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3.87/5 (sur 23 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , 1950
Biographie :

Philippe Henry est auteur. Il vit sa retraite en Pays de Loire après avoir exercé son activité professionnelle à Paris dans le secteur bancaire.
Il écrit des livres très variés : romans psychologiques, très empathiques avec les personnages, des romans policiers, et des livres humoristiques assez déjantés.

LE LEGS est édité chez Bod ISBN 9782322242566
LA MONTRE A COMPLICATIONS, chez BoD, ISBN 9782322235278
CE N'ETAIT QUAND MÊME PAS LA FAUTE DES POISSONS ROUGES, chez BoD, ISBN 9782322216895

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Bibliographie de Philippe Henry   (21)Voir plus

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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Il faut aussi dire, à la décharge de l’administration municipale, que le problème de la surpopulation parisienne avait pris également une ampleur sans précédent du fait de l’accroissement exponentiel du nombre des personnes âgées. Par le passé, nous avions été habitués à un rythme de rotation des appartements assez satisfaisant, permettant à de jeunes couples de venir succéder à ceux qui avaient fini par nous quitter. Les statisticiens, tout en regrettant bien sûr ce renouvellement mécanique nuisible à ceux qui s’en allaient, admettaient que ce mouvement naturel contribuait au logement dans la capitale de près de 25% des ménages en âge de travailler. Mais les progrès de la science aidant, notamment génétique, beaucoup de nos parents avaient franchi glorieusement le cap du troisième. Puis du quatrième, pour atteindre à présent le seuil du cinquième âge. Ils, bloquaient ainsi tout espoir d’évolution rapide de l’habitat à Paris et mettaient à mal, dans le même élan, les comptes des régimes sociaux. Bien entendu, la population s’était réjouie de ces évolutions. Nous étions tous extrêmement attachés à nos vieux. Ne s’était-on pas acharné d’ailleurs, dès les années 2000, à leur apporter quantité de soins dans l’espoir de voir leur vie se poursuivre bien au-delà de leurs espérances initiales. Le maire prononçait régulièrement d’importants discours sur ce thème. Il saluait comme il convenait cet électorat fidèle et « le remarquable acharnement de nos chers anciens à demeurer près de nous, dans notre cœur et aussi sous nos yeux. Leur acharnement à pouvoir jouir paisiblement de leur retraite, des pensions complémentaires, des contrats de capitalisation, des usufruits, à profiter des nombreuses exonérations dont les politiques les avaient honorés au fil du temps, à se faire soigner gratuitement dans les services de l’Assistance Publique, à pouvoir voyager sans frais sur le réseau parisien, à assister aux spectacles avec des réductions qui progressaient au rythme de leur âge et atteignaient pour les sujets les plus brillants jusqu’à 90%.... » Pour dire vrai, le maire était intarissable sur le sujet. Toutefois, au fil des discours, l’expression ‘nos chers anciens’ connaissait une évolution grammaticale, l’inversion, qui faisait très clairement apparaître la charge économique considérable de ce secteur de la population sur les comptes de la nation et de la municipalité. C’est ainsi que tout doucement, grâce aux efforts pédagogiques du maire, l’ensemble de la population avait fini par prendre conscience de l’importance de ce problème et de la nécessité d’y apporter une solution, plutôt rapidement si possible. C’est bien là la grandeur de nos élus que de savoir nous montrer le chemin, faire apparaître les écueils, et nous résoudre doucement à des choix parfois douloureux.

En même temps, il se trouvait que l’évolution d’un certain nombre de dossiers rendait plus aisée l’adoption de mesures appropriées. Ainsi en allait-il, on l’a vu, de l’élargissement de l’agglomération parisienne à des zones jusqu’alors consacrées aux cultures maraîchères et vivrières. Le transfert là-bas des hôpitaux parisiens avait pour un temps stabilisé les choses mais on s’aperçut vite à la mairie de l’absurdité de la situation qui consistait à avoir trop de vieux dans Paris et personne en grande banlieue, là où se trouvaient justement la majorité des hôpitaux que nos chers anciens fréquentaient assidument en y passant le plus clair de leur journées. Ainsi l’administration municipale adopta-t-elle une réglementation facilitant le transfert progressif des habitants concernés. Dans l’ensemble, la population était prête à ce sacrifice qui, elle le voyait bien, présentait des avantages importants pour nos chers anciens. Ils ne seraient plus ainsi obligés de perdre leur temps dans les transports pour rejoindre les centres de traitement nécessaires à leur bon maintien. On vit certes quelques scènes désolantes et pour être franc douloureuses, de personnes très âgées se refusant à quitter les lieux où elles avaient si longtemps vécu. Elles s’obstinaient à ne pas vouloir abandonner leurs meubles, leurs bibelots, ou seulement la trace aujourd’hui invisible que laissait dans ces lieux le souvenir des êtres chers qu’ils y avaient perdus. Quelques-uns même se cachèrent dans les recoins de leur appartement dans l’espoir d’échapper aux employés municipaux, ce qui laissa malgré tout, du fait de certaines réminiscences, un goût amer sur l’ensemble du processus. Ces comportements, délictueux le fait est, furent dans l’ensemble traités avec douceur mais fermeté par les autorités. En général, les familles avaient préféré s’abstenir de tout interventionnisme lors de ces transferts, informées par la mairie que leur présence sur les lieux risquait de rendre encore plus pénible la réalisation des opérations. Cela rappelait un peu les conseils de la maîtresse suggérant aux parents de s’éloigner très vite après avoir, pour la première fois, déposé leur enfant à la maternelle. Ce rapprochement entre nos chérubins et nos chers anciens avait quelque chose de vraiment touchant. « Comme nous comprenons bien, avait dit le maire, le sentiment des familles amenées pour le bien de leurs chers anciens à accepter de déléguer aux autorités municipales la mise en œuvre d’un déplacement qu’elles approuvent mais à la réalisation duquel elles n’étaient pas préparées. Je salue ici le courage et la grande hauteur de vue dont elles ont su faire la preuve dans ces circonstances douloureuses. Pour en venir à l’affectation des logements libérés…» La suite a moins d’importance.
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Ce chapitre se situe au début du livre, après une brève description de la clinique et de ses méthodes et après que Paul, l’artiste peintre personnage principal, a été victime d’une crise
Chapitre 2
Finalement, les cinq infirmiers quittèrent la chambre à la suite l’un de l’autre, le dernier se retournant pour jeter un dernier regard vers Paul. Ils l’avaient laissé seul, attaché sur son lit. Le silence et la lassitude avaient fini par lui apporter l’apaisement. Il regardait fixement le plafond de la chambre sur lequel la fenêtre projetait des ombres plus ou moins marquées au gré du passage des nuages devant le soleil. C’était un spectacle animé dont il appréciait la variété et qui avait un moment absorbé son esprit. Puis ses pensées s’étaient mises à vagabonder. Il était là, ligoté, et le temps s’écoulait sans qu’il pût rien y faire. Tout cela se disait-il était à l’image de sa vie. Il avait dû regarder, impuissant, quantité de choses se détruire, des proches se faire dévorer par la maladie, le monde s’écrouler autour de lui, les gens s’entretuer dans des guerres. Tous ses efforts avaient été vains et ses prières impuissantes. La plupart des siens étaient partis à présent. Il ne lui restait plus qu’une sœur qu’il ne voulait même plus voir. Elle lui rappelait trop un passé douloureux. Elle venait encore de lui rendre visite. Cela n’avait pas duré très longtemps. Ils n’avaient rien se dire. Ou ils auraient eu trop à se dire et aucun des deux ne voulait revenir sur le passé. Et à quoi bon parler du présent ? Lui dans sa clinique de repos, presqu’enfermé. Elle, seule dans un petit bourg à trois heures d’ici où il ne se passait probablement rien. Elle devait venir le voir par devoir sans doute, comme on va fleurir les tombes à la toussaint. Il se dit qu’il était son défunt. Qu’avait-elle besoin de maintenir le lien à tous prix ! Plutôt le laisser seul. La solitude ne lui était plus pénible depuis longtemps. Il s’y était habitué depuis qu’il avait quitté sa famille, quelques mois après la mort de son père. La maison familiale avait été vendue. Il aurait pu s’installer avec cette sœur, la seule qui lui restât, mais il ne le souhaitait pas vraiment. Passer sa vie à ses côtés et repenser à chaque fois qu’il la verrait tout ce qu’ils avaient dû vivre… Et puis elle allait sans doute bientôt se marier avec l’homme qu’elle fréquentait depuis quelques mois. Qu’aurait-il fait avec eux ? Il avait reçu grâce au petit héritage que lui avait laissé son père de quoi s’acheter une maison dans un village voisin. Il fallait qu’il soit dans l’isolement pour peindre ses toiles. Les gens ne peuvent pas comprendre, mais peindre est bien autre chose que de déposer de la couleur sur une toile blanche. C’est avant tout l’expression d’une force intérieure, d’une poussée qui demande à s’exprimer. C’est pour celui qui peint un acte autrement plus important que de peindre au sens matériel du terme. Nous, nous ne voyons que le tableau une fois achevé. Il n’est que le fruit. Mieux, on pourrait presque dire, si on recherchait le paradoxe, la scorie. Le résidu ou pire, le déchet. Le prendre au pied de la lettre si l’on peut dire serait un contresens. L’important dans l’histoire n’est pas le résultat mais le mouvement qui l’a fait naître. Ce serait comme dire qu’un écrivain noircit des pages. Non. On oublierait ainsi l’acte de création lui-même. De même d’ailleurs que le lecteur ne se contente pas de lire. Il éprouve quelque chose, des sentiments, de l’horreur peu importe. Et ce qu’il éprouve alors est plus que la simple lecture de lettres et de mots. Il éprouve, comme un reflet inversé ajusté à sa propre personnalité, ce que l’auteur a éprouvé lors de la création. Pour Paul, aller de son côté lui convenait parfaitement et ne ferait sûrement pas de peine à sa sœur. C’est donc ce qu’il fit. Pour la première fois de sa vie il était indépendant. Il devait faire face aux contraintes de la vie courante. Ce n’était pas si compliqué et puis il se moquait de toutes ces contingences. La peinture seule le faisait tenir. L’avait fait tenir. A présent, il n’y avait plus rien que ces quatre murs et ce plafond qui clignotait sous l’effet des nuages glissant devant le soleil.

Il aurait été incapable de dire combien de temps s’était écoulé lorsque la porte s’ouvrit de nouveau pour laisser le passage à deux infirmiers. Paul les connaissait bien. Ils étaient attachés au service du professeur Schrimpf qui faisait appel à eux pour aller chercher ou ramener les malades qu’il voulait entendre. Leurs manières étaient sensiblement plus douces que celles des leurs collègues. Le professeur voulait que les patients se présentent devant lui dans un état à peu près serein. Jamais on ne devait lui amener un malade de force. En tous cas, celui-ci devait avoir l’impression de se rendre dans son bureau par sa propre volonté, même si en fait il n’en était rien. Cette sensation de calme était déterminante pour l’efficacité du traitement. On n’imposait pas un traitement. Le malade venait à la rencontre de ce qui pouvait le guérir.

- Vous allez mieux semble-t-il Paul. Je vous propose d’aller voir le professeur Schrimpf. Il vous attend dans son bureau. Allons-y maintenant si vous le voulez bien.

Sans laisser à Paul le temps de répondre, ils l’avaient libéré de ses sangles, mis sur pieds et fermement accompagné vers la porte. Ils avaient tous trois parcouru rapidement les couloirs et s’étaient retrouvés en bas, devant la porte du bureau du professeur. Ils frappèrent et patientèrent en silence. Schrimpf se déplaça pour ouvrir. Il tenait absolument à ce geste d’accueil envers les malades. Il voulait leur apparaitre comme un médecin affectueux, attentif à leurs problèmes. Il avait eu au cours de sa carrière mille fois l’occasion de constater que ces petites attentions, l’accueil ou parfois une main posée sur l’épaule, un regard, tout cela mettait les patients en confiance. Ils se détendaient peu à peu, et il était alors possible de mener avec eux une conversation beaucoup plus fructueuse que s’ils avaient été crispés dans la crainte de l’entrevue qui les attendait. Les malades que Schrimpf avait en traitement étaient en général venus à la clinique de leur propre chef, ou en tous cas s’étaient finalement soumis à la suggestion de leur entourage. Leur état d’esprit, pour autant que la maladie n’évolue pas rapidement vers un stade aggravé, était positif. Ils acceptaient l’idée que ce séjour en clinique puisse leur être salutaire.

- Alors Paul, comment donc allez-vous ce matin ?

Sa voix était douce et son regard manifestement saturé d’empathie. Il ne voulait pas faire lui-même allusion à la crise survenue le matin. C’était au patient d’aborder ce sujet et de commencer ainsi à entrouvrir la porte de la parole.

- Pas très bien je le crains professeur. Ma sœur est venue me voir. Je sais, elle fait cela par gentillesse, mais ses visites ne me valent rien. Dès que je la vois, je me sens oppressé. Comme s’il allait arriver quelque chose. Des images se bousculent dans ma tête. Toutes sont noires, affreuses. Elles portent la souffrance. J’ai l’impression d’être pris dans un étau, cela se resserre. Et cet état-là, je le ressens même hors sa présence. Il fait presque partie de mon quotidien. Rester ici me tue. Je ne sais pas pourquoi j’ai accepté de venir. Je ne peux plus rien faire. On me transforme en légume.
- Allons allons Paul ! Personne ne vous transforme en légume. Vous savez pourquoi vous êtes là. Vous-même en avez accepté le principe.
- Le principe d’être traité pour pouvoir remonter la pente, oui. Mais pas celui de m’enfoncer toujours plus dans ce que vous appelez du joli nom de mélancolie et qui est tout simplement l’absence de tout goût pour la vie. Fallait-il entrer ici pour cela ? Regardez, je n’ai pas touché un pinceau depuis des mois. Je ne produis plus rien. Je suis devenu stérile. J’étais pourtant un jeune peintre déjà célèbre, presque riche. J’avais assez bagarré pour cela. Et puis non, le peintre de renom est en train de s’effacer tout doucement et va bientôt disparaitre. Voilà ce que je suis devenu. Un fantôme de peintre.
- Tout cela n’est surement que provisoire. Si vous êtes ici, c’est bien pour que nous nous efforcions de remédier à ce dont vous souffrez. Vous verrez, lorsque vous serez guéri, vous reprendrez la peinture. Quant à votre célébrité, elle ne va pas disparaitre comme cela. Et puis vous le savez bien, si vos tableaux se font rares, leur valeur va augmenter très vite. Vous verrez, la pause se révèlera salutaire…

La conversation allait permettre au professeur Schrimpf d’aborder un point qu’il n’avait pas jusqu’à présent osé évoquer. La suggestion en avait été faite lors d’une réunion avec les autres équipes de soignants et avait été jugée par tous comme de nature à aider Paul.

- …Mais puisque nous en parlons, justement Paul, nous avons eu une idée. Voilà de quoi il s’agit : ne voudriez-vous pas que nous vous installions une sorte d’atelier ? Nous avons à plusieurs endroits de la propriété des petits bâtiments, disons parfois même presque des cabanes. L’une d’entre elles pourrait peut-être faire l’affaire. Voulez-vous que nous essayons de regarder cela de plus près ? Je pense que cela pourrait vous aider.
- Un atelier professeur ! Mais que ferais-je d’un atelier si l’envie de peindre ne me revient pas ? Un atelier, j’en avais un chez moi. Il était parfait. Vous ne pourrez pas faire mieux. Mais le souci, vous le savez bien, n’est pas un problème de moyen ou d’outils. C’est là, c’est dans ma tête.

Ce disant, Paul se frappait rageusement les tempes avec les paumes de ses mains. Il les laissa retomber et inclina sa tête. La rage cédait sur son visage la place à une lassitude sans fond. Il ne parlait plus, épuisé par le spectacle qu’il voyait en lui. Le silence se prolongea quelques temps. Schrimpf se garda d’intervenir trop vite. Puis après un certain temps de silence :

- Vous savez Paul, les vieux proverbes ont du bon p
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(la journaliste qui enquête sur la diva a pu se procurer des correspondances d'elle, restées à son domicile sans être postées)

Correspondance 2

Depuis plusieurs mois, je me sens glisser. Tu sais, tu mets les mains sur le carreau, il pleut dehors, et lentement tu t’affaisses et tes mains glissent sur la vitre. Tu sens bien que tout s’échappe mais tu continues à laisser ton corps se replier. Tu le laisses aller. Je ne suis pas encore allongée à terre mais cela ne tardera pas. Je me dis que j’y serais peut-être mieux. Je ne comprends pas cette sensation. J’ai atteint je crois ce que je pouvais espérer de mieux. J’ai des césars. Bientôt peut-être un oscar. Les plus grands metteurs en scène veulent me faire tourner. On m’envoie des scénarii à la pelle. Mais ce tourbillon m’engloutit quand autrefois il aurait été mon rêve. Qu’est-ce qui fait que lorsqu’on a atteint le bonheur, ce n’est plus le bonheur ? Pire, je crois que je me débats dans un cauchemar. J’enchaîne les tournages. Quand je tourne, cela va. Tu sais c’est comme une famille un tournage. D’ailleurs, comme dans les réunions de famille justement, il y a des disputes, des problèmes d’ego. Mais quand même on est ensemble dans la même aventure. On ne voudrait pas qu’un membre de l’équipage tombe à l’eau. Alors on se soutient s’il y a un coup de mou. Et puis on se retrouve à la cantine, ou à l’hôtel. C’est presqu’une fête permanente. Après, la soirée est finie. On est dans sa chambre. On est seul. Mais on sait que cela recommence le lendemain. Et qu’il faudra être en forme. On est fatigué aussi. Alors même seule, cela va. On ne pense pas. Et puis au matin le tourbillon nous happe de nouveau. On travaille, on s’amuse, on rigole. Enfin un jour, le tournage est fini. On était ensemble depuis deux mois, parfois plus, et puis du jour au lendemain, il n’y a plus rien. Pour moi ce vide est immense. Surtout sa soudaineté. Sa brutalité pourrait-on dire. Pourtant on savait bien que le tournage allait se terminer. A un ou deux jours près, on connaissait la date. Et puis on le sentait venir dans l’équipe. Les regards… je ne sais pas. Mais je ne m’habitue pas à cette rupture totale. Chacun retourne vite dans son trou comme si on ne s’était jamais connus. Pourtant, on a beaucoup parlé aux uns et aux autres, dans les moments calmes entre les prises. Souvent on s’est ouvert. On ne passe pas son temps à se faire des confidences mais malgré tout on parle en confiance. On se connait pas mal à la fin du tournage. Mais non, on part chacun de son côté en courant. Tout ce qu’on a vécu ensemble depuis quelques semaines n’a finalement jamais existé. C’était du vent. Le groupe se décompose. Tout à coup, on est pressé. On a été loin de chez soi depuis longtemps et il faut se mettre à jour. « Salut, on se revoit pour la promo hein ? ». La bise aux techniciens, à quelques seconds rôles. Puis ce vide. On est chez soi, devant une pile de courrier que l’on n’a pas envie d’ouvrir. On se couche. On n’en peut plus. On laisse le téléphone sonner. On se dit que c’est normal. Après deux mois de tournage, on a quand même le droit de se reposer. Mais on ne se repose pas. On se cache.

Cela me fait du bien de te parler. En dehors des tournages, je vois peu de monde. Au début, je veux dire quand j’ai commencé d’être connue, ce n’était pas comme cela. Je sortais et les gens se retournaient sur mon passage. On me parlait. On m’abordait. Toujours gentiment d’ailleurs. Je n’avais pas encore atteint la vraie célébrité. Simplement, on reconnaissait mon visage. Les gens m’identifiaient à mes rôles. Le hasard a voulu que j’aie souvent joué des rôles de femmes attirant la sympathie ou l’émotion. Même encore maintenant d’ailleurs. J’aimerais bien pourtant être enfin une peste, une teigneuse. Je ne le suis pas dans la vie, franchement. Un rôle comme cela, ce serait bien. Je suis actrice. Au fond, mon métier c’est d’endosser des rôles, pas d’être naturelle. Mais bon, cela s’est fait autrement jusqu’à présent. Je suis une fille gentille et je le reste. Du coup les gens m’appellent du nom de la dernière héroïne que j’ai incarnée. C’est elle qu’ils aiment je crois. C’est curieux quand même. Ils ne me voient pas moi. Ils voient mon personnage. Ils n’ont pas l’air d’imaginer que je pourrais ressentir des sentiments, avoir une vie distincte. C’est amusant au début. Après, on se pose quand même des questions. Ma vie à moi, elle n’est pas sur écran. Elle est bien réelle. Est-ce que j’existe pour quelqu’un ?

Un jour, un copain m’a expliqué. Il parait qu’à présent je suis inaccessible. Pas par ma faute. Je ne suis pas devenue hautaine, ou même simplement fière. Non, ce sont les gens qui s’imaginent que je n’ai pas besoin d’eux. Que je suis au-dessus de l’amour qu’ils pourraient me porter. On ne veut pas me déranger. Je suis sans doute déjà entourée par tant de monde… Tant de monde ! S’ils savaient. A partir du moment où j’ai vraiment atteint la célébrité, je peux compter sur les doigts d’une seule main le nombre d’aventures que j’ai eues. Trois ou quatre en cinq ou six ans. Ce n’est pas beaucoup. Et puis autant de chagrins. Cela ne dure jamais. Les aventures comme le chagrin. Après, la solitude revient, et la panique à l’idée que c’était peut-être la dernière fois. Et puis il y eu Jean, tu sais bien. Il a été une belle parenthèse dans ma vie. Il en fait encore partie en fait. Finalement, d’une manière ou d’une autre, il aura duré beaucoup plus que les autres hommes que j’ai pu connaitre. Pas tant que cela d’ailleurs ! Il a su s’y prendre, m’apporter le réconfort dont j’avais besoin. Il m’a traité comme une femme. Il a vu mes faiblesses. Du coup, je n’ai pas ressenti le besoin de cacher certaines choses que j’éprouvais. Les autres, si je leur étais apparue ainsi, ils n’auraient pas compris ou m’auraient trahie. Pas lui. Depuis que je l’ai quitté, je me demande pourquoi j’ai pris cette décision. Qu’avais-je besoin de m’éloigner ? Rentrer dans ma coquille ? Couronner l’échec de ma vie par cet ultime aveu d’impuissance au bonheur ? A présent je regrette ma décision. Mais de toutes manières, à quoi bon. Cela n’aurait pas duré. Un an ensemble, c’est déjà très beau dans la profession. Je ne devrais pas me plaindre.

Aujourd’hui je reste avec ce vide. Je n’ai plus envie de le combler. C’est pour cela que je t’écris. En moi il y a à la fois ce vide insupportable et ce laisser-aller qui me fait accepter ce néant sans me battre. Etre seule en l’ayant décidé et en même temps en souffrir…Comment suis-je faite ?
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Il n’en était pas toujours allé ainsi. Il y a bien longtemps, Brigitte était un membre de la famille comme un autre. La déférence, la sorte de soumission dont elle allait bénéficier par la suite s’exerçait à l’époque au profit d’un autre. Son père qui lui avait transmis son pouvoir quelques heures avant de s’éteindre. Le pouvoir qu’il détenait, il ne le tenait pas seulement de sa propre désignation, plusieurs dizaines d’années plus tôt. Son pouvoir, il le tenait de la connaissance qu’il avait du « secret ». Tout cela remontait à plusieurs siècles. En tous cas à plusieurs générations. Dit-on, parce qu’en fait personne ne connaissait vraiment l’origine de tout cela. Cette famille avait eu à protéger quelque chose. Un crime, un trésor, une honte, personne ne le savait, sauf le «tenant» du secret, selon un terme consacré au sein de la famille. C’était forcément grave, important. Depuis cette époque, le secret passait de génération en génération. Il conférait à son détenteur, « au tenant », outre des avantages patrimoniaux, une suprématie respectueuse sur la famille. Au-delà même. Dans le bourg, tout cela était bien connu. La famille avait un secret, un de ses membres savait quelque chose de très important, transmis depuis une origine lointaine. On savait le tenant du secret, et l’aura dont il jouissait dans la famille brillait aussi à l’extérieur. Cette déférence presqu’infime, on la ressentait en toutes occasions.
Son père avait choisi Brigitte en pleine liberté. Pas de règle pour désigner qui au sein de la famille aurait à reprendre cette charge, cet honneur. Pas de justification à donner à ceux que l’on n’avait pas choisis. Cette désignation devait toutefois se faire le plus tard possible, lorsque le tenant sentait que ses forces allaient bientôt l’abandonner. Choisir trop, c’eût été courir le risque que, la mort tardant à venir, on se retrouve avec en quelque sorte deux tenants, même si le second ne connaissait pas encore le « secret ». Il aurait déjà eu le prestige d’avoir été choisi. De devoir être bientôt celui à qui serait dû le respect. Pire, les forces du premier tenant l’abandonnant progressivement, le successeur trop tôt désigné aurait sournoisement pris avant l’heure la place du tenant en titre. Il l’aurait dépouillé prématurément de son autorité. Peut être sans le vouloir, simplement parce que les autres membres de la famille auraient, par calcul, trop anticipé les choses. Se soumettre a aussi de bons côtés.
La désignation du tenant suivait un rituel établi. Le tenant actuel demandait à la famille de se réunir auprès de lui pour entendre son choix. On pénétrait silencieusement dans la pièce, en se jetant des regards par en-dessous. A cet instant, personne n’aurait pu dire qui serait choisi. Il était de l’intérêt du tenant de ne rien laisser paraître de sa préférence, pour en quelque sorte bénéficier le plus longtemps possible de l’affection attentionnée de tous les prétendants. Puis tous s’immobilisaient et attendaient en silence le verdict. Le nom prononcé, on se retirait sans un mot. Certains sans doute en rage contre le choix qui venait d’être déclaré, se demandant en quoi ils avaient démérité. Mais personne n’aurait osé manifester ce qu’il ressentait vraiment. Le moment était consacré à féliciter le futur tenant et à lui manifester allégeance. Mais à cet instant, seul le mourant restait le réel tenant. Car il avait conservé pour lui son secret. Celui dont la détention donne le réel pouvoir. Et il essayera de conserver le secret le plus longtemps possible.

L’autre usage intangible était en effet qu’une fois la désignation faite, le partage du « secret » devait être retardé le plus possible. Au dernier souffle presque. Dans la famille, on appelait cet instant le « chuchotement du mort ». Ce moment était solennel. Le membre de la famille désigné pénétrait dans la chambre du tenant devant les regards des autres membres, presqu’alignés, faisant une sorte de haie respectueuse. La porte se refermait. Personne n’aurait osé parler, détourner l’attention de la densité de cet instant. Ce qui se passait-là était la richesse de la famille. Son joug, puisqu’on se soumettrait alors à l’autorité morale du nouveau tenant, mais aussi sa puissance. Avoir une tradition de cette force ! C’était d’ailleurs un miracle que depuis l’origine, le secret ait pu se transmettre de cette façon, aux derniers instants, sans se perdre jamais. Sans que la mort s’empare trop vite du tenant, avant qu’il ait pu chuchoter le secret dont il était le dépositaire.
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Claire
Lyon, été 1961.

Je me le rappelle. C’était il y a 4 ans. Nous partions en week-end dans la vallée de la Loire. En voiture. Les portières ont claqué, les unes après les autres. A la quatrième, je me suis dit : on vient d’enfermer le bonheur. On l’a mis en sécurité dans la voiture, on est tous serrés autour. Je ne sais pas du tout d’où m’est venue cette idée, mais elle a tout à coup pris beaucoup d’importance. Comme si je venais de comprendre une chose essentielle. Soudainement, elle éclairait ma vie, notre vie, d’une lumière nouvelle et douce. Nous étions une famille heureuse. Nous étions si bien, tous ensemble. Mais cette idée portait en elle le reflet d’un péril. Comment penser au bonheur sans craindre son anéantissement ?
De cette époque date pour moi la conviction qu’hors la voiture ce jour-là, et bientôt hors le cocon familial, il existait probablement une menace qui, en se développant, viendrait saper tout cela. Enfant, comme tout le monde, je construisais face à la marée montante des châteaux de sable. J’avais beau surélever constamment leurs murailles, j’avais beau m’acharner à les protéger par de multiples contreforts, la mer finissait toujours par les encercler, par attaquer les constructions à la base, par les creuser, les extruder et obtenir enfin l’écroulement de tout un pan du système défensif. Bientôt les murailles cédaient et je voyais avec rage la mer s’engouffrer dans la première brèche et remplir le centre de l’ouvrage pour poursuivre, là aussi, son travail ravageur. ....
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— Oui vous avez raison. Je crois que j’étais « normal ». Je veux dire avec un comportement normal. Et même, au sortir de la maison, juste là, juste après…tout ça…, normal aussi dans ma tête. Je crois que je marchais dans la rue sans penser à grand-chose. Presque soulagé.
— Soulagé ? Mais de quoi diable ?
— Soulagé que cet enchaînement se soit arrêté. De redevenir maître de mes actes. Une sorte de parenthèse s’était refermée. La vie, ma vie pouvait reprendre.
— Ce que vous dites là me semble plutôt un message que vous destinez au tribunal. Au fond, vous dites que vous n’y êtes pour rien, que ce n’était pas vous. N’imaginez quand même pas une excuse ! Vous réalisez que ce que vous avez fait parait à tous tellement atroce, tellement insensé que personne au fond n’a envie de repenser à tout cela.
— Moi non plus !
— Oui, mais cela, ce n’est pas possible. S’il y en qu’un qui n’aura pas d’autre choix que toute sa vie revoir cette scène, ce qu’il a fait endurer à ses victimes, c’est vous.
— Vous savez, je ne veux pas vous embêter, mais je ne revois pas grand-chose.
— Je ne suis pas sûr que votre humour soit à propos ! De toutes manières, rassurez-vous, cela va vous revenir. Le repentir n’est pas un sentiment du présent. Il faut d’abord que le temps emporte la chape que vous avez posée sur tout cela. Aujourd’hui, c’est à peine si vous avez conscience de l’horreur.
— Dois-je en avoir honte ?
— Vous voulez dire honte de ce que vous avez fait ?
— Non, honte de ne pas avoir réellement conscience de l’atrocité de mes actes. Ou bien seulement lorsque des gens me posent la question avec tant de force que je réponds surtout à leur attente.
— Finalement, en vous écoutant, je me dis que vous avez de la chance que la justice soit si lente dans notre pays. Si vous deviez vous présenter au tribunal comme vous êtes là, devant moi, votre cas serait vite expédié.
— De toute manière, tous me disent qu’il le sera. Ils ne chercheront même pas à comprendre.
— Que voulez-vous qu’ils comprennent ? Ils ne chercheront qu’une chose, vous effacer. Vous sortir d’un monde où vous les côtoyer. Faire en sorte que ne soyez plus classé.
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— Bon, Ecoutez, cela ne va pas. Toute votre défense pour l’instant se résume à : il y a trop de preuves accablantes. C’est forcément un coup monté. J’admets que ce que vous dites concernant la manière dont le vrai coupable aurait pu procéder pour vous confondre tient la route. Ce serait crédible pour vous disculper si on avait le moindre soupçon sur quelqu’un d’autre. Si on avait un mobile.
— Mais ne parlez pas de mobile ! Je n’en ai pas non plus de mobile moi !
— Si. Cette femme qui se refuse à vous dans ce restaurant. Cette dispute.
— Mais voyons, on ne tue pas toute une famille pour ça !
— Sauf ce que j’appellerais « l’enchainement des choses ». Vous ne venez pas pour la tuer. La discussion tourne mal. Vous ne comprenez pas pourquoi elle réagit ainsi. Vous perdez vos nerfs et vous la tuez. Evidemment, vous ne voulez pas tuer les enfants, mais l’un d’eux entend du bruit, se réveille et débarque dans la pièce. Alors c’est à son tour. Pour ne pas qu’il crie. Et le troisième… Je ne sais pas pour le troisième. Il semblerait qu’il dormait… Bon mais enfin, et surtout, vous avez ce couteau avec vous.
— Je l’ai avec moi si c’est moi qui suis monté là-haut. L’assassin avait ce couteau dans les mains. Oui. Moi pas. L’assassin a caché le couteau dans mon appartement. Oui. Moi pas. L’assassin a mis des traces du sang des victimes dans ma salle de bains. Oui. Moi pas. Moi pas !
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— Mais ne parlez pas de mobile ! Je n’en n’ai pas non plus de
mobile moi !
— Si. Cette femme qui se refuse à vous dans ce restaurant.
Cette dispute.
— Mais voyons, on ne tue pas toute une famille pour ça !
— Sauf ce que j’appellerais « l’enchainement des choses ».
Vous ne venez pas pour lui faire du mal. La discussion tourne
mal. Vous ne comprenez pas pourquoi elle réagit ainsi. Vous
perdez vos nerfs et vous la tuez. Évidemment, vous ne voulez
pas tuer les enfants, mais l’un d’eux entend du bruit, se réveille
et débarque dans la pièce. Alors c’est à son tour. Pour ne
pas qu’il crie. Et le troisième… Je ne sais pas pour le troisième.
Il semblerait qu’il dormait… Bon mais enfin, et surtout, vous
avez ce couteau avec vous.
— Je l’ai avec moi si c’est moi qui suis monté là-haut. L’assassin
avait ce couteau dans les mains. Oui. Moi pas. L’assassin a
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caché le couteau dans mon appartement. Oui. Moi pas. L’assassin
a mis des traces du sang des victimes dans ma salle de
bains. Oui. Moi pas. Moi pas !
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"Ils ont toujours prononcé mon prénom comme si j'étais espagnol. Ils disaient "Ron". Jon, c'est le diminutif de Jonathan. C'est un prénom juif. Je suis juif. Ma mère était juive. Grand-père était juif. On dit que cette origine marque pour toujours une identité particulière. On porte en soi un poids , une histoire sombre. Cela donne une responsabilité à laquelle il est difficile de se soustraire. Lorsque ses parents ont payé de leur vie leur appartenance à ce peuple, le poids que l'on doit supporter est en grande partie insoutenable" Jon va devoir endurer plus que cela. Son grand-père, à ses derniers souffles, lui a confié une mission. Un devoir de mémoire dans lequel le bonheur qu'il vit va nécessairement être englouti. Faut-il trahir cet héritage légué par son grand-père? Ou plutôt préserver cette famille qui l'a tendrement accueilli? Et qui est-il pour prononcer une sentence. Ne faudrait-il pas laisser la place au doute?
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"La lame du couteau s’est enfoncée dans le cou avec une facilité préoccupante. On se serait plutôt attendu à un bruit. Je m’attendais à cela. Un cri, une protestation… Même quelque chose d’extérieur pourquoi pas ? Un coup de tonnerre, quelque chose qui aurait souligné l’importance de l’évènement, mis en relief l’anomalie de cette lame qui mettait fin à cette pauvre vie, presque déjà partie avant même le coup que je lui portais. Une vie minée depuis tant de mois par la maladie, une vie qui s’effaçait peu à peu sous nos yeux. Cette femme qui avait été si importante pour nous tous et qui déjà ne l’était plus. Parce que le cancer allait la prendre. Parce qu’elle n’était en quelque sorte plus d’actualité. Déjà plus parmi nous. Mais une vie qu’il fallait pourtant que j’arrête sans le moindre retard"
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