Citations de Rosa Ventrella (110)
𝒯𝓇𝑜𝒾𝓈 𝒻𝑒𝓂𝓂𝑒𝓈 𝑒𝓃𝓁𝒶𝒸é𝑒𝓈 - 𝓊𝓃𝑒
𝓂è𝓇𝑒 𝑒𝓉 𝒹𝑒𝓊𝓍 𝒻𝒾𝓁𝓁𝑒𝓈 - 𝒹é𝒻𝒾𝒶𝒾𝑒𝓃𝓉 𝓁𝑒𝓈
𝒷𝑜𝓂𝒷𝑒𝓈, 𝓁𝒶 𝑔𝓊𝑒𝓇𝓇𝑒 𝑒𝓉 𝓁𝒶 𝒻𝒶𝒾𝓂, 𝓁𝒶 𝓂𝑜𝓇𝓉
𝒹𝒶𝓃𝓈 𝓁’â𝓂𝑒 𝑒𝓉 𝒹𝒶𝓃𝓈 𝓁𝑒 𝒸𝑜𝓇𝓅𝓈. 𝒥𝑒 𝓃’𝒶𝒾
𝒿𝒶𝓂𝒶𝒾𝓈 𝓈𝑒𝓃𝓉𝒾 𝓂𝒶 𝓂è𝓇𝑒 𝒶𝓊𝓈𝓈𝒾 𝒻𝓇𝒶𝑔𝒾𝓁𝑒 𝓆𝓊’à
𝒸𝑒𝓉 𝒾𝓃𝓈𝓉𝒶𝓃𝓉. 𝒥𝑒 𝓃𝑒 𝓁’𝒶𝒾 𝒿𝒶𝓂𝒶𝒾𝓈 𝒶𝓊𝓉𝒶𝓃𝓉
𝒶𝒾𝓂é𝑒.
Je sentais grandir en moi un deuxième corps, lové dans le premier comme une sous-couche dans ma chair, qui percevait les choses plus profondément, avait des intuitions, des pressentiments, donnait forme à l'enveloppe vague de sensations que le premier corps n'était pas en mesure de codifier.
Toutefois, ce qu'elle disait était clair. Plus les enfants grandissaient, plus leurs parents s'inquiétaient pour eux. les lois qui régissaient nos vies obéissaient à leur temporalité terrible, qui ne laissait aucun répit.
La honte, Angelina, c'est pour quelque chose que tu perds et que tu ne retrouves pas; Et tout le monde le sait. Tout le monde le voit. Tout le monde le sent, même si parfois tu ne sais pas toi-même ce que c'est.
Ce n'était peut-être pas des autres qu'il fallait me protéger, mais de mes propres rêves.
Je gagnais à la hâte la mer lisse et brillante.
Dans la vie, j’ai appris que chaque perte est différente, même si les mots d’adieu se ressemblent tous et qu’aucun cœur n’est assez grand pour contenir tous les adieux.
Je les avais remarqué ces regards qui parlaient une langue qui se passait de mots.
Quand je vois ma mère aujourd’hui je repense à ma grand-mère à la fin de sa vie, une nostalgie douce, liquoreuse, coule dans mes veines et fait monter mes larmes. Mais à l’époque j’avais vingt ans et je jouissais encore du sentiment d’immortalité de la jeunesse.
Quand je me concentrais sur sa voix, de l’autre côté du temps, le rythme de mon cœur ralentissait et chaque chose semblait prête à retrouver sa place. Mon sang se remit à couler dans mes veines. Il était vivant. Moi aussi j’étais vivante.
A cet instant précis il me sembla que juste là, dans le mal informe des murmures, des secrets et de la haine, naissait la ligne secrète, l’harmonie, la réponse à tout, le miracle d’une mère qui parmi mille gestes possibles choisit celui-ci et pas un autre, tendre et léger et nécessaire, en mesure d’expliquer l’inexplicable.
En ces jours de deuil, mon père avait perdu la beauté qui rendait sa peau lisse et faisait pétiller ses yeux. Son regard maussade et éteint évoquait celui de papi. Comme si tous les deux, en vieillissant, s’étaient réduits à l’essentiel.
Je suis l’écho d’un son lointain qui me ramène aux terres de mon enfance.
La laideur et la douleur étaient partout autour de moi. Je les retrouvais dans les recommandations des voisines : "ne t'approche pas de la mer quand elle est agitée, sinon elle va t'avaler." "Mange tes légumes sinon tu auras le scorbut et tu mourras" ; de mamie Antonietta : "fais ta prière du soir ou tu iras en enfer". "Ne dis pas de mensonges, sinon tu resteras naine"; de ma mère ; "si tu as de mauvaises pensées, Jésus te coupera la langue avant que tu t'en serves pour dire des cochonneries".
— C’est comme ça, Mari’, si tu lances un caillou à la mer tu le vois pas. Mais tous ensemble, au fond, regarde comme ils sont beaux, regarde comme ils brillent. Nous aussi, Mari’, on est comme les cailloux dans la mer. On brille que quand on est les uns avec les autres.
Faisait-il lui aussi partie de cet engrenage incontrôlable dans lequel nous allions tous finir ? Celui dans lequel la violence était juste, légitime et même héroïque.
Moi, ce qui m'affectait, c'était sa laideur. A cette époque, je considérais que ce qui était moche dehors l'était aussi dedans, mais surtout je craignais que ce ne soit infecté, fétide, pestilentiel, que la laideur soit une maladie contagieuse, capable de contaminer même les chiens.
Depuis un moment, Michele et moi rentrions ensemble de l’école. Je parlais de mon père, lui du sien. Nous découvrîmes que certaines anecdotes, une fois adoucies par le temps, pouvaient se révéler amusantes. Par exemple, je lui révélai que papa avait giflé maman parce qu’elle s’était fait faire une permanente par la mère d’Angelina : il soutenait que ses cheveux étaient beaux au naturel et qu’elle n’aurait pas dû les abimer avec ces cochonneries chimiques qui risquaient de la faire devenir chauve.
La vie nous avait transformés, à la fois endurcis et fragilisés, mais l'avenir nous attendait peut-être encore pour nous offrir une maison, une école , un coeur, une rose, un jardin d'hiver, un enfant qui nage dans l'eau claire. La beauté et la cruauté du monde. Tout.
Cette dernière affirmation m'effraya, mais je ne lui dis rien, cette fois non plus. J'entremêlai plus fort mes doigts avec les siens, signe d'une complicité qui remplaçait les mots.