Citations de Philippe Brunel (56)
Tué par une overdose de cocaïne et de déprime et par ce sentiment de honte et d'indignité dont il ne s'était jamais délivré.. Dans le flot des commentaires plus ou moins sommaires que ce drame engendra, il n'y eut pas grand monde pour le défendre. Ceux qui s'étaient montrés si prompts à louer sa grandeur quand il représentait une vraie force économique ne jugèrent pas utile d'assister à ses obsèques... Cette mort ne les concernait plus. Elle brassait trop d'interdits, de choses inavouables.
Une chaleur torride, africaine, pesait sur Rome.
Elle calcinait les pelouses, chauffait le bitume à blanc et vidait les rues. À certaines heures, l'ombre semblait immobile.
"J'en arrive à me demander si nous n'écrivons pas tous un seul et même livre. Si nos histoires, dans leurs dissemblances, ne déclinent rien d'autre que le non-sens de l'existence, ses chimères et faux-semblants."
"On perd toujours son temps à vouloir comprendre les autres."
Avec d’autres collègues, on pourchassait les célébrités dans la rue, on les photographiait à la volée, à leur insu souvent, on s’ingéniait à les énerver, on les poussait à bout, le résultat n’en était que meilleur.
Hormis les cigarettes qu’elle consumait l’une après l’autre, elle n’avait aucun besoin et passait la plupart de ses journées à lire, à aider ses prochains, dans l’oubli de ce monde du spectacle « artificiel et frivole » qui renvoyait, disait-elle, une image « dégradée » de la femme. D’ailleurs, elle avait jeté sa télévision, craignant de tomber à l’improviste sur une rediffusion de l’un de ces films, cette part légendaire, déshabillée d’elle-même, qu’elle rejetait.
Dans la vie de Laura A. il y avait eu ce chaos, cette arrestation violente, arbitraire, à son domicile, dans la nuit du 26 au 27 avril 1991. Une nuit froide et lugubre en parfaite résonance avec les faits qui s’y produisirent. Elle avait quarante-neuf ans.
J’avais eu plusieurs vies, superposées, calquées l’une sur l’autre, qui me laissaient une sensation d’envasement. J’avais aimé Anna, pendant dix ans elle avait accaparé toutes mes pensées, maintenant qu’elle n’était plus là, son souvenir s’évaporait, sans plus d’imprégnation que l’empreinte d’un pas dans le sable.
Au centre de l’histoire, il y a une femme, elle souffre d’amnésie, la nuit, elle s’en va marcher seule dans Rome, se rend à des soirées privées à la recherche d’une autre femme qui pourrait très bien être son double… celle qu’elle était autrefois et qui se serait perdue en route.
« Laura prisonnière à domicile » Tout était résumé là, sous la forme d’une procédure chorale, tous ces raccourcis journalistiques déroulaient dans leur sécheresse la chronologie d’une lente déchéance sociale.
Vous savez, l’Italie ce n’est pas toutes ces cartes postales idylliques qu’on vend aux touristes du monde entier, ce n’est pas ce que les gens croient, c’est aussi le juge Falcone, Aldo Moro, le général dalla Chiesa… et sous les soleils palermitains l’ombre régnante de la mafia.
D’après lui, ce n’était ni le sexe ni l’argent qui gouvernaient le monde mais la laideur, tous ces gens laids qui font payer aux autres leur rancœur, leur amertume, leur incapacité à s’inscrire dans des rapports harmonieux de séduction, en réaction ils s’acharnent à détruire tout ce qui est beau, envoûtant, attrayant, tout ce qui les renvoie à leur propre disgrâce. « Regardez combien de gens moches, très moches chez les juges, chez les tyrans, les dictateurs, avait-il ajouté, pour moi, ce n’est pas sans rapport. »
Il m’apprit l’existence de deux ou trois cahiers dans lesquels l’actrice aurait consigné ses mémoires. Greenberg souhaitait les récupérer. Il ignorait si c’était pour enrichir le scénario, pour les adapter à l’écran ou s’il s’agissait d’une requête personnelle. Seule certitude, autrefois, Greenberg en pinçait pour l’actrice. « En tout cas, il compte sur vous pour mettre la main dessus. »
C’était un de ces êtres nonchalants au teint hâlé qui donnent l’impression d’être toujours en vacances ou d’en revenir. Il avait débuté dans le milieu du cinéma par de la figuration quand la Rome artistique, chic et tapageuse se retrouvait le soir au Piper, une discothèque en vogue de la Roma bene. Le Piper.
Regardez-les, ils sont là du matin au soir à scruter la mer, ses moindres remous. Ils font tellement partie du paysage que personne ne les remarque et rien ne leur échappe, ça n’empêche pas les noyades…
Les gens n’entrent jamais par hasard dans nos vies, ils viennent combler un vide, une attente. Il y avait une intelligence dans tout ca. Un jour ou l’autre, et peu importe les voies qu’il emprunte, le passé se rappelle à vous, il faut savoir l’accueillir comme l’heureux présage d’un changement.
Je me revois gauche, silencieux, intimidé par sa beauté, craignant de les déranger. Ils sont assis côte à côte, face à moi, elle a retiré ses gants et posé sa main sur le genou de Thierry qui lui parle du pensionnat. « Ne t’inquiète pas, lui murmurait-elle à l’oreille, tout finit par passer. » Ils devaient se revoir, le temps d’un week-end, avec l’acteur français dans une villa des bords de Marne.
Nous n’étions alors que deux adolescents mal définis, jetés sans boussole dans la société des hommes. On s’éveillait aux choses. On aimait les mêmes choses. Surtout le cinéma.
Elle avait vu son intimité piétinée, profanée, jetée en pâture à l’opinion. Depuis, elle traversait une sorte d’éclipse et refusait tout contact avec le monde extérieur. Elle demandait, comme Garbo avant elle, qu’on la laisse « être seule ».
Ils seraient allés à l’essentiel au plus près de son opacité, dans le nu de son intimité, là où je butais sur des impasses dans mon entêtement à vouloir saisir ce qu’au-delà de sa réclusion, dans son austère abandon et sa foi retrouvée, elle cherchait à nous dire. Je n’étais pas le mieux armé pour mener ce lent travail de reconstitution. Mais c’est là, dans ces zones grises, que j’avais le plus de chances de la rencontrer.