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Citations de Pierre Deram (24)


Du nord au sud, ce n’est qu’un grand paysage dévasté, où des champs de pierres volcaniques se disputent quelques pitons décharnés. Tout est mort. Le soleil écrase l’étendue silencieuse. Sous l’effet de la chaleur, la rocaille brune se désagrège et couvre le sol de traînées rougeâtres.
Une heure durant, l’ombre de l’avion glisse inlassablement sur les mêmes décors, les mêmes oueds asséchés et les mêmes talwegs cernés de crêtes tranchantes. Çà et là, dispersés entre les rangées de sièges vides, les voyageurs attendent en silence – les visages tendus, sans que l’on puisse dire s’il s’agit d’angoisses ou de rêveries – attendent en silence qu’apparaissent dans un lointain mirage les premiers reflets de la mer Rouge.
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Plus tard, la pluie avait redoublé d'intensité, on n'entendait plus que le bruit des gouttes contre les feuillages des arbres et le ruissellement invisible de l'eau entre les feuilles mortes. Adossés à un arbre du bois, côte à côte au milieu de la nuit, ils avaient partagé une cigarette en échangeant quelques banalités. Puis, ils avaient regardé sans un mot la lune et les étoiles qui l'entouraient, les fragments d'un monde brisé. "Dites-moi, Seigneur, là-haut, tout n'a-t-il toujours été que ce long et douloureux chaos ?"
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Mais il faut tellement d'obscurité pour tellement de rêves ! Des profondeurs de la terre, ils montent en brume invisible comme les songes qui s'élèvent du corps des femmes endormies quand, tressaillant dans la nuit, leurs petites mains se serrent et leurs douces lèvres balbutient. Là seulement, après tant de souffrances et de misères, le Djiboutien harassé tombe en pleurs aux pieds de son superbe et terrifiant pays, et, installé contre un mur ou somnolant sous un ventilateur, se laisse rouler vers les suaves visions que le khat révèle à ceux qu'il a soumis. La nuit l'envahit, pleine de couleurs grandioses et des torrents de rêves l'emportent, minuscule, à mille lieues du désert aride contre lequel il s'endort. Comment soupçonner tant de délires cachés sous ces austères paysages ? Mais si l'on broute ses feuilles, si l'on goûte sa sève obscure ! La nuit s'embrase de pétrole noir, et de cette lumière impossible, de tout ce néant sans espoir, la beauté jaillit, irrésistible. Dans les ténèbres glacées qui l'enserrent, le cœur de l'homme se gonfle tout à coup et gonfle encore, gonfle comme une immense voile où le vent chaud et profond de la vie s'engouffre. C'est minuit !
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Alors midi approche. Dans un silence de mort, les dernières flaques de ténèbres se dissipent. Tout ce qu’il y avait d’immense et de vertigineux dans l’étendue des paysages disparaît avec les ombres qui en donnaient la mesure. Il n’y a plus que la verticalité pure. Une grêle d’or s’abat sur la ville. Le grand soleil déchire les cieux. La pointe de la mosquée Hamoudi rejoint l’aplomb de son ombre et les aiguilles de la place Menelik s’alignent au sommet de leur cadran. L’immonde cathédrale du Bon-Pasteur sombre dans l’obscurité tandis que les fonds des puits asséchés s’illuminent. Tombant droit comme des fils à plomb, les rayons du soleil semblent soudain monter du sol et ouvrir la cime du ciel. Alors, réfugiés au fond d’une chambre tiède ou sous un escalier noir, cherchant un peu de fraîcheur derrière les fentes d’un moucharabieh, les hommes chuchotent dans la pénombre et, tombant de leurs lèvres indolentes, le même mot se répercute à l’infini dans tous les faubourgs de Djibouti : Dohori ! C’est midi !
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Comment soupçonner tant de délires cachés sous ces austères paysages ? Mais si l’on broute ses feuilles, si l’on goûte sa sève obscure ! La nuit s’embrase comme un nuage de pétrole noir, et de cette lumière impossible, de tout ce néant sans espoir, la beauté jaillit, irrésistible. Dans les ténèbres glacées qui l’enserrent le cœur de l’homme se gonfle tout à coup et gonfle encore, gonfle come une immense voile où le vent chaud et profond de la vie s’engouffre. C’est minuit !
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Un roman magistral nous dit-on en quatrième de couverture. Magistral à condition de ne pas craindre le sordide. Car dans ce domaine on pourra difficilement faire plus avilissant que les scènes de débauche en cette veille de retour en France pour Marckus, lieutenant de la coloniale en séjour à Djibouti. Un ouvrage sans autre intrigue que celle de vivre une dernière soirée dans les bars à prostituées de la Corne de l'Afrique, avant de rentrer au pays de l'aménagement du territoire et de l'égalité homme-femme.

"Nous sommes les enfants de la violence et de la beauté" avait retenu Marckus d'un de ses congénères qui décrivait ainsi la vie des militaires en poste en Afrique. Pour être exhaustif dans l'exploration de la nature humaine, il ne faut certes pas craindre d'aborder sa laideur. Quant à la beauté, Pierre Deram nous la développera sans doute dans un prochain ouvrage. On sort de celui-ci avec la conviction qu'il avait un compte à régler avec la grande muette, à nous la peindre sous ses travers les plus ignobles. Car s'il y a des péripéties qui pourraient élever le débat dans le domaine de la sensibilité, elles sont consciencieusement noyées dans d'autres qui donnent plutôt envie de vomir.

S'il faut trouver un créneau d'originalité pour être édité, celui qui fait sortir Pierre Deram de l'anonymat vient du fond du caniveau. Attendons donc le prochain ouvrage pour aborder le bon côté de la nature humaine.
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Et voilà donc à quoi rêvaient les hommes et les femmes, penchés au-dessus de cette grande bouche humide, ne rêvant eux aussi que de ça, d'être un jour avalés, refondus, dissolus, digérés par l'action conjointe de la terre et de l'eau et rendus enfin, oui rendus à la belle et silencieuse immensité du désert. Ils priaient agenouillés sur leur terre, et tandis que montaient au ciel leurs rêves emplis de poussière et de vent, sous leurs pieds commençaient déjà de germer en silence les graines que l'eau avait charriées depuis les hauts plateaux d’Éthiopie, et le lendemain alors, le lendemain et pour une journée seulement, au milieu de cet estomac de sable et de cailloux, pousseraient par endroits quelques pétales de fleurs, quelques fleurs du désert à l'endroit où jadis ne tombaient que des larmes et des bouquets de visages en pleurs.
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En plein jour, Djibouti est presque insoutenable. D'Ali Sabieh à Tadjourah, le pays tout entier est plongé dans un déluge de feu. En ville, où la vie est suspendue à son souffle brûlant, l'immense soleil réduit en cendres tout ce qui essaye d'échapper à son empire. Les bâtiments gonflent et se tordent sous l'effet de la chaleur, les plaques de bitume explosent, et l'eau de tous les réservoirs s'évapore sous les yeux des habitants qu'elle est censée abreuver.
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Soudain ils ne furent plus rien, pas même un soldat et une putain, mais deux enfants perdus au milieu du monde, serrés l’un contre l’autre sur ce matelas sale, roulant à moitié inconscients, le sang rapide, les yeux brillants, roulant si loin de tout, roulant à n’en plus finir au fond de l’indicible comme deux bagnards sautant d’un train en marche. »
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Des profondeurs de la terre, ils montent en brume invisible comme les songes qui s’élèvent du corps des femmes endormies quand, tressaillant dans la nuit, leurs petites mains se serrent et leurs douces lèvres balbutient.
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..., et le lendemain alors, le lendemain et pour une journée seulement, au milieu de cet estomac de sable et de cailloux, pousseraient par endroits quelques pétales de fleurs, quelques fleurs du désert à l'endroit où jadis ne tombaient que des larmes et des bouquets de visages en pleurs.
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Enfin, la circulation se canalisa sur une seule voie et le taxi atteignit l’entrée de la rue d’Éthiopie. Tout s’éclaira soudainement. Les enseignes lumineuses des bars conjuraient d’un seul coup l’obscurité rampante. Bleue, verte ou rouge : toute la rue clignotait comme un grand flipper. Trente enseignes crachaient de toutes leurs forces pour repousser les ténèbres qui menaçaient déjà de les dévorer, attendant la moindre panne pour tout engloutir. Sous les lumières électriques et violentes des néons, une foule bruyante se massait en désordre. La rumeur des conversations se mêlait au tintamarre des klaxons. L’ivrognerie et la tension sexuelle étaient partout palpables. Des légionnaires en chemise, des marins, des soldats et des nayas vulgaires se poussaient d’un bar à l’autre, s’interpellant, se croisant, se mélangeant. ici, quelques légionnaires avinés empêchaient l’un des leurs de pénétrer dans le bar dont il venait de se faire exclure, là un type ivre qu’un autre soutenait titubait sous les arcades, ailleurs une fille giflait son amant d’un soir, plus loin quelques vendeurs discrets se glissaient entre les colonnades, contre un mur un groupe de gendarmes fumait des cigarettes en regardant du coin de l’oeil les matraques qui pendaient aux ceintures d’une patrouille de la police militaire, dans un coin deux ou trois aventuriers fomentaient on ne sait quelle expédition au fin fond du désert, de ce désert si proche que chaque nuit le voyait gagner mètre après mètre sur les faubourgs de la ville. Le taxi avançait lentement au milieu de l’agitation.
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L’atmosphère était devenue grave, les hommes avaient pâli, quelques blagueurs essayaient de réchauffer l’ambiance. Couché sur la table, Ceriset se refusait toujours à parler. On lui versa dans la bouche quelques rasades de vodka tandis qu’un peu plus loin, Fouchet, assis sur une chaise, se faisait bander la tête.
– C’est assez, dit Markus, lassé du spectacle – et tandis qu’il faisait demi-tour et se dirigeait vers la sortie, il se souvint d’avoir vu Ceriset plus tôt dans la soirée, un verre d’alcool par-dessus la tête, complètement ivre et criant « Fuck la life ! » et alors, oui, il lui semblait comprendre ce que cela voulait dire, que l’exacte définition de la fête – cette envie de libération maintenant et pour toujours, cette dépense sans retour ni calcul – que l’exacte définition de la fête était aussi l’exacte définition de la mort.
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Il se retourna sur la pente, tituba un instant, puis, appuyant son regard sur les murailles de la ville lointaine, parvint à retrouver l'équilibre que, quelques secondes auparavant, la fatigue et l'émotion avaient été sur le point de lui dérober. Le sol se stabilisa à nouveau tandis qu'une douleur froide lui mordait maintenant la poitrine et accablait son âme de chagrin. En face, brûlant dans la nuit, la lueur de quelques flambeaux se perdait au-devant d'une obscurité si profonde, si immense, que les remparts au-dessus desquels elle palpitait semblaient descendre à pic, comme le dernier phare de la dernière pointe, jusqu'aux ultimes rivages du monde.
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… et ses yeux encore endormis par l’éclairage sombre du voyage s’étaient mis à pleurer d’éblouissement parmi toutes les couleurs nouvelles et violentes qui les assaillaient de toute parts. Et la chaleur alors, l’épouvantable chaleur qui semblait sans cesse augmenter l’avait submergé sans prévenir, de la tête aux pieds, s’appropriant son corps comme une petite fille découvre un nouveau jouet, le palpant et l’étudiant sous tous les angles jusqu’à le pétrir de ses doigts et le remodeler selon son goût. En un quart d’heure il avait rendu toute sa sueur occidentale. Figé à l’arrière du 4X4 dans un T-Shirt à moitié dissous par la transpiration, trempé comme une éponge, n’osant plus esquisser le moindre geste de peur d’en perdre la vie, il avait écouté à l’intérieur de lui-même son cœur galoper comme un cheval fou au milieu d’un incendie.
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Il lui avait fallu venir jusqu'ici pour pénétrer avec amour dans les profondeurs de l'alcool, pour sentir descendre en lui la liqueur glacée et se répandre tous les parfums de l'anis, pour rêver dans l'ivresse à toutes les couleurs des coquelicots, des bleuets et des lavandes, aux subtilités des plantes et des écorces que le désert ignore et détruit.
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...le gouffre des démons où l'océan agonise au centre d'un territoire en feu. Quelques vagues décharnées clapotent encore, couchées au bord du sable. Les rives sont couvertes de poissons morts que la chaleur dessèche. Piégé à quelques mètres de là, le lac Assal, gorgé de sel et de gaz bouillant, se pétrifie en concrétions irréelles, en mille dessins mouvants que le soleil balaye de ses doigts enflammés. tout est blanc d'amertume. C'est triste à mourir.
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Vous n'avez jamais eu ce sentiment, Madame ? Que ce monde était en faillite ... que nous errions tous yeux bandés,perdus au fond d'une nuit d'ivresse ?
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D’être à cette table, face à ces inconnus, avec ces reptiles énormes somnolant contre les murs et ces vautours tournoyant ds le ciel. Et ce fut comme si les cinq milliers de kilomètres qu’il avait parcourus pour venir jusque-là venaient de se refermer derrière lui, comme la mer des roseaux derrière Moïse.
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Vous n'avez jamais eu ce sentiment, madame ? Que ce monde était en faillite... que nous errions tous yeux bandés, perdus au fond d'une nuit d'ivresse ?
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