Le monde est une collection
De l'herbier au jardin botanique, du conditionnement des spécimens en vue de leur transport par mer, de la saisie, de la compression à la transmission d'une masse de données inédites, la botanique est non seulement une invitation à collectionner le monde, mais aussi à aller toujours plus loin et à repousser les limites à la fois géographiques, logistiques et conceptuelles de cet esprit de collection qui caractérise le siècle des Lumières et ses héritiers du premier XIXe siècle. (p. 125)
L'existence des maîtresses royales n'a rien d'une nouveauté, mais l'opposition dévote à Jeanne Poisson, devenue Marquise de Pompadour, fragilise le roi, altère son image, et ce d'autant plus que le roi qui l'a faite marquise, ne la cantonne pas dans l'empire des plaisirs, mais lui accorde un incomparable crédit politique. Dans ces conditions, il est reproché à Louis XV d'être passé de l'amour inconditionnel qu'il portait au cardinal de Fleury aux bras étouffants de ses maîtresses, et dans les deux cas de ne pas remplir ses devoirs de souverain. Ce que beaucoup lui pardonnaient encore avant 1743 n'est désormais plus admissible.
Si l'esprit de collection est parfois pathologique chez le docteur Sloane, tout collectionneur investit non seulement financièrement et matériellement sa collection, mais aussi affectivement. La pérennité des éléments collectés apparaît donc très tôt comme un enjeu majeur. Comme les antiquaires, les botanistes sont confrontés au défi par excellence de la collection, celui de sa maîtrise. Maîtrise des lieux, maîtrise du temps : il s'agit d'un impératif de conservation, qui suppose aussi identification et classification. De la rareté de la pièce unique aux milliers d'échantillons prélevés, la collection pose donc la question des grands nombres. C'est aussi pour cela qu'elle passionne les hommes des Lumières et leurs héritiers du premier XIXe siècle. (p. 86)
Le monde est une collection
La correspondance entre Français et Américains à propos de la mission confiée à André Michaux montre quant à elle l'entrecroisement des enjeux diplomatiques, économiques et stratégiques des circulations naturalistes. La botanique participe ainsi de ce qu'on nommera à propos du XIXe siècle les "sciences impériales" et, de fait, elle est partie prenante non seulement des grandes entreprises d'exploration des océans et des mondes extra-européens, mais aussi, bien évidemment, de la constitution des empires coloniaux, qu'il s'agisse de ceux des Etats ou des grandes compagnies de commerce (...) (p. 113)
Qu'est-ce-que les Lumières ?
Car ces Lumières sont plurielles : aux Lumières de la raison, du rationalisme et, pour quelques-uns, du matérialisme athée, répondent les Lumières dévotes dont on perçoit aujourd'hui l'ampleur et l'importance ainsi que les Lumières de l'irrationnel et du mystère -
En exergue
Nous ne cesserons pas d'explorer et la fin de toutes nos explorations, ce sera d'arriver là où on a commencé et de voir cet endroit pour la première fois.
T.S. Eliot - "Little Gidding", Four Quartets.
Le monde est une collection
De fait, les jardins botaniques permettent à leurs propriétaires comme à leurs visiteurs de découvrir ce monde à la fois si proche et si lointain. Au-delà de la révolution linnéenne, le siècle des Lumières marque sans doute un âge d'or des circulations botaniques du fait de l'enthousiasme que leur ampleur suscite chez les contemporains et d'une fascination pour la botanique dite systématique, c'est-à-dire qui fait l'inventaire du vivant. On implante dans les colonies des essences européennes pour faire des jardins d'Europe, tandis que l'Europe se couvre de jardins botaniques aux essences exotiques. (p. 112)
"Messieurs, que nous le voulions ou non, que cela nous plaise ou que cela nous choque, la Révolution française est un bloc (...), un bloc dont on ne peut rien distraire, parce que la vérité historique ne le permets pas"
Discours de Georges Clémenceau en 1891.
Le siècle des Lumières est fréquemment associé à la découverte de la petite enfance, à la recherche du bonheur familial et au culte de l'amour paternel. Le nouveau-né aurait cessé d'être un mort en puissance. Il importe cependant de rappeler les contradictions et la dureté du temps. Quelle que soit la postérité de l'Emile en matière d'éducation, Rousseau a bel et bien abandonné les trois filles qu'il a eues de Thérèse Levasseur, exposées aux Enfants-Trouvés.

Le monde est une collection
Dans son -Eloge de Pitton de Tournefort- célèbre pour sa classification des espèces végétales- l'inusable Fontenelle, secrétaire de l'Académie royale des sciences, déclarait soixante-quinze ans avant Born :
La Botanique n'est pas une science sédentaire et paresseuse, qui se puisse acquérir dans le repos et dans l'ombre d'un cabinet ; elle veut qu'on coure les montagnes et les forêts, que l'on gravisse contre des rochers escarpés, que l'on s'expose au bord des précipices. Les seuls livres qui peuvent nous instruire à fond dans cette matière ont été jetés au hasard sur toute la surface de la terre, et il faut se résoudre à la fatigue et au péril de les chercher et de les ramasser. De là vient aussi qu'il est si rare d'exceller dans cette science. Le degré de passion qui suffit pour faire un savant d'une autre espèce ne suffit pas pour faire un grand botaniste, et avec cette passion il faut encore une santé qui puisse la suivre, une force de corps qui y réponde- ce que les malheurs d'un Dombey confirment. (p. 110)