Citations de Pierre Rey (154)
On rencontre très peu d'idiots dans les casinos (l'idiot est sujet de l'idiotie parce qu'il n'est objet que de la Loi, et de ne pas la transgresser, en aucun cas de la jouissance) mais les monstres y pullulent - je faisais partie de la famille.
Il fallait que je m'aime un peu. Souffrir m'avait fait médecin. Je venais d'apprendre le prix d'un chagrin d'amour.
Contrairement à ceux qui perdent la vie pour avoir refusé de parler de la mort, je l'évoquais souvent, avec, peut-être, l'espoir naïf de m'en protéger.
G.S. était couvert de femmes, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir froid.
Le bonheur n'a jamais rendu personne heureux. Juste avant de passer à l'acte, la plupart de mes amis morts par sucide affichaient les signes extérieurs de l'équilibre et clamaient désespérément que tout allait bien.
Simplement, ils mouraient. Jusqu'à ce qu'ils se tuent, nul n'aurait pu soupçonner le poids de l'ombre ancienne qui oblitérait leur vie. Elle avait mobilisé leurs forces pour un combat perdu d'avance contre un adversaire sans visage. Leur façon de mourir le révélait enfin : trop tard. La mort précédait le diagnostic. Pour l'un, il avait failli payer avec l'autre.
Le bonheur n'a jamais rendu personne heureux.
Pourquoi en ce qu'elle échappe au sexuel, la jouissance ne résiderait-elle pas dans l'acte de créer lui-même.
La création ne vient jamais d'un bonheur. Elle résulte d'un manque. Contrepoids d'une angoisse, elle s'inscrit dans le vide à combler d'un désir dont on attend jouissance et de l'échec de son aboutissement. Autant dire qu'elle ne peut naître que d'un ratage, le manque à jouir. J'en avais même déduit que si. L'homme brûle de poser sa main sur ce cul. S'il va au bout de son geste, si la femme l'accepte, ils se retrouvent dans un lit et font l'amour. Il y a jouissance rien n'est créé S'il ne l'ose pas, fou de frustration, il rentre seul, compose La Neuvième Symphonie, peint L'Homme au casque d'or, écrit La Divine Comédie ou s'attaque au Penseur.
Mon corps ou ma fantaisie me servaient de pendule.
Le "non-faire" m'avait apporté ce présent royal, pouvoir donner au temps la durée de son désir. Selon mon humeur, je créais des temps végétaux où je me transformait en arbre, des temps mammifères où 'j'étais chien,des temps terrestres qui me faisaient nuage, des temps cosmiques pour la métamorphose d'une vibration et des temps minéraux où je devenais enfin pierre, avec ou sans majuscule.
Par horreur d'affronter le vide, je me fabriquais de la vacuité. Par crainte inconsciente de ma propre liquidation, j'annulais par un "faire" l'espace qui s'amenuise à chaque instant pour nous rapprocher de la mort.Au cours des siècles, on avait glissé du Cogito ergo sum au "Je fais, donc je suis" aussi dépourvu de logique que le Credo quia absurdum.
Depuis quatre ans, ma vie était une non-action parfaite. Je ne faisais strictement rien. J'étais devenu un buveur de temps.
En refaisant le trajet à l'envers - Marx, Lévi-Strauss, Hegel, Sartre, la Coupole brasserie, bière -, je sus que c'était à cause d'une bière. Il avait écrit : "On est ce qu'on fait."
J'avais la certitude absolue du contraire : on est ce qu'on ne fait pas. Je sais de qui je parlais : je n'avais commencé à être qu'en cessant de faire.
... les mots de Lévi-Strauss me résonnent encore à l'oreille : "Le jour où j'ai compris que thèse, antithèse et synthèse étaient le fondement de l'Université, j'ai quitté l'Université."
... la culture est continuité.La création, son contraire, est rupture.
La culture, c'est la mémoire de l'intelligence des autres.
Au moment où je m'apprêtais à quitter la plage dans cette lumière mourante de Venice, je n'y avais pas encore été témoin de l'étrange cérémonial des grunions, mais l'idée me frappa soudain - peut-être celle que j'avais repoussée plus tôt - que j'étais mort. Car mourir, c'est oublier. Et je ne me souvenais de rien, malgré certains amis qui s'obstinaient à me servir de mémoire en me racontant les hauts faits de naguère, inconnus, d'un étranger dont ils me juraient qu'il était moi.
A la mémoire du Gros,
sans qui les choses...
Mais qui comprend le désir ?
Et qui comprend le temps ?
La culture, c'est la mémoire de l'intelligence des autres