Revue Fiction

Les parties inférieures d'une demeure centaurienne étaient conçues pour une société polygame en pleine harmonie avec elle-même. Elles étaient soigneusement divisées en compartiments et le seul passage de l'un à l'autre se faisait par le grand escalier commun qui conduisait au toit et à la cour aérienne. En gros, un tiers de la maison était destiné à Rai Jeth-san et à sa compagne saisonnière. Les deux autres tiers étaient les quartiers des femmes, et l'Archon lui-même ne pouvait y entrer sans une invitation précise.

Un policier – Everard pensait qu'ils étaient entre les mains de la police – leur apporta leur repas et tenta de leur parler. Van Sarawak déclara que sa langue rappelait les dialectes celtes, mais ne put saisir que quelques mots. Le repas n'était pas mauvais.

Dans la soirée, on les emmena aux lavabos où ils purent faire leur toilette sous les canons des armes officielles. Everard les examina ; des revolvers à huit coups et des fusils à canon long.

La salle était chaude et claire. Le feu craquait joyeusement dans l’âtre. L’éclat des panneaux fluorescents caressait les bahuts, les chaises et les tables de bois sculptés à la main, les tentures chatoyantes, la vaisselle empilée sur les étagères. Le pionnier trônait, la silhouette massive, sur son haut fauteuil.

Notre héros, Joenes, vivait sur une petite île de l'Océan Pacifique, un atoll situé à trois cents kilomètres à l'est de Tahiti. Cette île s'appelait Manituatua et n'avait que trois kilomètres de long sur sept ou huit cents mètres de large. Un récif de corail la cernait et, au-delà de ce récif, s'étalait l'immensité bleue du Pacifique.

Le croiseur Ilkor venait juste de prendre sa vitesse de croisière au-delà de l'orbite de Pluton, quand un officier soucieux se présenta au commandant.

— « Excellence, » dit-il avec gêne, « j'ai le regret de vous informer que, par suite de l'inattention d'un technicien, un ruum du type 9-H a été oublié sur la troisième planète, avec tout ce qu'il avait pu collecter. »

Les yeux triangulaires du commandant se voilèrent momentanément mais, lorsqu'il parla, ce fut d'une voix égale.

— « Comment était réglé le ruum ? »

— « Pour un rayon maximum de quarante-cinq kilomètres, et un poids de 80 kilos, avec une marge de tolérance de 5 kilos en plus ou en moins. »

Les couloirs voûtés et les salles de la Station se renvoyèrent les échos sonores du fracas métallique. Paul Wesson, debout, écoutait mourir les résonances en vagues successives. La fusée de ravitaillement était repartie, cap sur la Patrie ; il restait seul sur l'Avant-Poste.

L'Avant-Poste ! À lui seul, le nom suffisait à mettre son imagination en branle. Wesson savait que les deux stations spatiales avaient été baptisées, un siècle plus tôt, par l'Administration des Satellites, alors britannique : la Patrie, la plus proche de la Terre, et par où passait le trafic entre la Terre et les Colonies ; et l'Avant-Poste, la plus lointaine, conçue spécialement pour les relations avec les Étrangers… les êtres qui venaient d'en dehors du système solaire. Mais de le savoir ne diminuait pas pour autant le mystère de cet Avant-Poste roulant sans fin dans l'obscurité, dans l'attente du visiteur qui revenait tous les vingt ans…

Ils jouaient à cache-cache parmi les lunes de la géante gazeuse la plus extérieure quand le lieutenant revint, les yeux vitreux, les traits tirés, mais courageux, pour se présenter à son supérieur. « Navré, mon colonel. Un virus, je pense… »

« Peu importe, lieutenant. Reprenez votre poste. » Il feignait l’indifférence, caressant Diable d’une main, le regard fixé sur l’écran-maître. Le chat clignait les paupières en examinant le lieutenant de ses yeux verts solennels.

« Oui, mon colonel. »

J'essayai pendant un moment de m'orienter à partir de la pièce que nous venions de quitter mais, après une douzaine de tournants à droite et à gauche, je fus totalement désorienté. Sh'ula aurait pu me faire tourner en rond sans que je m'en aperçoive. Le palais était un véritable labyrinthe et la similarité fondamentale des couloirs avait sans doute été conçue pour confondre les étrangers. Je ne vis absolument personne de toute la promenade, bien qu'étant persuadé que le palais avait été construit pour abriter beaucoup de monde.

J'en fus d'autant plus convaincu quand nous arrivâmes enfin à destination.

Nalgrave, la rouge capitale de Jupiter, la Marrakech de l'Espace, accroupie dans un repli du terrain dérivant qui ne semblait conquis sur l'océan rouillé qu'à force de brume et de sauvagerie, Nalgrave, le havre aux mille rocs dressés contre les brisants rageurs du vent d'oxyde sombre, Nalgrave allait encore une fois sommeiller.

Dans la rue encombrée des animaux marins que le flux déversait jusqu'au pied des grands escaliers granitiques, l'ombre du lointain soleil se faufilait jusqu'à cerner chaque bloc, enveloppant étrangement chacune des pierres et chacun des étais que les Terriens civilisateurs avaient assemblés avec tant de peine et de labeur.

Dans les deux minutes suivant son débarquement sur la Lune, 45 minutes après son entrée dans la cabine du C.T. de New York, Ross était au Moonpool avec Georgette. Un quart d'heure après, ils furent tous les deux au bord d'une joyeuse ivresse.

— « Tu étais en retard, chéri, » dit Georgette en faisant la moue. « Et encore, après m'avoir recommandé d'être là à 8 heures 15 sans faute. »

— « Désolé, poupée, » répondit Ross. C'est volontairement qu'il avait été en retard ; il voulait être sûr que Georgette soit là avant lui et, par conséquent, sache exactement l'heure de son arrivée.

— « Et moi, j'étais là à 8 h 15, chéri. »

— « Brave fille. »

Arthur Leacock traversa d'un pas traînant le hall de la petite université du Midwest où, à une semaine près, il avait besogné trente-deux années durant. Quelques raides mèches poivre et sel de ses cheveux ébouriffés au cours du sommeil dépassaient de sous son képi de cuir. Un képi qu'il portait depuis 17 ans sur 32. Ses chaussures fréquemment ressemelées ne faisaient quasiment aucun bruit en ce lieu dont, pourtant, les murs révélaient des propriétés de répercussion telles qu'Arthur s'imaginait parfois entendre par eux l'écho de son propre souffle.

L'aire situé derrière la Grande Salle n'était pas à proprement parler une cour, mais un couloir de verdure délimité par d'épaisses haies broussailleuses. Il servait au rite de la majorité depuis des temps immémoriaux, bien avant l'époque de Cort et de son prédécesseur, qui était mort à cet endroit d'une estocade portée par un bras trop ardent. L'extrémité orientale livrait toujours passage au maître et maints garçons l'avaient déjà franchie en hommes. Elle faisait face à la Grande Salle et s'ouvrait à toutes les promesses du monde civilisé. D'autres garçons, en bien plus grand nombre, s'étaient furtivement éclipsés, meurtris et ensanglantés, par l'extrémité occidentale, qui les voyait entrer enfants et enfants ressortir. Derrière, les attendaient les montagnes et les habitants des huttes ; plus loin, les forêts touffues du monde barbare ; au-delà encore, le désert.

Chacun des deux hommes plongeait son regard dans celui de l'autre. Finalement, Craine se tourna vers le chat.

— « Tu n'as pas envie de crème. Que dirais-tu d'un peu de poisson ? »

— « Nnnnon, » répondit Buster. « Crrrêêême. »

— « Est-ce que vous voulez que j’allume le video, mademoiselle ? » demanda le chauffeur.

— « Non, merci. »

Une fréquentation assidue de cartes géographiques et un considérable échange de correspondance avec de multiples Chambres de Commerce lui permirent finalement d’arrêter son choix.

Le ciel.

Un astéroïde.

Et sur l'astéroïde, l'astronef.

Quelque part dans la constellation du Dragon, une lueur qui scintille : le Soleil.

À six milliards de kilomètres.

Les étoiles encapées de silence ne palpitent pas. Ne frémissent pas. Elles se consument. Lointaines. Glacées. À la verticale, la Polaire est un fanal ardent et d'un bord à l'autre de l'horizon, la Voie Lactée plaque contre le ciel son arc pétrifié

Malheureux celui qui dans ses souvenirs d'enfance ne puise que tristesse et peur. Infortuné celui qu'étreint la mémoire d'heures solitaires en des chambres vastes et lugubres, aux murs sombres parcourus démentiellement par d'antiques rangées de livres, ou de veillées terrifiées dans une forêt crépusculaire d'arbres géants, aux formes grotesques et aux lointaines cimes invisibles. Tel est le lot à moi imparti par les dieux – moi le ténébreux, l'aride, le désolé. Et cependant j'éprouve un étrange plaisir à me rattacher à ces évocations, quand mon esprit menace de s'aventurer au-delà, dans la contrée interdite où gît l'autre souvenir.

Mardin avait été avisé de ce à quoi il pouvait s’attendre par l’officier de la Military Police qui l’avait escorté jusqu’à la caverne. Et pourtant, son premier coup d’œil au réservoir dans lequel flottait l’extraterrestre suscita de sa part un long grognement à la fois incrédule et terrifié. Il avait au moins vingt mètres de long et quinze de large, et s’élevait du sol rocailleux jusqu’à une hauteur atteignant deux fois celle d’un homme. Quels qu’aient été les matériaux incroyables qui avaient constitué ses côtés, ils étaient recouverts depuis plusieurs heures d’épaisses couches blanches de glace.

Les courants d’air froid qui refoulaient du méthane à l’odeur nauséabonde dans le réservoir chatouillaient son nez et piquaient ses yeux. Eh bien, après tout, pensa Mardin, la température corporelle de ces êtres atteint quelque chose comme cent degrés centigrades ! 

Et il avait déjà senti ce froid une fois auparavant…

La jeune femme eut un regard boudeur vers l'ombre que la plate-forme du port aérien étendait sur eux comme une aile noire. Sous la lumière blafarde du soir commençant, l'artère était déserte. Thêta du Centaure, disque rouge sur l'horizon, envoyait dans le canon obscur de la rue une lumière oblique, d'un cramoisi virulent, et les maisons à la lourde toiture s'inclinaient sombres et menaçantes. Des ombres indécises s'amassaient au-dessus d'eux et un vent chaud balayait la rue de bout en bout, chargé de cette odeur âcre, pénétrante, qui formait l'atmosphère propre de Mégarée. Pas tellement désagréable, mais, résineuse et musquée à la fois, une odeur un peu malsaine, comme un parfum trop longtemps porté.

Ce jour-là, nous suivions une route abandonnée qu'on appelait Dexter Lane, étroite bande de poussière blanche et molle qui serpentait, en pente abrupte, dans une forêt de chênes et d'acacias, et conduisait aux trois fermes abandonnées qu'elle avait autrefois desservies. Il faisait chaud et nous avancions tranquillement, au pas, dans le bruit paisible des sabots dans la poussière et le chant des oiseaux parmi les branches.

Mon regard fut attiré par l'entrée d'un chemin qui paraissait encore plus abandonné que Dexter Lane.