Il est des enfants dont on dit: " il s'élève tout seul." mon frère avait été de ces prodiges. J'avais, au contraire, été de ceux que l'on couve indéfiniment pour avoir été de constitution délicate dans la petite enfance et en avoir gardé certains stigmates dans le physique, la tournure d'esprit, et, plus encore, dans la tête des parents.
-Merci , fit Jean-Noël avec un sourire amusé. Vous comprenez tout sans explication, vous.
-Pas tout, mais un jeune homme bien mis, genre ingénieur, qu'un employé de la gare m'envoie à cette heure-ci, où voulez-vous qu'il aille, sinon à l'usine. Faudra tout de même pas être trop pressé. Ma Prospérine, elle prend son temps. C'est du bon matériel. Du matériel d'avant-guerre. Seulement, elle est comme les gens qui ressentent les effets de l'âge. Dans la montée, elle est un peu poussive. Heureusement qu'à l'aller mes bidons sont vides.
"Genre ingénieur"......Jean-Noël l'aurait embrassé.
Temps maudits ! Depuis un an, la grande tempête de feu déferlait sur l'Europe et faisait vaciller le monde. La sinistre faucheuse s'en donnait à cœur joie. De mémoire d'homme, jamais elle n'avait connu pareille fête.
Dressée contre l'envahisseur, la France combattait pied à pied et comptait ses morts. De la Somme aux Vosges, il fallait tenir coûte que coûte.
Mais qu'aurait fait Paul Girod à lui seul? Il fallait autour de lui des concepteurs, des bâtisseurs, un encadrement, du personnel spécialisé et un grand nombre d'ouvriers peu qualifiés, ces derniers seuls pouvant, sauf exception, être recrutés sur place. La population des campagnes savoyardes n'étaient guère préparées, en effet, à autre chose qu'à des travaux ne requérant pas de qualifications. Dans sa très grande majorité, elle restait d'ailleurs sourde à l'appel de la corne.
"Est-ce que je fais ingénieur ?"