Ainsi, même sous un pauvre adolescent lépreux - quand Baudouin IV remporta cette victoire insigne, il n'avait que dix-sept ans et son mal empirait chaque jour - même dans des circonstances extérieures presque désespérées, face à un Islam unifié de la Nubie à Hama, la dynastie française de Jérusalem continuait à accomplir son œuvre salvatrice, son œuvre capétienne. La journée de Tell al-Safiya ou de Montgisard - quel que soit le nom qu'on lui donne, selon qu'on suit Abu Shama ou Ernoul - avait la valeur de notre Bouvines. (p. 629-630).
Le mardi 7 juin 1099, l'armée franque tout entière arriva devant Jérusalem. Les chroniqueurs même tardifs nous disent en termes émouvants l'allégresse qui souleva les pèlerins en apercevant au sud de Lifta, à hauteur de l'actuel mausolée de Sheik Bedr, les dômes de la ville sainte : "Quand il ouïrent nommer Jérusalem, lors commencèrent à pleurer..." (page 213).
Le grand maître du Temple, Guillaume de Beaujeu s'empressa d'alerter les gens d'Acre, mais, ceux-ci, avec l'aveuglement stupide des peuples que Zeus veut perdre, répondirent à Guillaume comme les Athéniens à Démosthène, "et ne le vostrent croire". (p.735)
Il est vrai que Venise, qui avait tant de responsabilités secrètes ou avouées dans la chute de Tripoli, adopa pour la défense de Saint-Jean-d'Acre une attitude nettement loyaliste, attitude qui se comprend du reste car, si Tripoli avait été dans la clientèle génoise, Acre, qu'il s'agissait maintenant de sauver, était dans la clientèle vénitienne. (page 732)
La chute de Tripoli ne réveilla pas l'Europe.
Si vous êtes tués, c'est la couronne du martyre; si vous êtes vainqueurs, une gloire immortelle. Quant à vouloir fuir, inutile : la France est trop loin!
"Aucune civilisation n'est détruite du dehors sans s'être tout d'abord ruinée elle-même, aucun empire n'est conquis de l'extérieur qu'il ne se soit préalablement suicidé. Et une société, une civilisation ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leur raison d'être, quand l'idée dominante autour de laquelle elles étaient naguère organisées leur est devenue comme étrangère..."

[1279, chute de la dynastie Song du sud]
C'était la première fois que la Chine tout entière, Sud compris, tombait aux mains d'un conquérant turco-mongol. Ce que ni les Turcs T'o-pa du V°s, ni les Tongous Djürchät du XII° n'avaient pu obtenir, Khoubilaï y était enfin parvenu. Il réalisait le rêve obscurément poursuivi depuis dix siècles par "tout ce qui vivait sous une tente de feutre", à travers d'innombrables générations de nomades. Avec lui, les pâtres errants de la steppe, "tous les fils du Loup Gris et de la Biche", devenaient enfin maîtres de la Chine, c'est-à-dire de la plus compacte agglomération de cultivateurs sédentaires de l'Asie. Seulement la conquête avait été assez lente pour que les résultats les plus dangereux en fussent comme amortis. Dans la personne de Khoubilaï, en effet, si le petit-fils des nomades a conquis la Chine, il a été lui-même conquis à la civilisation chinoise. Il put alors réaliser le constant objectif de sa politique personnelle : devenir un véritable Fils du Ciel, faire de l'Empire mongol un Empire chinois. A cet égard, la voie était libre. Les Song une fois disparus, il devenait le maître légitime de l'empire quinze fois centenaire. Sa dynastie, qui prit le nom de dynastie Yuan (1280-1368), n'aspira plus qu'à continuer les quelque XXII dynasties chinoises du temps passé. Signe visible de cette sinisation : Khoubilaï, même après avoir arraché Qaraqorum à Arïq-bögä, ne vint jamais y habiter. Dès 1256-1257, il avait fait choix, comme résidence d'été, du site de Chang-tou, ou K'ai-p'ing, près du Dolon-nor, dans l'actuel Tchakhar oriental, où il fit construire un ensemble de palais. En 1260, il établit sa capitale à Pékin. En 1267, il commença à construire au nord-ouest de l'ancienne agglomération pékinoise une ville nouvelle qu'il appela T'ai-tou, "Grande capitale" et qui fut également connue sous le nom de Ville du Khan, Khanbaligh, la "Canbaluc" des voyageurs occidentaux.
pp. 406-407
La brillante délivrance de Beyrouth prouve qu’en dépit d’une situation pleine de périls, l’Etat franc tenait partout tête à l’ennemi. Même représenté par un malheureux lépreux, la dynastie angevine remplissait avec vigilance son rôle tutélaire. Et quel personnage d’épopée - une épopée chrétienne où les valeurs spirituelles prévalent – que ce jeune chef qui, les membres rongés d’ulcères et les chairs prêtes à tomber, se fait encore porter à la tête de ses troupes, les galvanise par sa présence de martyr et, au milieu de ses souffrances, a de nouveau l’orgueil de voir fuir Saladin !
Les préférences de Khoubilaï pour le bouddhisme ne l’avaient nullement empêché de montrer de la sympathie pour le nestorianisme. Aux grandes solennités chrétiennes, à l’exemple de ses prédécesseurs, il se laissait présenter par les prêtres nestoriens attachés à son ordou les évangiles qu’il encensait et baisait pieusement.