Citations de Richard Powers (1234)
Face à l'échec des traitements à soulager mon enfant, je développai une théorie farfelue : la vie est un chose qu'il faut cesser de vouloir corriger. Mon fils était un univers de poche dont je n'atteindrai jamais le fond. Chacun de nous est une expérience en soi, et nous ne savons même pas ce qu'elle est censée tester.
« Lors de la première fin du monde, Noé a rassemblé tous les animaux, deux par deux, et les a embarqués sur son canot de sauvetage. Mais il y a un détail marrant : il a abandonné les plantes et les arbres à la mort. Il a oublié d’emmener la seule créature dont il avait vraiment besoin pour rebâtir la vie sur la terre, et il s’est occupé de sauver les pique-assiettes ! » « Le problème, c’est que Noé et son espèce ne croyaient pas que les arbres étaient vraiment vivants. Pas d’intention, pas d’étincelle vitale. Comme des cailloux, en plus grands. »
Disons que la planète naît à minuit et que sa vie court sur un jour.
Au début, il n’y a rien. Deux heures sont gaspillées par la lave et les météores. La vie n'apparaît pas avant trois ou quatre heures du matin. Et même alors, c’est seulement d’infimes bribes qui se dupliquent. De l’aube à la fin de la matinée – un milliard d’années de ramification – rien n'existe que de maigres cellules simples.
Et puis il y a tout. Quelque chose de fou arrive peu après midi. Une variété de cellule simple en asservit deux ou trois autres. Les noyaux acquièrent des membranes. Les cellules développent des organelles. Un camping solitaire donne naissance à une ville.
Les deux tiers du jour sont passés quand animaux et plantes prennent des chemins séparés. Mais la vie n'est encore que cellules simples. Le crépuscule tombe avant que la vie composée s'impose. Tous les grands organismes vivants sont des retardataires qui n'arrivent qu'à la nuit. À neuf heures du soir apparaissent méduses et vers de terre. L'heure est presque écoulée quand survient la percée : épines dorsales, cartilage, une explosion de corps possibles. D’une
minute à l’autre, d'innombrables tiges et branches nouvelles éclatent et s'égaillent dans la frondaison qui s'étend.
Les plantes parviennent à la terre juste avant vingt-deux heures. Puis les insectes, qui aussitôt décollent. Quelques minutes plus tard, les tétrapodes s'arrachent à la boue des marées, en charriant sur leur peau et dans leurs tripes des univers entiers de créatures plus anciennes. Vers onze heures, les dinosaures ont fait leur temps, et laissent la barre aux mammifères et aux oiseaux pour une heure.
Quelque part dans ces soixante minutes, très haut dans la canopée phylogénétique, la vie se fait consciente. Des créatures commencent à spéculer. Des animaux apprennent à leurs enfants le passé et le futur. Des animaux apprennent à avoir des rituels.
L'homme moderne au sens anatomique se pointe quatre secondes avant minuit. Les premières peintures rupestres apparaissent trois secondes plus tard. Et en un millième de clic de la grande aiguille, la vie résout le mystère de l’ADN et se met à cartographier l’arbre de vie lui-même.
À minuit, la plus grande partie du globe est convertie en cultures intensives pour nourrir et protéger une seule espèce. Et c'est alors que l'arbre de vie devient encore autre chose. Que le tronc géant commence à vaciller.
Le héron - page 384 (presque vers la fin) :
"... Un grand oiseau aux aguets. Toutes les cinq minutes, un demi-pas. L'oiseau dressé était un bout de bois flotté. Même les poissons finirent par l'oublier. Quand enfin il piqua, Robin poussa un cri. L'oiseau frappa à deux mètres en s'inclinant à peine. Il redevint tout droit, avec, pendu au bec, un festin grand comme l'ébahissement. Le poisson semblait gros comme sa gorge. Mais l'ample gosier s'ouvrit, et l'instant d'après il ne restait même pas une bosse pour trahir ce qui s'était passé.
Robin l'acclama d'un hululement, qui fit fuir l'oiseau effarouché. Il se pencha, se lança d'un coup de patte, battit de ses ailes massives. En décollant, il parut plus ptérodactyle encore, et son croassement de départ était plus ancien que toute émotion. (...)"
Il y réfléchit quelque temps. Le désordre c'est-ce qui crée l'intelligence ? Je dis Oui. La crise, le changement, le chaos. Sa voix se fit triste et visionnaire. Alors on ne trouvera personne de plus doué que nous.
Face à la ruine qu'était globalement le monde, une empathie accrue entraînaient une souffrance plus profonde. La vraie question. ce n'était pas pourquoi Robin dégringolait. C'était pourquoi nous restions, nous autres, si absurdement optimistes.
Qu'est-ce qui est plus grand d'après, toi ? L'espace du dehors... ? Il m'effleura le crâne du bout de ses doigts. Où celui du dedans ?
Un jour nous réapprendrons à nous connecter à ce monde vivant et l'immobilité sera comme un envol.
La vie va cuire; les mers vont monter. Les poumons de la planète vont lui être arrachés. Et la loi va laisser tout cela se produire, parce que le dommage n'aura jamais été assez imminent. Pour l'imminent, il est trop tard au rythme des humains. La loi doit considérer l'imminent au rythme des arbres.
C'est phénoménal, d'être une créature si petite, si faible, si éphémère sur une planète qui a encore des milliards d'années devant elle.
Quatre milliards d'années d'évolution, et c'est comme ça que ça va finir. Politiquement, concrètement, émotionnellement, intellectuellement : les humains, c'est tout ce qui compte, c'est le dernier mot. On ne peut pas mettre un terme à l'appétit humain. On ne peut même pas le ralentir. Même la stabilité coûte trop cher pour l'espèce.
Les yeux n'ont pas été conçus pour les usages triviaux qu'on leur impose et qui les usent, mais pour contempler la beauté à présent invisible.
Les enfants, les femmes, les esclaves, les aborigènes, les malades, les aliénés, les handicapés : tous au cours des siècles métamorphosés impensablement en personnes par la loi. Alors pourquoi les arbres, les aigles, les fleuves, les montagnes vivantes ne pourraient-ils pas faire un procès aux humains pour vol et dommages sans fin ? (...) Jusqu'à ce que la créature dépourvue de droits les acquière, nous ne pouvons la concevoir que comme une chose destinée à "notre" usage : à nous qui détenons déjà des droits. (...) Il serait vain de répondre que les rivières et les forêts ne peuvent avoir un statut légal sous prétexte qu'elles ne peuvent pas s'exprimer. Les entreprises non plus ne peuvent pas s'exprimer; pas plus que les Etats, les personnes morales, les nourrissons, les incompétents, les municipalités ou les universités. Ce sont des avocats qui s'expriment pour eux. (...) Qu'y a-t-il en nous qui nous donne ce besoin non seulement de satisfaire nos exigences biologiques de base, mais d'étendre notre volonté aux choses, de les objectifier, de les faire nôtres, de les manipuler, de les tenir à distance psychique ?
Si seulement les gens, comme certains invertébrés, viraient au cramoisi quand ils éprouvaient du désir. Ça rendrait l'espèce humaine tellement moins névrosée.
Mais l'espoir et la vérité importent peu aux humains sans l'utilité. Dans son barbouillage de mots gauche et godiche, elle cherche l'utilité du Vieux Tjikko, sur sa crête aride, qui sans fin meurt et ressuscite à chaque changement de climat. Son utilité, c'est de montrer que le monde n'est pas fait pour notre usage. En quoi sommes-nous utiles aux arbres ? Elle se remémore les paroles du Bouddha : un arbre est une créature miraculeuse qui abrite, nourrit et protège tous les êtres vivants. Il offre même de l'ombre aux bourreaux qui l'abattent. Et avec ces mots, elle tient la fin de son livre.
Les forêts affolent les hommes. Il s'y passe trop de choses. Les humains ont besoin d'un ciel.
Combien de temps faut-il pour connaître quelqu'un ? Cinq minutes, pas plus. Rien ne peut vous enlever une première impression. Cette personne sur le siège du passager, qui parcourt la vie avec vous ? Vous l'avez toujours prise en stop, prêt à la déposer plus loin.
Tu te rends compte où on est ?
Face à l'échec des traitements à soulager mon enfant, je développai une théorie farfelue : la vie est une chose qu'il faut cesser de vouloir corriger. Mon fils était un univers de poche dont je n'atteindrais jamais le fond. Chacun de nous est une experience en soi, et nous ne savons même pas ce qu'elle est censée tester.
Quel que soit le travail que tes mains peuvent faire, fais-le maintenant, car il n'y aura pas de travail pour toi à l'endroit qui t'attend.