Salvatore Basile

Michele repensa à la mémoire du membre fantôme, à ces doigts qui faisaient sentir leur présence. Il comprit que, au fond, cela fonctionne de même avec les personnes. Elles disparaissent, elles meurent ou simplement elles s'en vont. Pourtant souvent la mémoire les rend encore présentes, comme des fantômes.

vieillir est un privilège

Sa voix, utilisée sans préavis, sembla provenir du gargouillis d'un lavabo.

... En partant, il emportait aussi avec lui le temps des objets, et donc leur attente...

Michele comprit que les habitudes figent le monde et la vie

... les doigts du barbier parcoururent son crâne comme les pattes pressées d'une araignée

Hier est déjà passé et demain n'existe pas encore...

La vie ne finit jamais de faire des cadeaux, dit-elle d'une voix pétrie de tranquillité et de vieillesse. Parfois elle nous a apporté des douleurs dont nous nous serions passés. D'autres elle nous a fait goûter de grands moments de bonheur.

" Ne t'en fais pas... tout le monde croit que ceux qui essaient d'être heureux sont fous, dit Erastos en fixant une route imaginaire devant lui.
"Surtout quand ils construisent une voiture sur une terrasse sans sortie" pensa Michele.

— Tu reviens quand, maman ?
Elle inspire profondément, dévore l’air qui envahit ses poumons jusqu’à chasser tout résidu de faiblesse, tout regret. Les remords, non. Les remords, elle sait qu’elle devra les emporter, comme un bagage qui ne pourra jamais être défait ni mis en consigne.
— Je reviens… dès que je peux, murmure-t-elle.

C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué,
d’abandonner tous les rêves parce que l’un d’entre eux ne s’est pas réalisé,
de renoncer à toutes les tentatives parce qu’on a échoué…
Il y aura toujours une autre occasion,un autre ami, un autre amour, une force nouvelle.Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ.
Antoine de SAINT-EXUPÉRY.

Il céda en espérant qu’Elena s’en aille le plus vite possible. Avant qu’il puisse commencer à espérer qu’elle revienne. Parce que personne ne revient, même s’il l’a promis. Surtout s’il l’a promis.

La femme saisit sa valise et son profil se dessine, encore une fois, devant les yeux de l’enfant. Son nez fin, légèrement retroussé, ses yeux comme deux puits de pétrole, les vagues de ses cheveux châtains, l’essence cerise de ses lèvres : tout plonge dans la pénombre des stores baissés, tandis qu’elle se dirige vers la sortie.

Il regarda le plateau de la table où se reflétait la vitre d'une des fenêtres du train, dans laquelle on voyait la lune qui, à son tour, se découpa sur le meuble comme un napperon rond et lumineux.

Peut-être, une fois à Ferrosino, pourrait-il attendre l'après-midi pour monter dans le train du retour et rentrer chez lui, à sa vie tranquille, à ses sécurités. Néanmoins, quelque chose à l'intérieur de lui le poussait à ne pas renoncer : c'était l'étrange ébriété qu'il avait ressenti au moment où l'élastique s'était brisé. Se sentir en danger et, en même temps, libre. Comme si liberté et péril coïncidaient, pour une raison qui lui était encore obscure.

Pense seulement que la vie est toujours un risque, pour tout le monde.

Les chambres d'hôtel ont quelque chose de commun avec les wagons de trains; ce sont des parenthèses de la vie accordées en prêt, des lieux de transit pour des identités différentes et inconnues qui se relaient entre un départ et un retour, jour après jour, dans l'attente d'un réveil ou d'une arrivée. Ils appartiennent à tout le monde et à personne, comme le hasard. Ou le destin.

C'est la vie … elle donne et elle prend, selon comment la roue tourne.

Il comprit que, au fond, cela fonctionne de même avec les personnes. Elles disparaissent, elles meurent ou simplement elles s'en vont. Pourtant souvent la mémoire les rend encore présentes, comme des fantômes.

il avançait au sein d'une défaite qu'il savait qu'il méritait, comme s'il était né pour la subir, comme si son unique mission dans la vie était de se préparer au pire et de l'affronter, jour après jour, sans alternative possible. Quatre jours auparavant, quand il était parti, il était convaincu de pouvoir changer son destin: trouver des réponses, comprendre le pourquoi de son abandon. Maintenant il savait. Il voulait juste aller dire à sa mère qu'il avait capturé une vérité qu'il avait toujours refusé de saisir.

dans le fond, il est beau de ne pas avoir d'espoir ,tu sais, maman? C'est comme éteindre l'interrupteur de la douleur

Une fois seul, il ouvrit grande la fenêtre de sa chambre et sentit la Légèreté.Elle semblait apportée par le vent froid. Elle entra dans la pièce, voleta au plafond puis vint sur lui comme un jet d'eau tiède, à travers la laine de son pull, elle se glissa sous sa peau, entre les fibres de ses muscles et de ses vaisseaux sanguins, elle roula autour de ses os et l'envahit tout simplement. Il sentit l'odeur des montagnes crue et épicée, si différente de la douceur dense de la mer et du sel. Il sentit la nostalgie de chez lui, l'envie d'un lent retour à sa vie
Puis, dans son esprit il n'y eut plus qu'Elena.

Ce ne sont que des contenants de couleurs. Le noir est sombre. Le blanc est la lumière. Mais les couleurs, c’est autre chose… Une fois j’ai lu qu’en réalité n’importe quoi qui a une couleur contient toutes les couleurs de la lumière. Et la couleur qu’on voit n’est que la couleur que cette chose repousse. C’est-à-dire, cette veste verte est faite de toutes les couleurs, mais elle repousse le vert alors nous la voyons verte.

Je te prépare quelque chose et on dîne ensemble, d’accord ? Je sais cuisiner, hein ? Je me débrouille bien. Il y a quelque chose qui te plaît en particulier ?
Il aurait voulu dire que c’était elle, qui lui plaisait en particulier. Et que pour cette raison elle lui faisait peur. Une peur qu’il n’arrivait ni à vaincre ni à supporter.
Mais il se tut. Il la regarda ouvrir le frigo et rire aux éclats parce qu’elle n’y trouva que des œufs, des bouillons cube, quelques légumes et de l’eau minérale. Pas de vin. Pas d’alcool.