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Citations de Sabyl Ghoussoub (181)


Je me suis souvent demandé pourquoi on ne retourne pas vivre au Liban même si la réponse est en partie assez simple : c’est l’argent qui nous retient. J’ai quitté ce pays car je n’arrivais plus à y gagner ma vie. Mes parents ne sont jamais retournés y habiter car ils ne savaient plus, des années après leur départ, quel métier ils allaient pouvoir exercer pour vivre convenablement. Quand on fait partie de la classe moyenne, ce pays ne veut pas de nous, il nous détruit et nous broie à petit feu et si, en plus, nos métiers sont des métiers sans le sou, assistante pour ma mère, traducteur pour mon père, écrivain pour moi, on peut dire adieu à ce pays. Qu’on le veuille ou non, l’argent guide nos vies.
La peur d’une nouvelle guerre, aussi, me retient de retourner m’y installer. Chaque matin, je me réveille et je prie, avant de prendre mon portable et d’observer les notifications des journaux libanais, de ne pas lire ces trois mots : guerre, au, Liban.
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Un jour, Yala m’a dit : « Vous, les parents et toi, vous êtes des déracinés. » Elle a raison et il m’a fallu du temps pour accepter de l’être aussi alors que je ne suis pas né au Liban, que je n’y ai pas grandi comme mes parents. Certaines personnes ressentent ce déracinement, d’autres non et j’aurais beau continuer à écrire des livres, poser des questions, chercher pourquoi je me sens autant arraché, je ne trouverai jamais d’explication suffisante, satisfaisante, complète à cette question. Je suis déraciné, d’autres ne le sont pas. C’est ainsi.
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La guerre touchera le quartier de la librairie de mes oncles quand les chrétiens se tireront dessus entre eux. « Ces années sont les plus dégueulasses » me dit encore ma mère. Ce terme de « dégueulasse » , elle l’a employé tout le long de nos entretiens pour me décrire la guerre du Liban, si bien que, lorsque des Libanais devant moi ne s’accordent pas sur le nom à donner à cette guerre (certains la nomment : guerre par procuration, d’autres : la guerre pour les autres, la guerre civile, les guerres civiles, la guerre du Liban ou encore les guerres du Liban), je m’inspire de ma mère et je dis : « Guerre dégueulasse. Appelons-la la guerre dégueulasse. »
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– Allô maman, ça va ?
– Non, ça ne va pas, ça ne va pas du tout.
– C’était très dur ?
– Notre Liban. Feu, flamme et fumée. Des bombardements partout.
– Oui, et…
– Pas d’électricité. Pas de l’eau. On n’a rien, absolument rien. On a peur, tout le temps.
– Ils ont bombardé beaucoup ?
– Ils ont bombardé partout. Beyrouth, Achrafieh, les montagnes. […] Ils n’ont rien laissé.
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Me revient cette phrase de Shafic : « Je ne suis plus libanais, je n’arrive pas à être français. Nationalité : étranger, et en général je m’en porte très bien »
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Le président de la cour : Vous vous appelez Fouad Ali Saleh.
Fouad Ali Saleh : Je m’appelle la mort de l’Occident !
Le président de la cour : Vous êtes né en 1958 à Paris. Vous allez répondre devant ce tribunal d’association de…
Fouad Ali Saleh : C’est pas un tribunal ça ! C’est une loge maçonnique… Je m’appelle Abbas Moussaoui, comme le dirigeant du Hezbollah, tué au Liban par les sionistes.
Le président de la cour : Votre profession ?
Fouad Ali Saleh : Combattant terroriste.
Le président de la cour : Votre adresse ?
Fouad Ali Saleh : La planète Terre.
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Lors de la première séance, face à la cour, Fouad Ali Saleh, lunettes rondes, veste marron foncé, chemise blanche, avec dans la main un Coran, hurlait avant même qu’on déclare l’audience ouverte : « Le Hezbollah vous massacrera ! L’Occident crèvera de la main de l’Islam. Préparez vos cercueils ! Vous êtes les bourreaux des musulmans, les assassins des musulmans. À mort l’Occident criminel ! » Il regardait ensuite le substitut et poursuivait : « Ferme-la, toi ! Les juifs et les chrétiens n’ont pas le droit de parler quand un musulman s’exprime. L’Islam fera ta mort, Dieu t’écrasera. Assassin, fils de porc, bourreau ! Tu manges comme un porc, tu as déchiré le Coran ! Va au diable ! » Il concluait en s’adressant au président de la cour : « Fils d’un chrétien et d’une juive, je suis là pour t’écraser. Tu n’as pas le droit de parler. Tu crèveras comme un porc. Va au diable, va en enfer, je te poursuivrai, j’irai profaner ta tombe, je construirai des chiottes sur ta tombe ! Porc ! Juif ! Chrétien ! Porc ! Juif ! Chrétien ! Porc ! Juif ! Chrétien ! Porc ! Juif ! Chrétien ! »
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Alma me répète toujours la même chose : « C’est fou combien tu ressembles à tes parents. Moi, je ne ressemble pas tellement aux miens mais toi, tu es le même qu’eux, tu es le parfait mélange de ton père et de ta mère. » Je ne sais pas si je le fais exprès ou non mais Alma a raison, je leur ressemble de plus en plus et je m’en réjouis. Ils ne me quitteront plus jamais. Même après leurs décès, je n’aurai qu’à me regarder et m’écouter pour les retrouver dans mes gestes et mes mots. Ils continueront à vivre en moi.
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Alma aimerait voyager au Liban avec moi, ce que je refuse toujours. Je fais tout pour y retourner le moins possible, voire plus, croyant à la logique du « loin des yeux, loin du cœur ». J’ai aussi peur de m’y rendre. J’ai reçu de nombreuses menaces sur Facebook et par mail. Il est possible que je me fasse arrêter et emmener au tribunal militaire car j’ai osé, après la sortie de mon deuxième roman, dire publiquement avoir effectué un voyage en Israël. Peut-on encore appeler un pays « home » quand on a peur de passer la douane à l’aéroport ? Est-ce encore un lieu où l’on peut se sentir chez soi ? Étrangement, en France, je n’ai jamais eu peur de passer la frontière, alors qu’au Liban, même lorsque la police libanaise n’avait rien à me reprocher, j’ai toujours ravalé ma salive avant de donner mon passeport au douanier. Au Liban, jamais aucune loi n’a semblé me protéger. Pour Alma, c’est l’inverse. C’est ici, en France, qu’elle a peur. À l’aéroport de Beyrouth, elle se sent rassurée.
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M’est revenu en tête le titre Alone together. Il va si bien aux Libanais de la diaspora. Nous sommes éparpillés aux quatre coins du monde, alone together, unis par une seule et même tristesse de voir notre pays se décomposer et nous, nous éloigner de lui petit à petit. Seul WhatsApp nous lie encore à ce pays. Peu importe où nous nous trouvons sur Terre, nous n’avons qu’à ouvrir cette application et engager la conversation avec des amis libanais ou des membres de la famille pour nous y retrouver, un peu, au pays.
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On recense plus d’une centaine d’assassinats et une autre centaine de tentatives d’assassinats de journalistes, intellectuels et politiciens depuis l’indépendance du pays en 1943 jusqu’à aujourd’hui. Comme le caricaturiste libanais Mazen Kerbaj l’a si bien écrit sous l’un de ses dessins représentant un homme dont on décapite la tête : « Je pense donc je ne suis plus. »
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En France, de nombreuses personnes, quand elles apprennent que je suis libanais, ne peuvent s’empêcher de m’expliquer la situation du pays. Ce sont souvent des Français qui y ont voyagé une ou deux fois, au mieux vécu deux mois pour un stage ou une mission, qui ont « un ami libanais », « rêvent de retourner dans ce si beau pays aux gens si charmants et généreux » et me racontent que « dans les années soixante le Liban était la Suisse du Moyen-Orient ». Comme dirait mon père : « Vous envoyez un Français cinq jours en Chine, il reviendra spécialiste du pays et fera même des conférences sur le sujet alors que moi, je vis en France depuis plus de quarante ans et je serais bien incapable d’expliquer quoi que ce soit. »
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Tandis que j’écris ce livre [2020-2021], le Liban traverse une période dramatique de son histoire, « aux bombes près, c’est encore pire que pendant la guerre » m’a whatsappé mon oncle Habib qui ne quittera le pays pour rien au monde.
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Paris était devenue à la fin des années soixante-dix l’un des épicentres de la presse et du monde intellectuel arabe. Elle abritait grand nombre d’opposants politiques, de journalistes, d’écrivains exilés. « Paris permet d’écrire sans peur » avait même écrit un éditorialiste libanais.
« Dans les années quatre-vingt, me dit mon père, plus de quarante journaux arabes étaient édités à Paris et trente d’entre eux étaient libanais. Tu ne peux pas imaginer combien cette ville était devenue arabe et même libanaise. Pour rire, certains l’appelaient Beyrouth-sur-Seine. Contrairement aux autres journaux étrangers, la presse arabe et libanaise s’intéressait peu à ses communautés vivant en France, on écrivait nous pour le monde arabe ! Presque à chaque coin de rue, je croisais des amis journalistes. On avait aussi nos cafés où tu étais certain de croiser quelqu’un que tu connaissais, un habitué. Tout le monde venait ouvrir ici ses bureaux en France, se pensant à l’abri des attentats, des bombardements. »
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Quand on me demande lors de rencontres littéraires en France quelles sont mes inspirations, je réponds Ziad Rahbani. Le public et le journaliste restent généralement de marbre. Ils ne savent pas de qui je parle. Ce sont de grands moments de solitude. J’essaye ensuite tant bien que mal d’expliquer qui est Ziad, même si ses pièces ne seront probablement jamais traduites en français, et quand bien même elles le seraient, il sera impossible de retranscrire cet humour libanais et ses subtilités dans une autre langue. C’est à ce moment-là que je prends conscience du décalage avec mes confrères écrivains français de ma génération, nés en France, qui généralement, à la question des influences, citent Balzac, Laurent Gaudé ou Virginie Despentes. Mes références viennent d’ailleurs et beaucoup du monde arabe, pourtant j’ai grandi en France. J’ai alors l’impression bancale d’avoir grandi ailleurs tout en ayant grandi ici.
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Mon père détestait Hafez el-Assad mais encore plus Khomeyni. Il avait acheté le recueil qui reprenait en français des extraits des trois ouvrages en farsi où l’ayatollah exposait ses principes politiques, philosophiques, sociaux et religieux. Ce livre, je l’ai dans ma bibliothèque. Parfois je l’ouvre et j’en lis une page au hasard. Page 118, chapitre sur « la femme et ses règles » : « Sodomiser une femme menstruée ne nécessite pas de paiement. »
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J’interroge mes parents une à deux fois par semaine, je tiens un bon rythme, je les questionne individuellement. Ensemble, ils sont toujours très drôles mais c’est intenable, je n’avance pas, ils se contredisent constamment. Ils ne sont jamais d’accord sur la date, le lieu, l’événement, à croire que la réalité est toujours la fiction qu’on se raconte.
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Est-ce qu’écrire m’apaise ? Ou de nous retrouver enfin rassemblés sans que quiconque ne se dispute ? Sans parler politique, sans les luttes d’ego, sans les cris de mes oncles, de mon père, de ma mère et ses cousins, de Yala qui m’ont bercé enfant et adolescent ? D’ailleurs, d’où vient ce cri qu’ils ont en commun et qu’ils m’ont transmis ? Ce cri qui sort du fond des entrailles. Ce rugissement animal. De la guerre ? Je l’ai toujours pensé (et c’était une belle excuse) avant de rencontrer d’autres familles qui ont vécu cette même guerre mais ne crient jamais. Qui parlent, seulement parlent.
Avant de découvrir cette autre manière surprenante de s’exprimer, je croyais que la vie n’était faite que de cris. Il me semblait normal de hurler sur tout ce qui bouge.
Aujourd’hui, au seul retentissement d’un cri, je me recroqueville comme un enfant. Je fuis toute personne qui s’exprime ainsi. Je suis capable de ne plus jamais la revoir. Et s’il m’arrive encore de rugir ainsi, je me tais une semaine durant, comme pour faire le deuil de cet animal en moi. Je ne dis pas un mot. J’écris.
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Me revenaient en tête ces binationaux toutes origines confondues qui, de leur appartement parisien, expliquent quoi faire à leurs compatriotes restés ou coincés au pays. Rien ne m’agace plus que de voir ces intellectuels de pacotille se pavaner dans les stations de radio et les télévisions françaises à parler d’un pays où ils ne vivent pas ou plus.
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Les manifestants criaient d’une seule voix à la chute du régime mafieux. Trente ans après la fin de la guerre, la plupart des chefs de milice (à quelques exceptions près) qui y ont participé tiennent encore le pays. Si ce n’est pas eux, ce sont leurs enfants ou leurs cousins.
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