Pierre Herbart : L'Age d'or
Olivier BARROT présente "L'Age d'or" de
Pierre HERBART (Le Dilettante), qui, ancien secrétaire de
André GIDE, a publié en 1953 ce livre relatant ses ardentes passions homosexuelles.
“mes yeux erraient sur ce corps, en quête d’un défaut qui vînt me distraire de sa beauté. Mais la perfection ne se laisse pas trahir ; il faut l’embrasser toute entière.”
En juillet, dans le Nord, de grandes lueurs traînent encore dans le ciel à minuit. La mer bruissait faiblement, chargée de phosphorescences que nous nous amusions à ranimer en jetant des cailloux. Il faisait si tiède que nous dormions nus, la porte du kiosque ouverte. De toute mes forces, je pressais Alain contre moi et le sommeil desserrait à peine notre étreinte.
Une fois que je m'étais éveillé très tôt, je regardais son visage, baisant tantôt sa tempe, tantôt l'ombre de ses cils sur sa joue en feu, et puis sa bouche un peu gonflée. Un bras au creux de mes reins, l’autre sous son épaule, de telle sorte que sa tête vînt reposer, Je goûtais à contempler Alain endormi une joie joie si intense qu'elle sortit soudain de moi comme une source brûlante. Je ne sais quelle inquiétude me fit tourner les yeux vers la porte ouverte. Dans l'embrasure, se découpant sur le sable rosi par les premiers rayons, un homme était immobile. D'abord pétrifié, j'allais bondir, quand il posa doucement un doigt sur ses lèvres. Aussitôt après, il s'éloigna, et je pus voir que c'était un douanier.
... oui, cela même, dont j'ai si souvent abandonné la poursuite, pour m'occuper de riens : la colonisation, le communisme, la guerre d'Espagne, la Résistance. Que sais-je ?
Et cependant...
Je ne saurais trop conseiller aux autres de perdre moins de temps que moi. Telle sera, s'il en faut une, la morale de ce livre.
Un sourire peint sur ses lèvres lui donnait l'air des danseurs de corde qui marchent sur la mort.
Alain m'attendait dans le kiosque ouvert du côté de la mer. Nous n'avions que peu d'instants, et nous restions immobiles côte à côte, debout, les bras ballants. Je n'avais qu'à avancer les lèvres pour baiser la mèche qui retombait toujours sur son front. Les yeux obstinément baissés, il se taisait. Sa main saisissait la mienne chaque fois que je faisais un mouvement pour partir. À la fin je pris cette main pour la porter jusqu'à ma bouche, affaiblir sa résistance, la faire consentir à me laisser aller. Brune, avec ses beaux ongles coupés courts, un peu rêche au-dessus et si douce aux paumes, marquée de cicatrices, elle se laissait retourner sous mes yeux et demeura en suspens quand je me défis d'elle.
Dans un révolutionnaire, il y a toujours un petit-bourgeois qui sommeille.
Jojo est si puéril ! C'est peut-être le plan qui lui fait accepter l'aventure. Il y a là du mystère. Jojo ignore que la réalité est bien forcée de copier les romans qu'elle inspire.
Atteint par le mal du siècle, je cherche, depuis vingt ans, quel message je pourrais apporter aux hommes. L'idée de ce «message» a terriblement handicapé mon existence. J'ai commencé, comme tout le monde, par le communisme. Autant l'avouer aussitôt, les résultats de l'expérience furent décevants.
Ils voudraient peut-être se parler - mais quoi dire ? C'est toujours la même chose : on n'a rien à se dire.
Au contraire, tout m'était indifférent. Je me sentais bon et tendre. Si l'on m'avait insulté, j'aurais répondu avec douceur. Je sentais que j'avais pour toute la terre un immense amour désabusé.