L'aventure de Mme Muir - Bande-annonce
Dans le silence, on entendait que le grand orchestre de la forêt : le toc-toc du pivert, le chant du merle et celui de la grive, l'appel du coucou, le bruissement des feuilles, les soupirs du vent, le murmure du ruisseau et le bourdonnement des insectes. Tous ces bruits semblaient composer le finale d'une symphonie amenant la chute du rideau sur le dernier acte d'une tragédie.
Les cytises s'épanouissaient en de glorieux bouquets d'or, les renoncules piquaient d'une multitude de petites taches de couleur le vert de la prairie qui s'étendait au-delà du mur, derrière la maison, et, dans le jardin, les framboises battaient le rappel d'une querelleuse confrérie où voisinaient moineaux, étourneaux, merles et sansonnets.
En réalité, elle n'avait jamais eu le temps de s'apercevoir qu'elle ne vivait pas du tout comme elle l'eût souhaité et c'était seulement depuis que ses belles-soeurs lui avaient permis de délaisser les innombrables devoirs sociaux et mondains qu'elles lui imposaient auparavant qu'elle avait peu à peu découvert qu'il était de l'existence d'autres conceptions qui lui eussent beaucoup mieux convenu.
Que ferait-t-elle dans un trou comme Whitecliff ? Si elle croyait que l'air de la mer était nécessaire aux enfants, pourquoi n'allait-elle pas s'installer à Whitmouth ? Là, au moins , elle se trouverait dans une vraie ville, où ses relations pourraient venir la voir !
Elle avait expliqué qu'elle cédait en partie à des considérations financières. Si elle n'avait personne à recevoir, elle n'aurait pas l'occasion de dépenser de l'argent.
Bientôt, sentant le sommeil lui piqué les yeux, elle décida, bien qu'il fût à peine neuf heures et demie, de se faire une bouillotte et de gagner son lit : la journée du lendemain serait dure, elle aussi.
Cette bouillotte d'eau chaude, c'était une faiblesse, elle en convenait, mais bien sympathique : réchauffant les pieds glacés, elle transformait le lit le plus froid en une tiède et douce retraite.
Courant toujours, elle descendit vers la petite villa. Elle l'a distinguait à peine dans la nuit qui tombait. Une seule fenêtre éclairée mettait une tache de lumière dans l'obscurité, illuminant d'or jaune un coin du jardin qui, à travers les arbres, si prenait l'aspect irréel d'un décor de théâtre.
- Mais, demanda Lucy, si vous aimiez tellement la mer, pourquoi vous étiez-vous retiré ?
- Parce que je devenais vieux, selon les critères ordinaires des humains : court de vue et de souffle, lent de pensée et de mouvements. Pour maîtriser la mer, il faut d'abord être intact et, quand vous avez un navire à commander, vous répondez de trop de vies pour prendre des responsabilités si vous n'êtes pas sûr de tenir le coup ! Alors je me suis mis en cale sèche, de ma propre volonté, et ce sont les voyages des autres qui sont devenus les miens, grâce à mon télescope.
Mrs Muir était petite. Tout le monde en convenait.
Les autres étaient "Mrs Brown" ou "Mrs Smith" sans plus. Quand on parlait d'elle, on disait "la petite Mrs Muir" ou "cette chère petite Mrs Muir" , ou encore, depuis quelques temps, "la pauvre petite Mrs Muir". Son mari, en effet, bon chrétien et architecte sans génie, était mort subitement, la laissant avec deux enfants et un revenu insuffisant.
C'était mon premier voyage, je n'avais que seize ans et ma vie jusque là s'était écoulée dans un petit village entre la vieille tante qui m'élevait et le vieux curé retraité qui me donnait des leçons. Avec ce qu'ils ignoraient de l'existence, les pauvres, on aurait rempli des encyclopédies.
Mais, avec une femme comme vous, un bien-heureux perdrait vite ses chances de canonisation !