il existe un roi des bricoleurs dominicaux. Nous n'y croyons pas comme au bon Dieu mais presque. C'est un bon roi que ce Merlin, dit mon grand-père avec le respect dû aux souverains. Répartis sur l'ensemble du territoire, le plus souvent en périphérie des villes, la magasins du roi Merlin sont remarquablement lumineux et hauts de plafond. Je les aime. On peut se garer devant. Il y a a toujours de la place.
Je m’efforce de décrire cet épisode avec détachement, sans lyrisme excessif, mais son évocation me glace encore le sang. Voir d’un coup d’un seul mes hommes basculer dans les eaux noires est un souvenir franchement pénible. Nos affaires s’éparpillèrent en surface, d’autres coulèrent à pic. L’une de mes sandalettes fut immédiatement aspirée par le fond. Je sauvai l’autre de justesse — mais à quoi sert une sandalette orpheline? —, cela sans parler du canoë dont nous découvrîmes qu’il ne flottait pas malgré la présence à la poupe et la proue de coussins dits flotteurs. Je tirai péniblement Bateau à la berge pendant que les deux autres sauvaient ce qu’ils pouvaient de notre chargement. En cas de naufrage, il convient d’agir vite. Chaque seconde compte. Mais surtout il faut pratiquer des choix. On ne peut espérer tout repêcher. Par exemple, mon réchaud à pétrole Eva-Sport (figure 3) fut sacrifié par le major au profit de son sac à dos personnel, lequel contenait un sachet de petits-beurre aux deux-tiers entamé. Adrian quant à lui fut héroïque, et je pèse mes mots. Je le revois plonger, remonter à la surface, prendre à peine sa respiration et replonger encore. Grâce à ses efforts répétés les bidons et la tente purent s’en tirer. La carte aussi, et les contes de Maupassant, dont je faisais la lecture au moment du naufrage... p. 115
Il faut toujours un peu d'eau dans le fond des embarcations : cela en assoit la stabilité et rafraîchit les pieds. Quand cela rafraîchit les mollets, il est temps d'agir.
- Adrian, dis-je, passe-moi l'écope.
Adrian ne put répondre favorablement à ma requête.
- J'ai oublié l'écope, dit-il simplement.
A cet instant précis, je sus que notre croisière ne serait pas un long fleuve tranquille. Qu'on y verserait des larmes, de la sueur sans doute, et du sang peut-être.