Ma motivation première en ouvrant Monsieur Gros Bidon était de lire un roman de Samuel Ornitz, un des « Dix d'Hollywood » convoqué en 1947 par la Commission sur les activités anti-américaines, comme Edward Dmytryk, et Dalton Trumbo. Le tort de Samuel Ornitz? Avoir soutenu des mineurs grévistes aux côtés de Dos Passos lors de l'Harlan County War, dans les années 30 et d'avoir milité à Hollywood contre le nazisme. Il refusa de dénoncer quiconque et écopa d'une année de prison. J'ai vu peu de films dont il était le scénariste ( Je me souviens vaguement des Déracinés avec John Wayne). Quant à Monsieur Gros-Bidon, (Haunch, Paunch and Jowl), sous titré "Comment devenir un Juif professionnel « , il fut présenté à sa sortie en 1923 comme l'autobiographie anonyme d'un juge.
Je me contenterais bien volontiers de reproduire ici l'excellente préface de Jérôme Charyn, intitulée « Les petits miracles de Meyer Hirsch », qui se termine sur ces phrases: « Monsieur Gros-Bidon possède toute la poésie rude et primitive de la rue. C'est un « road-novel » …qui ne quitte jamais le Lower East Side, et Meyer Hirsch est un picaro qui nous emmène sur des montagnes russes pour nous proposer des aventures pleines de punch et de surprises, comme si nous vivions le rêve de quelqu'un d'autre."
Il y a le New-York italien de Mario Puzo, le New-york afro-américain de Chester Himes, le New-York irlandais de Thomas Kelly. Le New-York juif de la Kosher Nostra est admirablement décrit dans Le roi des Juifs de Nick Toshes. Le roman d'Ornitz montre une autre facette du New-York ashkénaze. Meyer aurait pu prendre le chemin d'un Rothstein ou d'un Lansky, mais la clairvoyance du jeune garçon prendra vite le dessus et lui évitera de finir derrière les barreaux.
L'histoire de Monsieur Gros-Bidon débute dans un bateau qui emporte sa famille loin de la Russie des Tsars. Meyer, surnommé Ziegelle (ma bien-aimée petite chèvre) est né dans la cale du voilier où il a été allaité par une chèvre. Comme tous les nouveaux arrivants, la famille Hirsch survit ensuite dans les taudis du Lower East Side, au milieu d'autres juifs venus d'Europe centrale. Avant de devenir le Gros-Bidon, ce juge grassouillet et corrompu, en cheville avec la mafia, Meyer est un enfant des rues. Certes il va à l'école publique et au cheder, mais il préfère de loin traîner avec sa bande, affronter les Irlandais, et faire son apprentissage de magouilleur. La figure tutélaire de Meyer est son oncle Philip, qui a très tôt décidé qu'il ne serait le larbin de personne. Meyer veut lui aussi passer de l'autre côté, devenir un Américain prospère en faisant carrière dans le droit: «Je suis avocat, politicien, champion du ghetto et membre d'une douzaine de loges, associations et sociétés de bienfaisances juives. Je suis devenu un Juif professionnel pour rivaliser avec l'heureux politicien irlandais dont le principal capital est d'être un Irlandais professionnel… »
Monsieur Gros-Bidon est un bon roman d'apprentissage qui s'inscrit dans le Courant de conscience. Ornitz fait de Meyer le narrateur de son histoire, cru, cynique, athée. Le roman est aussi un excellent témoignage sur le Lower East Side des années 30, et sur l'évolution d'une population qui, née sur le sol américain, veut rompre avec l'histoire de ses parents et de ses grands-parents. « Meyer, nous n'avons rien non plus derrière nous. C'est donc à nous de devenir des ancêtres », lui déclare son oncle Philip, et c'est ainsi que naîtra Gros-Bidon, prospère, véreux, bénissant le roi dollar.
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politique, mafia, pauvreté, réussite tous les ingrédients d'une histoire vraie dans une Amérique qui se cherche, qui se construit sur les hommes , les idéaux et les coups bas
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