Je ne serai jamais ma mère. Je n'ai pas à la remplacer. C'est un combat vain, perdu d'avance. Je ne peux annuler sa disparition. Il ne m'est pas demandé d'être la gardienne de son souvenir par le sacrifice de ma propre existence.
Oui, il est temps que je pense à moi. Il est temps que j’apprenne à me faire du bien, à me laisser aller après des copains de mon âge, à rentrer plus tard que mon père. Je pressens de plus en plus fortement que c'est à moi de définir la direction que je veux donner à mon avenir. Je ne veux plus subir. Subir, le mot est lâché. Non, je ne subirai pas. Je n'ai plus rien à perdre, j'ai déjà perdu ma maman.
Je pense aussitôt à ma mère. Comme j'aimerais pouvoir partager cet instant avec elle, pour qu'elle me rassure et me donne ses conseils ! Je réalise que je suis désormais seule à tout décider.
Arrivée a Fribourg, me voila seule pour la première fois et, qui plus est, à l'étranger ! Je partage le quotidien d'autres étudiants français, sur le campus. Je découvre cette nouvelle vie, je suis leur rythme, je tente d'être comme eux... l'insouciance en moins. Car j'ai toujours peur. J'ai peur pour maman, peur de ce qui pourrait se passer en mon absence.
Il serait dommage de donner raison à Louis Aragon: "Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard!".
Aujourd’hui, je comprends que ce deuil marquait le point de départ de tous les bouleversements et autres petits deuils qui allaient suivre. J’avais fait celui de Maman, mais je ne savais pas à quel point l’entrée dans mon milieu de vie allait révéler cette angoisse de la mort. Moi si solaire, si rieuse, si enjouée, si lumineuse – comme on ne cesse de me le dire –, ayant croqué la vie, je prenais conscience que cette énergie masquait une autre peur, bien plus profonde et qui ne cessait d’articuler mon angoisse de l’abandon.
N'a-t-on pas peur de la mort parce qu'on se sent déjà mort en vivant la vie que l'on mène?
Bloquer en soi les peines du passé et les priver de mots peut sembler une bonne "stratégie" pour ne pas souffrir, mais c'est une erreur. Car elles se rappellent immanquablement à nous, sous des formes détournées qui polluent notre quotidien et notre aptitude au bonheur.
Quand on a trop mal, il n'y a plus de place dans la tête: il n'y a que la douleur, et, à cause d'elle, on passe à côté de l'essentiel.
Un vieux dicton nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier d’où l’on vient pour aller où l’on veut…
Ces clefs, nous pouvons tous nous les approprier et apprendre à nous en servir, indépendamment des obstacles. C’est là que résident leur force et leur pertinence. Elles vous donneront accès, je l’espère, à de nouveaux chemins de sérénité. Il s’agit d’un programme ambitieux, mais, comme disait le grand écrivain allemand Goethe, « le but, c’est le chemin ».