Tout le monde connaît aujourd'hui la ville de Ciudad Juarez, Etat de Chihuahua, sur la rive droite du Rio Grande. Autrefois refuge de l'armée de Suarez, elle est devenue La Ville des Mortes, une zone de non droit, où environ 2000 cadavres de femmes ont été trouvés depuis 1993.
Dans son 2666, Roberto Bolaño consacrait « La Partie des crimes » à Ciudad Juarez, devenue sous sa plume Santa Teresa. Dans cette fiction un journaliste de la Razon arrivait de Mexico pour écrire la chronique du Pénitent.
Cet homme, Sergio González Rodríguez, n'est pas qu'un personnage de roman, il est journaliste, auteur Des os dans le désert, remarquable essai sur le féminicide de Ciudad Juarez, et a longtemps correspondu avec l'auteur chilien.
Dans son ouvrage, le journaliste mexicain montre que depuis plus de 20 ans, après l'indifférence, les enquêtes bâclées de la police locale, après les vagues sursauts des autorités, les actions des familles, la fabrication de faux coupables censés calmer l'opinion publique, et malgré l'intervention du F.B.I., la pression internationale, les rapports de l'O.N.U., « la machine à exterminer les femmes a continué de tuer ».
Il dit l'échec total des institutions, l'indifférence des autorités, l'absence d'un état de droit, face à la gestion de ce féminicide unique de par son ampleur. Il met le doigt sur les liens étroits qui unissent les forces de police, les hommes politiques et les puissants cartels de drogue, qui gangrènent la société et l'économie mexicaine. Que représentent les fillettes et les femmes pauvres face aux sommes colossales qui découlent du blanchiment de l'argent sale, cette manne qui achète, corrompt et tue?
La « desgracia » de ces femmes, en plus de vivre dans une société patriarcale, est d'être nées ou de travailler dans une zone frontalière, réservoir inépuisable de main d'oeuvre exploitée dans les maquiladoras, paradis de la sous-traitance dont se moque son puissant voisin. L'industrie épuise, l'industrie extermine: "A Ciudad Juarez, la survie est un cadeau suprême ».
Des os dans le désert n'est pas une oeuvre de plus consacrée aux oubliées de Juarez et aux narcos dont les « exploits » nourrissent depuis des années les rancheras, les romans et les films ultraviolents. Derrière son colossal travail de recherche, derrière la stricte observation des faits, derrière l'analyse factuelle la plus minutieuse à la froide lueur de la raison, l'humanité et l'empathie de Sergio González Rodríguez transparaissent à chaque page.
Menacé de mort au cours de son enquête, il poursuit son travail au nom des centaines de femmes et de fillettes violées, battues, assassinées, abandonnées dans des terrains vagues. En témoigne le poignant chapitre « La vie interrompue », triste et longue litanie, 17 pages de patronymes, ceux de femmes mortes dont les cadavres on été répertoriés entre 1993 et 2002.
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« L’Homme sans tête » est une « fiction factuelle » empruntant tant à l’enquête journaliste qu’à la littérature. Il en résulte un livre inclassable, au croisement des genres, puisant dans des matériaux extrêmement divers (Interviews, souvenirs personnels, sciences humaines, mythologie, analyses d’œuvres artistiques, etc.) et mêlant des formes de narration différentes, tantôt journalistiques ou tantôt littéraires et souvent indéfinissables.
Rodriguez mène ici une réflexion, aussi dense que bien documentée, sur la décapitation au Mexique, une forme d’exécution devenue courante lors des règlements de compte entre Cartels de la drogue. L’auteur décortique les procédés à l’œuvre dans de tels actes : Réification des corps. Esthétisation et ritualisation de la violence contemporaine (au Mexique mais il cite également des exemples de décapitation tout à fait similaire lors de la guerre en Irak). Corruption généralisée des institutions policière, judiciaire ou politique. Culture de la peur. C’est effarant, choquant, révoltant.
Ce livre est une lecture éprouvante. Certaines descriptions de vidéos de décapitation diffusées sur Internet par les Cartels de la drogue sont dérangeantes, pénibles même mais absolument pas gratuites. La claque est d’autant plus grande que tout cela paraît invraisemblable. On peine à imaginer que cela existe vraiment et tout le mérite de Rodriguez est de nous secouer et de nous rappeler cette violence trop souvent invisible. L’auteur a aussi l’infime mérite de ne pas analyser ces décapitations « hors sol » : c’est en pensant les marges qu’on pense les normes. Ces violences inouïes sont ainsi mises en relation avec notre fascination pour les extrêmes (cinéma gore à la Saw par exemple), le recul de la rationalité ou bien encore la déshumanisation croissante des corps (Abu Grahib).
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Tout comme bien des français , bien peu au fait des méfaits des régimes politiques Sud-Américains , j'ignorais tout de ces féminicides , ce livre est donc instructif car démontrant la complicité entre le pouvoir corrompu et le banditisme , mais que c'est mal écrit ! Pour plus ample information , consulter l’excellente liste mise au point par Pecosa : "Frontières , homicides et Narcoliteratura "
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Très dur, très glauque et assez déroutant. Ce "roman journalistique" (qui n'a du roman qu'une certaine façon de rendre compte des évènements) évoque les multiples meurtres de femmes qui ont eu lieu à Ciudad Juàrez sur une période de quinze ans, à cheval entre la fin du XXème siècle et le début du XXIème.
Dépeignant ainsi les travers de la société mexicaine et les liens inextricables entre trafiquants de drogue, personnalités politiques et économiques ainsi que des rituels antiques, ce livre résonne comme une descente aux enfers qui semble sonner le glas d'un pan de la société au Mexique.
Souvent choquant, parfois révoltant, il n'en reste pas moins un témoignage rare et nécessaire des atrocités commises envers les femmes de Ciudad Juàrez et de toutes les villes mexicaines proches des maquiladoras, ces usines situées de l'autre côté de la frontière avec les USA, en général.
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Ce livre n’avait aucune chance de tomber entre mes mains sans la lecture d’une newletter d’une librairie près de chez moi. Ce livre est une enquête journalistique sur le massacre de 43 étudiants à Iguala le 26 septembre 2014. L’auteur a fait cette enquête pour déterminer les causes réelles de la mort de ces jeunes. La restitution de ce massacre sert de porte d’entrée pour nous parler de la politique du Mexique et notamment de sa lutte contre les narcos trafiquants. La pauvreté, les guerres entre gangs, la corruption et la violence quotidienne sont autant de facteurs qui expliquent pourquoi ces jeunes ont trouvé la mort dans des conditions atroces.
J’ai trouvé ce récit très intéressant même si le début m’a laissé un peu confuse puisque je ne connais pas très bien le Mexique et sa politique.
J’ai également eu l’impression de lire non pas un documentaire sur la mort de ces 43 étudiants mais plutôt un essai sur la violence au Mexique et son Histoire.
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