Histoire de Dresde : souffrances et éternité
Philippe Meyer
CNRS Editions, mai 2019
Une histoire de la ville allemande, depuis son accession au statut de capitale du duché de Saxe à la fin du XVe siècle à son essor après la réunification allemande, en passant par la destruction de son centre par les bombardements alliés en février 1945. ©Electre 2019
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Le tourisme est le moyen qui consiste à amener des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux
Le Marketing est une sorte de sociologie vénale, d'ethnologie de bazar dont le but est de savoir de quoi vous n'avez pas besoin et que l'on pourrait quand-même vous vendre.
Le progrès fait rage, le futur ne manque pas d’avenir.
L'inspection annoncée dans une école de Zagreb préoccupe tous les esprits. Les instituteurs chapitrent les enfants et leur font un dernier rappel des connaissances politiques de base. Arrive l'inspecteur qui, dans la première classe où il pénètre, annonce qu'il va interroger lui-même des élèves pris au hasard, et désigne un garçon au troisième rang.
— Comment t'appelles-tu ?
— Ivan, camarade inspecteur.
— Qui est ton père, Ivan ?
— C'est le camarade Tito, camarade inspecteur.
— Et qui est ta mère ?
— C'est le Parti, camarade inspecteur.
— Très bien. Quand tu seras grand, qu'est-ce que tu veux être dans la vie ?
— Orphelin, camarade inspecteur.

Car non content de chérir un ectoplasme idéalisé, le néo-parisien nourrit contre la ville d'aujourd'hui des rancoeurs et des griefs constants, dont il n’aperçoit guère les contradictions internes. Ainsi se plaint-il tout à la fois du manque d'animation et du bruit. Si c'est du bruit des klaxons de voiture dont la loi interdit un usage que la préfecture de police a décidé d'autoriser de fait ou du bruit des alarmes de magasin qui suffisent à déclencher le passage d'un autobus, le grondement de l'orage ou même des causes aussi mystérieuses que sans rapport avec une tentative d'effraction, la plainte est plus que légitime . Mais le néo Parisien se fâche pour des - pollution sonores - bien moins violentes et bien plus humaines. Il téléphone au commissariat parce que la clientèle du restaurant voisin crée, par le tohu-bohu qui l'indispose ; parce qu'un café ferme trop tard ou, que le printemps venu, sa terrasse chahute et parle trop fort ; parce que les jeunes( dans les quartiers où il en reste) se réunissent en bandes dont le potin éclate quelquefois en tumulte, en cris ; en dispute ; parce que les gamins jouent au ballon dans la cour ou sur le trottoir et perturbent une écoute paisible de la télévision; parce qu'il font des tours en vélomoteur, ou pire en motos; parce que des Arabes - je ne suis pas raciste, mais - tiennent sur le bitume des palabres bruyantes auxquels il ne comprend goutte....
Matriona, vieille paysanne « sans-parti et réactionnaire », sentant l'approche de la mort, réunit sa famille et demande qu'on appelle un pope. Une fois le prêtre chez elle, elle se confesse, reçoit les derniers sacrements puis exige de son fils aîné qu'il aille lui chercher le responsable local du Parti. Surpris, le fils s'exécute, revient avec le chef de cellule. Matriona le fait approcher de son lit et, devant toute sa famille, lui demande de l'inscrire au Parti. Le camarade, n'osant pas aller contre les volontés d'une mourante, l'inscrit au Parti, perçoit sa cotisation et lui remet sa carte. Dès qu'il a franchi le seuil de la maison, le fils aîné s'agenouille au bord du lit de sa mère et, des sanglots dans la voix, il lui demande :
— Oh, petite mère, pourquoi as-tu fait une chose pareille ?
— Vois-tu, Vassili, puisque quelqu'un doit mourir, il vaut mieux que ce soit un des leurs.
— Comment est mort Maïakovski ?
— Maïakovski s'est suicidé. Il a mal pris le tournant de 1927 et n'a pas compris les changements nécessaires.
— Et quelles furent ses dernières paroles ?
— Ne tirez pas, camarades.
Quel conseil peut-on donner à un intellectuel ?
D'abord, ne pas penser. S'il ne peut s'en empêcher, de ne pas parler. S'il ne peut s'en empêcher, de ne pas écrire. S'il ne peut s'en empêcher, de ne pas signer. S'il ne peut s'en empêcher, de ne pas s'étonner.
Depuis la naissance du mouvement de dissidence en Union soviétique, la police a changé ses méthodes. Désormais les policiers se déplacent uniquement par trois. Un qui sait lire, un qui sait écrire et le troisième pour surveiller ces dangereux intellectuels.

J'avais l'âge d'homme quand Beate Klarsfeld gifla Kurt Georg Kiesinger. Enfin ! Enfin, une Allemande demandait des comptes aux Allemands. Les obligeait à voir qu'ils avaient pour chancelier un homme qui avait organisé au plus haut niveau la propagande du IIIe Reich. Que, dans les hautes sphères de l'administration, de l'industrie, de la finance, les anciens membres du parti nazi pullulaient. Que de nombreux bourreaux menaient des vies paisibles, quoique leur passé fût connu. [...] L'acte qui fêla ce silence honteux fut celui d'une femme seule, sans parti, sans soutien, contre l'immense majorité de l'opinion de son pays. Il s'inscrivait dans la lignée de l'engagement dans la Résistance de ces femmes et de ces hommes que leur seule conscience avait mis en mouvement et eut pour conséquence politique presque immédiate l'arrivée au pouvoir de Willy Brandt, antinazi constant et Allemand sans reproche, qui, un an après son accession à la chancellerie, alla s'agenouiller devant le mémorial du ghetto de Varsovie.
Tout cela fait pour moi que Beate Klarsfeld est entrée dans ce Panthéon invisible dans lequel chacun d'entre nous chérit les gestes et la mémoire de celles et ceux qui firent ce qu'ils pouvaient quand les autres ne le faisaient pas. C'est la définition que Romain Rolland donnait du héros.
[ Le 1, n°233 du mercredi 23 janvier ]