Citations de Sabyl Ghoussoub (181)
« Ces entretiens nous ont rapprochés. En me voyant, être si curieux de leur histoire, mes parents ont réalisé combien je les aimais et il est vrai que je les aime encore plus qu’avant car dans mon esprit ils sont devenus bien plus que des parents, ils se sont transformés en héros, en demi-dieu, en personnages de roman. »
Alma et moi sommes tombés amoureux. Je décidai qu’elle serait la mer qui m’avait toujours manqué à Paris et que, peut-être, vivre avec elle me rendrait moins triste et mélancolique.
Généralement quand ma mère invite des gens à la maison, mon père ne s’installe jamais à la table à manger, il préfère regarder la télévision libanaise, un match de catch ou un film porno. Si cela pose problème à quelqu’un, il lui conseille de rentrer chez lui.
Personne en France ne connaît la différence entre un Arabe et un autre, on ne fait aucune différence entre un Jordanien, un Irakien et un Libanais, ils sont mis dans le même panier, même les Iraniens pour une majorité de Français sont des Arabes.
Mon père, lui, ne se rend plus au cinéma car il s’endort au bout de dix minutes et se met à ronfler. Le dernier film devant lequel il n’a pas fermé les yeux, c’était un documentaire sur les Spice Girls, j’étais très jeune et il m’avait accompagné le voir. Au milieu du film, j’avais eu la nausée et nous avions dû quitter la salle. Je crois qu’il m’en veut jusqu’à aujourd’hui d’avoir interrompu sa séance.
Ils ne me quitteront jamais. Même après leur décès, je n'aurai qu'à me regarder et m'écouter pour les retrouver dans mes gestes et mes mots. Ils continueront à vivre en moi.
Est-ce que filmer ses parents, ce n'est pas déjà les tuer un peu ?
Je n'oublierai jamais l'odeur du bâton d'encens qu'il avait allumé avant d'appuyer sur la gâchette. Je n'oublierai jamais les traces de cervelles et de sang sur les murs.
J'ai trop peur de l'entendre fanfaronner sur ces faits de guerre et de lui en vouloir ensuite. Le silence nous protège.
Les policiers, les services de sécurité réquisitionnent le bureau de ma mère qui donne directement sur l’ambassade. Ils lui demandent de ne pas bouger. Elle n’arrête pas de répéter : « je ne veux pas mourrir en France, je veux mourrir au Liban, je veux mourrir au soleil. »
Mon père a été prévenu par un ami et s’est directement rendu sur les lieux. Arrivé sur place, il annonce être le mari de l’une des otages et demande à parler au responsable des opérations qui est tout de suite venu à sa rencontre. Mon père n’a rien trouvé d’autre que de lui dire : « Cher Monsieur, ma femme est à l’intérieur. Combien je vous paie pour que vous la gardiez en otage? »
Je vois l'appartement dévasté que je voulais offrir à mes parents dans Gemmayzeh. Il est parfois bon de rater des projets, de ne pas gagner trop d'argent. Si j'avais eu les moyens de l'acheter, mon père et ma mère auraient été probablement déchiquetés par l'explosion.
Ma mère aurait préféré qu'il ne vienne pas à Paris mais elle ne pouvait pas le lui dire : « Je n'ai pas voulu lui montrer notre appartement, il était petit et j'en avais honte. Il aurait été dérangé de nous voir vivre dans quelque chose de si étroit. Il ne pouvait pas s'imaginer ça. Je lui ai loué une chambre d'hôtel assez loin de chez nous et je l'emmenais diner chaque fois dans un restaurant. Je lui faisais traverser tout Paris pour ne pas passer chez moi mais il n'arrêtait pas d'insister, je l'ai donc emmené. Je me souviens qu'il a pleuré après avoir fait le tour de l'appartement, après avoir observé la table à manger sur des tréteaux, les chaises en bois récupérées dans la rue, la penderie. Il a pleuré et il n'a rien dit. À l'époque, nous n'avions pas de machine à laver alors il m'a accompagné à la laverie, il faisait froid.
Et il a encore pleuré quand nous nous sommes assis pour attendre que la machine se termine. J'aurais préféré qu'il ne vienne pas. Il ne pouvait pas comprendre, imaginer sa fille vivre ainsi, lui qui avait tant travaillé pour construire sa belle petite maison dans la banlieue beyrouthine avec, sur le toit, un jardin, des orangers, des oliviers, une petite ferme. J'ai vu dans son regard sa tristesse, son désarroi devant son incapacité à m'aider, à faire cesser la guerre au Liban, à me faire revenir dans son pays pour que je redevienne sa petite princesse. »
Sa mère lui manquait terriblement. Elles avaient toujours été très proches et vivre loin d'elle était un cal-vaire. Elle avait perdu sa confidente, sa meilleure amie, son âme sœur. Elle lui écrivait des lettres qui commençaient par Mama habibti, maman chérie, et se poursuivaient par des mots d'amour, des mots de manque, des mots déchirants. Ma mère pleurait quotidiennement de vivre loin de ses parents, de son pays. Elle n'en avait rien à faire de Paris.
Mon père n'est d'aucun milieu, d'aucun monde. Mon père est un homme seul, dans ce que la solitude a de plus grand. Je l'admire mon père. Un jour, je deviendrai muet comme lui.
Me revient cette phrase de Shafik : « Je ne suis plus libanais, je n’arrive pas à être français. Nationalité : étranger, et en général je m’en porte très bien »
Mes références viennent d’ailleurs et beaucoup du monde arabe, pourtant j’ai grandi en France. J’ai alors l’impression bancale d’avoir grandi ailleurs tout en ayant grandi ici.
Les histoires de famille ont détruit la seule utopie à laquelle ma mère croyait : la famille. « Il n’y a rien de plus important que la famille, Sabyl, me répète-elle, et tu sais, les gens comme nous, les exilés, les étrangers, il ne nous reste que la famille pour nous protéger, nous retrouver, nous réfugier.
M'est revenu en tête le titre Alone together. Il va si bien aux libanais de la diaspora. Nous sommes éparpillés aux quatre coins du monde, alone together, unis par une seule et même tristesse de voir notre pays se décomposer et nous, nous éloigner de lui petit à petit
Mon père n’est d’aucun milieu, d’aucun monde. Mon père est un homme seul, dans ce que la solitude a de plus grand. Je l’admire, mon père. Un jour, je deviendrai muet comme lui
En me voyant aussi curieux de leur histoire, mes parents ont réalisé combien je les aimais et il est vrai que je les aime encore plus qu'avant car dans mon esprit ils sont devenus bien plus que des parents, il se sont transformés en héros, en demi-dieux, en personnages de roman