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Critiques de Siegfried Kracauer (17)
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Rues de Berlin et d'ailleurs

Ce livre de Siegfried Kracauer est plutôt inclassable. Il regroupe des articles parus dans le "Frankfurter Zeitung" de 1926 à 1932. Ceux-ci concernent surtout Berlin bien que d'autres villes, comme Paris, soient aussi évoquées. Certains montrent avec beaucoup de réalisme la misère qui régnait à Berlin où s'était considérablement accrue la foule des mendiants et des chômeurs. D'autres adoptent un style plus poétique et avant-gardiste. La modernité de Berlin est aussi signe de solitude et d'illusion, une menace est de plus en plus perceptible. Sous des décors urbains plus ou moins ordonnés des puissances secrètes agissent. L'atmosphère si particulière de Berlin à l'époque de la république de Weimar est parfaitement retranscrite ici dans des articles où se révèlent un grand humanisme en même temps qu'un certain goût pour l'étrange.
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Rues de Berlin et d'ailleurs

Les différents textes composant la matière de cet ouvrage ont été rédigés entre 1925 et 1932, avant le départ de Siegfried Kracauer d'Allemagne en mars 1933. Certains d'entre eux sont emprunts d'une étonnante modernité. D'autres font ressurgir un monde entièrement disparu qui participe, à la manière d'un négatif, à nous révéler le notre. Il faut un certain temps pour s'habituer et pleinement mesurer la valeur de la forme expressive de Kracauer. Son écriture, qui dans un premier temps peut sembler confuse, procède par associations successives qui finissent par dévoiler la grande richesse de leur contenu. Si bien que, dans un processus que l'on retrouve au contact de toutes les grandes œuvres, c'est notre regard sur les choses qui se modifie au cours de cette lecture; nous laissant deviner le foisonnement invisible au-delà de l'immédiateté. A l'égal de celle de son ami Walter Benjamin, avec laquelle on découvrira de nombreux points communs, il faut redécouvrir l’œuvre si diversifiée de Siegfried Kracauer qui reste en France très largement sous-estimée.
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De Caligari à Hitler : Une histoire psycholog..

Caligari, Mabuse, M le Maudit, Liliom, Metropolis...le cinéma expressionniste allemand , avec ses monstres dictatoriaux, ses fous psychopathes assoiffés de sang et de pouvoir annonçait déjà- même avant le coup d'état manqué de Hitler - une sorte d'attente angoissée du monstre historique qui allait mettre l'Europe à feu et à sang, faire des millions de morts, mettre en œuvre la plus folle entreprise de génocide à grande échelle avec l'obéissance la plus zélée et aveugle qui soit.. y compris chez les peuples soumis et occupés...



L'essai de Kracauer, publié dès 1947 aux USA où ce critique cinématographique s'était exilé- et tardivement traduit en français pour L'Age d'Homme - fait flèche de tout bois -marxisme, psychanalyse, histoire, philosophie- pour expliquer à travers les images incroyablement abouties et révélatrices du cinéma expressionniste la réalité complexe de la mentalité allemande entre les deux guerres mondiales.
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De Caligari à Hitler : Une histoire psycholog..

L'ouvrage de Siegfried Kracauer est un incontournable pour qui s'intéresse aux débuts du cinéma, et en particulier au cinéma allemand des années vingt.

La période expressionniste, qui a vu le jour sous les traits du docteur Caligari, est née de la première guerre mondiale et du traité de Versailles qui a coupé du monde l'Allemagne, lui interdisant de bénéficier de la production cinématographique que les Français et l'Amérique lui offraient jusqu'alors.

Le contexte politique post conflit a également modelé les mouvements artistiques de l'époque dont le cinéma, et l'auteur nous décrit, à travers l'exemple des films produits entre 1919 et 1933, la psychologie du peuple allemand.

De la balbutiante république de Weimar à l'accession au pouvoir des nazis, on retrouve dans les films de l'époque tout ce qu'a pu ressentir la population de frustration, de peurs et d'espoir.

Les films cités sont tous reconnus aujourd'hui comme des chefs d'œuvre et permettent de mieux comprendre une époque et de mieux cerner le mouvement expressionniste qui ne dura finalement que quelques années, de 1919 à 1924.

On retrouve, et parfois on découvre, au détour des pages de cet ouvrage des piliers de l'Histoire du cinéma et des productions qui illustrent parfaitement cette époque difficile. On y trouve des films qui, outre leur intérêt artistique, présentent un très grand intérêt documentaire, tel Berlin ou la symphonie de la grande ville qi n'offre que des images d'une ville qui s'éveille et qui vit.

On voit ensuite la production cinématographique de l'époque avec un œil plus averti et avec un contexte bien plus complet.

A recommander aux cinéphiles
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Sur l'amitié et autres écrits

L'essai qui donne le titre à ce livre date de 1915, c'est à dire qu'il remonte à un peu plus d'un siècle. Ce n'est pas sans conséquence car il est clair qu'il évoque une matière encore vivante, qui imprégnait encore la structure sociale. "Il est des mots qui pendant des siècles vont d'une bouche à l'autre sans que leur contenu sémantique n'apparaisse jamais clairement et précisément à notre oeil intérieur. En eux se cachent l'expérience des générations antérieures, le cours inépuisable de la vie et d'innombrables événements , et il est étonnant que des enveloppes verbales qui transportent une telle abondance conservent toujours leur valeur ancienne, perdurent et se laissent encore charger d'un contenu nouveau. Ils sous-tendent notre vie toute entière, nous pensons avec eux et nous présupposons leur unité malgré la multiplicité indéfinie qui tremble en eux."

Le mot Amitié reste ainsi bien connu en notre contemporanéité. Toutefois, si son contenu sémantique pouvait déjà apparaître difficile à saisir à Sigfried Kracauer s'y appliquant, il ne fait guère de doute que c'est encore avec beaucoup plus d'embarras que nous en interpréterions le sens et en chercherions l'expression effective en notre sociabilité terriblement déclinante. C'est que la domination marchande a depuis étendu partout son règne, s'est mondialisée comme l'on dit, y a imposé son mode relationnel. Un mode relationnel très étrange et paradoxal quand l'on veut bien encore y penser puisqu'il peut se résumer en un autre mot : la séparation. Alors, bercés en nos confortables illusions dissimulatoires, nous cherchons à nous leurrer en parlant souvent de "nos amis". Mais qu'en est-il la plupart du temps ? Dans les faits, nous voulons simplement parler de copains, de collègues, de vagues fréquentations sans conséquence et sans engagement, des "amitiés" numériques que l'on peut effacer d'un index distrait à la moindre divergence.



Kracauer disait donc "Les hommes aiment disparaître sous leur surface; se soumettant aux petites choses, ils laissent périr les plus grandes. Voilà pourquoi de nombreuses amitiés qui auraient mérité un meilleur sort échouent pour des bagatelles et des incompréhensions à moitié imaginaires." Il faut croire qu'il visait juste car avec notre Société du Spectacle, les hommes ont si bien su disparaître sous leur surface que de l'amitié, en l'occurrence, il ne reste quasiment rien - si l'on ne veut pas se contenter de l'écume des choses.



Kracauer disait aussi : "L'amitié éduque les moeurs." Oui, on comprend mieux où nous en sommes
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Jacques Offenbach ou le secret du Second Em..

Passionnante et célèbre biographie d'Offenbach par le non moins célèbre Siegfried Kracauer qui raconte la genèse et l'essentielle de l'oeuvre du compositeur, mais aussi son inscription dans l'époque et ce que cette oeuvre en dit : relation avec le pouvoir du 2nd Empire, satire sociale, parodie de l'opéra... Un texte très renseigné de Kracauer qui fait office de réflexion politique et musicale... A lire sans hésiter...
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Théorie du film : La rédemption de la réalité matérie..

Le terme directeur de Théorie du film est celui de réalité matérielle. Pour Siegfried Kracauer, un film n’est fidèle au médium cinématographique que s’il nous permet d’appréhender la réalité sous quelque forme qu’elle soit. Un metteur en scène devra donc mettre en œuvre son talent pour nous montrer le monde physique tel qu’il existe et le mettre en évidence grâce aux procédés cinématographiques. Ainsi un gros plan nous mettra en évidence des détails qui ne nous seraient pas accessibles à l’œil nu et un plan large mettra en valeur des éléments clé que notre vision n’embrassera pas forcément dans son ensemble.



C’est pourquoi les intrigues de types théâtral et les adaptations verbeuses de roman ne sont pas, selon Siegfried Kracauer, des formes adaptées au médium qu’est le cinéma, et qui est né dans la droite continuité de l‘art photographique. Les conceptions développées dans Théorie du film ne sont donc pas forcément très classiques, et certaines ont dû faire débat. L’essai n’était déjà pas très moderne à la date de sa sortie : l’auteur fait majoritairement référence à des films du débuts du cinéma aux années 1930 ou 1940, et affiche clairement sa préférence à l’ère du muet.



Pour Siegfried Kracauer, le passage au parlant, en ce qu’il a permis à certains films de donner une place prépondérante aux dialogues par rapport aux images, constitue presque un contresens par rapport aux visées initiales du cinéma. L’essai est ardu, il possède de nombreux développements théoriques peu faciles à intégrer et fait référence à tant de films qu’il est difficile de tous les connaître. Théorie du film n’en reste pas moins un outil riche et fortement intéressant pour les critiques et les amateurs de cinéma cherchant à développer quelques concepts qui mettent le cinéma en perspective avec son époque et les autres arts.
Lien : http://lecinedeneil.over-blo..
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Jacques Offenbach ou le secret du Second Em..

Un grand merci à Klincksieck Éditions et à Masse Critique pour m'avoir adressé ce livre.

Cette biographie, parue en 1937, replace la vie de Jacques Offenbach dans les cadres sociologique, politiques et économiques de son époque, de ses débuts difficiles sous Louis-Philippe à sa fin quasiment ruiné sous lé troisième république en passant par ses succès "mondiaux sous le second empire ; ce qui lui valut la réputation d'être le représentant de Napoléon III alors que ses œuvres ne cessent de critiquer, parodier la société et les mœurs de cette époque.

Quelle destinée que celle d'Offenbach qui épris de théâtre créa l'opérette alors que son rêve le plus cher était de composer un opéra qui fut joué et lui amène la reconnaissance de tous. Cet opéra, il le composera (Les contes d'Hoffmann) mais la mort l'empêchera de le voir joué et d'exaucer son rêve le plus profond.

L'originalité de cette biographie est d'être aussi bien un livre d'histoire qu'une biographie et en fait tout l'intérêt.
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Théorie du film : La rédemption de la réalité matérie..

Plus qu'une théorie du film, c'est une théorie des médiums, du théâtre, du roman et de la vie. "Théorie du film" est dans la filiation et pleinement à la hauteur "DU LAOCOON ou des limites respectives de la poésie et de la peinture" de Lessing, dans la pertinence qu'il met en oeuvre pour attribuer de justes spécificités à chaques médiums. Une des bonnes habitudes que peu donner ce livre, ce serait de ne plus considérer qu'un film est bon ou pas bon, mais de pouvoir envisager la qualité d'un moment particulier d'un film, ou d'un de ses parti pris. La théorie du film n'est jamais dogmatique, une fois le principe posé de la correspondance aux spécificités du médium, Kracauer trouve des exceptions, des auteurs qui cherchent et qui trouvent et qui trouve des solutions plastiques à des problèmes insolubles. Mais ce livre de Kracauer n'est pas qu'une théorie, c'est aussi une liste de film. 300 films sont évoqués, certains sont plus approfondis que d'autres. Regardez chaques films dont une image est publié dans Théorie du film et vous aurez une sélection des film qu'il faut avoir vu avant de mourir (pour la période allant de 1895 à 1966). Et plus qu'un livre sur le cinéma, c'est un essai de philosophie politique, avec un épilogue qui résume la fin des croyances collectives et des idéologies depuis le 19eme siècle et les divers positionnements par rapport à ce constat pour finir par revenir sur la fonction du cinéma dans ce contexte.
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L'ornement de la masse : Essais sur la mode..

Textes très riches avec une très belle forme littéraire. À lire plusieurs fois pour en peser tout le contenu, mais cela peut aussi être lu comme de la poésie.
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De Caligari à Hitler : Une histoire psycholog..

Babelio ne prenant pas les photos, je vous indique à lire cette fiche sur mon forum Nota Bene, à l'adresse ci-dessous :



http://notabene.forumactif.com/le-cine-club-de-nota-bene-f87/de-caligari-a-hitler-siegfried-kracauer-t2489.htm



Merci. ;o)
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Jacques Offenbach ou le secret du Second Em..

Merci à Masse critique et Klincksieck Éditions pour m’avoir fait découvrir cet essai sur Offenbach.



Au-delà d’une simple biographie, c’est un essai sur tout le second empire depuis la genèse de la prise de pouvoir jusqu’au milieu des années 1870. D’Offenbach je connaissais les contes d’Hoffman et la Vie parisienne, autant dire pas grand-chose. Pour moi, il était synonyme de légèreté et créateur du Cancan. Du second empire, j’avais la vision des expositions universelles, des crinolines imposantes et de la montée de la bourgeoisie industrielle... et Badinguet!



J’avoue avoir beaucoup appris sur une époque finalement assez peu étudiée à l’école. L’auteur en mettant en parallèle la vie et les ambitions d’Offenbach analyse habilement la politique et la société parisienne nantis du XIX siècle. On est loin de Zola ou des Misérables. Le prisme de l’auteur se concentre sur une seule classe de la société. Le mouvement ouvrier est un peu évoqué mais très vite balayé par le récit de fêtes hallucinantes des Boulevards et de Paris. Je trouve cela un peu dommage et du coup cela me laisse sur un goût d’inachevé. Mais ce choix délibéré met bien en exergue la personnalité du compositeur ambitieux.



Dense mais fluide dans l’écriture, cet essai est assez facile à lire, même si quelque fois les situations semblent se répéter, et comme une valse, peut étourdir un peu.
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Correspondance 1923-1966

Malgré la présentation austère, les caractères minuscules et l’absence d’index, ce livre est un témoignage saisissant de l’entrelacs entre amour et pensée.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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Politique au jour le jour

De 1930 à 1933, le philosophe juif-allemand s'inspire de la photographie pour tirer le portrait d’une société basculant vers la catastrophe.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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Les employés

Le lecteur français redécouvre aujourd’hui certains aspects de l’œuvre de Kracauer qui permettent de mieux situer son entreprise sociologique. Un retour précis sur l’histoire de la réception du texte Les Employés par Adorno, Bloch et Benjamin apporte un éclairage à l’élan vers le réel opéré par l’observateur satiriste.
Lien : http://www.laviedesidees.fr/..
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L'ornement de la masse : Essais sur la mode..

Critique de Hervé Aubron pour le Magazine Littéraire



Que pensons-nous de la cérémonie de clôture des Jeux de Pékin ? De la Star Academy ? Des jeux vidéo ? Des sites pornographiques ? À vrai dire, pas grand-chose. Face à la culture dite de masse, nous sécrétons certes des opinions mais toujours bien peu de concepts. Sous la République de Weimar, un critique allemand est déjà ulcéré par cette inconséquence intellectuelle, en quête d'une troisième voie entre populisme et mépris : « Si faible que soit la valeur qu'on attribue à l'ornement de masse, il se situe, d'après son degré de réalité, au-dessus de ces productions artistiques qui continuent à cultiver dans des formes du passé de grands sentiments périmés [...]. Se tourner vers elles, c'est fuir devant la réalité. » Siegfried Kracauer (1889-1966) fut chroniqueur au Frankfurter Zeitung, avant de fuir l'Allemagne, en 1933, pour New York, qu'il ne quitta plus. Comme son ami Walter Benjamin, Kracauer fut un précieux anthropologue de l'industrie culturelle, dans le même temps annexé et mésestimé par l'asphyxiante école de Francfort (Horkheimer, Adorno). Benjamin qualifia Kracauer de « chiffonnier » de la modernité : un compliment dans sa bouche, puisqu'il se considérait lui-même comme tel, archéologue du temps présent et de sa pacotille. Si, contrairement à Benjamin, Kracauer survécut à la Seconde Guerre mondiale, son aura est plus limitée, exception faite de De Caligari à Hitler (son essai le plus connu, sur le cinéma expressionniste). Le recueil L'Ornement de la masse n'avait pas été, jusqu'à aujourd'hui, intégralement traduit en français. Dans ces textes, écrits durant les années 1920-1930, Kracauer appelle à regarder en face la marchandise culturelle, qui rend visible et peut-être lisible l'abstraction de la modernité capitaliste. Annonçant les Mythologies de Barthes, son oeil attentif est fasciné par la génération spontanée des formes industrielles - arabesque globalisée sans auteur circonscrit, tout aussi vide que directement connectée à l'économie. Kracauer est notamment capable de considérer un hall de grand hôtel comme l'accomplissement paradoxal de l'esthétique kantienne ou de choisir comme objet d'étude les chorégraphies géométriques d'une compagnie populaire, les Tiller Girls.

Le dernier livre de Jacques Rancière prolonge à sa manière, de nos jours, cette lignée intellectuelle, cherchant à articuler intimement l'art et le politique. Le Spectateur émancipé poursuit l'ambitieux projet esthétique qu'il trace depuis plusieurs années. Il consiste notamment à « dépénaliser » la passivité des spectateurs d'images, en en faisant, aux côtés du principe d'activité de l'ancien âge de la représentation, l'un des deux pôles indispensables de l'expérience esthétique. Le philosophe souligne au passage la permanence de cette alternative stérile entre relativisme et élitisme culturels que Kracauer cherchait à dépasser. De manière éclairante, Rancière renvoie entre autres dos à dos, sur la question de l'image, les commentateurs de gauche et de droite, qui se rejoignent dans une même iconophobie aveugle. À gauche, ce sera une mélancolie ironique ou une sempiternelle mythologie du complot (l'image toujours présumée coupable de manipulation). À droite, il s'agira plutôt de remettre en cause, à travers l'hédonisme imagier, une dérive de la démocratisation culturelle : « La déploration de l'excès des marchandises et des images consommables, ce fut d'abord un tableau de la société démocratique comme société où il y a trop d'individus capables de s'approprier mots, images, et formes d'expérience vécue. [...] La dénonciation des séductions mensongères de la "société de consommation" fut d'abord le fait de ces élites saisies d'effroi devant les deux figures jumelles et contemporaines de l'expérimentation populaire de nouvelles formes de vie : Emma Bovary et l'Association internationale des travailleurs. »
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L'ornement de la masse : Essais sur la mode..

Critique de Hervé Aubron pour le Magazine Littéraire



Que pensons-nous de la cérémonie de clôture des Jeux de Pékin ? De la Star Academy ? Des jeux vidéo ? Des sites pornographiques ? À vrai dire, pas grand-chose. Face à la culture dite de masse, nous sécrétons certes des opinions mais toujours bien peu de concepts. Sous la République de Weimar, un critique allemand est déjà ulcéré par cette inconséquence intellectuelle, en quête d'une troisième voie entre populisme et mépris : « Si faible que soit la valeur qu'on attribue à l'ornement de masse, il se situe, d'après son degré de réalité, au-dessus de ces productions artistiques qui continuent à cultiver dans des formes du passé de grands sentiments périmés [...]. Se tourner vers elles, c'est fuir devant la réalité. » Siegfried Kracauer (1889-1966) fut chroniqueur au Frankfurter Zeitung, avant de fuir l'Allemagne, en 1933, pour New York, qu'il ne quitta plus. Comme son ami Walter Benjamin, Kracauer fut un précieux anthropologue de l'industrie culturelle, dans le même temps annexé et mésestimé par l'asphyxiante école de Francfort (Horkheimer, Adorno). Benjamin qualifia Kracauer de « chiffonnier » de la modernité : un compliment dans sa bouche, puisqu'il se considérait lui-même comme tel, archéologue du temps présent et de sa pacotille. Si, contrairement à Benjamin, Kracauer survécut à la Seconde Guerre mondiale, son aura est plus limitée, exception faite de De Caligari à Hitler (son essai le plus connu, sur le cinéma expressionniste). Le recueil L'Ornement de la masse n'avait pas été, jusqu'à aujourd'hui, intégralement traduit en français. Dans ces textes, écrits durant les années 1920-1930, Kracauer appelle à regarder en face la marchandise culturelle, qui rend visible et peut-être lisible l'abstraction de la modernité capitaliste. Annonçant les Mythologies de Barthes, son oeil attentif est fasciné par la génération spontanée des formes industrielles - arabesque globalisée sans auteur circonscrit, tout aussi vide que directement connectée à l'économie. Kracauer est notamment capable de considérer un hall de grand hôtel comme l'accomplissement paradoxal de l'esthétique kantienne ou de choisir comme objet d'étude les chorégraphies géométriques d'une compagnie populaire, les Tiller Girls.

Le dernier livre de Jacques Rancière prolonge à sa manière, de nos jours, cette lignée intellectuelle, cherchant à articuler intimement l'art et le politique. Le Spectateur émancipé poursuit l'ambitieux projet esthétique qu'il trace depuis plusieurs années. Il consiste notamment à « dépénaliser » la passivité des spectateurs d'images, en en faisant, aux côtés du principe d'activité de l'ancien âge de la représentation, l'un des deux pôles indispensables de l'expérience esthétique. Le philosophe souligne au passage la permanence de cette alternative stérile entre relativisme et élitisme culturels que Kracauer cherchait à dépasser. De manière éclairante, Rancière renvoie entre autres dos à dos, sur la question de l'image, les commentateurs de gauche et de droite, qui se rejoignent dans une même iconophobie aveugle. À gauche, ce sera une mélancolie ironique ou une sempiternelle mythologie du complot (l'image toujours présumée coupable de manipulation). À droite, il s'agira plutôt de remettre en cause, à travers l'hédonisme imagier, une dérive de la démocratisation culturelle : « La déploration de l'excès des marchandises et des images consommables, ce fut d'abord un tableau de la société démocratique comme société où il y a trop d'individus capables de s'approprier mots, images, et formes d'expérience vécue. [...] La dénonciation des séductions mensongères de la "société de consommation" fut d'abord le fait de ces élites saisies d'effroi devant les deux figures jumelles et contemporaines de l'expérimentation populaire de nouvelles formes de vie : Emma Bovary et l'Association internationale des travailleurs. »
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