Stéphan Sanchez

La poésie est inexplicable. Elle est cette langue cachée, cette société occulte.
Vos textes, Marie-Noëlle, sont une quête du secret.

"Je n'aurais rien été vraiment / qu'un petit oiseau égaré / parmi les hommes sur la terre, / sur la terre je n'aurai volé/ que pour follement y chanter/ ce que le soir, le vent, la vague,/à mon cœur auront chuchoté."
À ceux qui s'étonnent que l'envie d'écrire vous soit passée, vous répondez: "Quand un oiseau ne ressent plus le désir de chanter, il se tait."

Votre hommage me touche et je suis heureuse de ce qu'à pu vous apporter mon écriture et mon histoire de vie. Nos enfances appartiennent désormais au passé, mais il nous en reste toujours quelque chose. Puissent les épreuves se transformer en forces, qui parfois nous invitent à voir les autres différemment et ouvrent sur une meilleure compréhension de l'âme humaine et de la nature qui nous entoure. C'est ce que vous avez su faire dans votre livre, en reliant votre vécu et le mien.

Qui ai-je offensé ? Qui ai-je blessé ? Je n'ai pas de rancœur, pas d'amertume. Tout s'est passé comme cela devait se passer... Aujourd'hui, je suis heureux d'être l'homme que je suis. Je me sens à ma place, en accord avec moi-même. Aligné.
Avec tout mon respect,
Votre ami, Stephan

Puisque Dieu n'avait pas redressé les torts, c'était à moi d'enfiler le costume du super-héros.

Dans les actualités de l'époque, on murmure que "l'affaire Minou Drouet" est la plus grande querelle littéraire des dernières années. Les statistiques estiment qu'elle fait couler plus d'encre que l'affaire Dreyfus.

Il y a chez la femme une force de vie qui m'émeut. Un souffle chaud, un éclat de lumière. Comme beaucoup d'entre elles, je suis assez intuitif et à l'écoute de mon enfant intérieur. Mon arme la plus redoutable est la délicatesse. Je suis aussi soucieux du bonheur des autres que du mien. Je sais que mon entourage est un miroir ; les gens que j'aime font partie de moi, ils me constituent. Nous sommes tous connectés. Nous sommes tous un peu sorciers, un peu magiciens.

Votre histoire me remue ; il n'y a rien à faire.
Je n'ai pas d'autre choix que d'écrire sur vous.
Parce qu'écrire sur vous revient à écrire sur moi.
Parce qu'écrire sur soi est la seule chose qu'on puisse accomplir.

Le 24 décembre 2022
Cher inconnu,
J'ai quitté mon travail de libraire après sept années de bons et loyaux services. Je profite de ce temps pour lire, écrire et voir des amis. Je me familiarise avec ce rythme, je m'habitue doucement à cette vie nouvelle.
Contrairement à mes habitudes, je parle volontiers du texte que je suis en train de produire. J'ai laissé ma superstition au vestiaire, je prends des risques.
Mes proches sont curieux : « Un livre consacré à l'amour ? Comment t'est venue cette idée ?» Je cite quelques prénoms : « Franck, Waël, Andrew, Aurélien, Patrick. Une belle suite d'échecs. »

P 50 : ''mon arme la plus redoutable est la délicatesse''
😁🙏😁

"J’aimerais vous écrire comme on écrit à un ami lointain, à un amant parti vivre au bout du monde. Je n’attends aucune réponse de votre part. Je ne suis même pas sûr de vous envoyer ces lettres… Où les enverrais-je d’ailleurs ? Votre adresse est tenue secrète."

On pourrait croire que je romance, que j’en rajoute pour pimenter mes aventures. Malheureusement, tout ce que je restitue est vrai. Je n’ai pas besoin d’inventer ou d’imaginer quoi que ce soit pour écrire ces lettres.

Relégué dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne perdrais pas un murmure des ténèbres. Quelque fois, le vent semblait courir à pas légers; quelque fois, il laissait échapper des plaintes; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussait des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore.

Ma relation la plus longue était avec un homme plus âgé. Dario avait 12 ans de plus. Dario et mon père se ressemblaient. Ils possédaient cette même dureté, ces mêmes accès de violence et de fureur, cette même virilité sauvage.
J'ai quitté Dario parce que je ne supportais plus son agressivité. Une rage l'habitait. Un démon.
Avec les années, mon géniteur s'est adouci. Le travail qu'il a fait sur lui a porté ses fruits. Je n'éprouve plus de rancœur. J'ai pardonné. La page est tournée, nous sommes deux adultes maintenant.
On ne peut pas faire de généralités sur les origines de l'homosexualité. Aucune grille de lecture n' est valable pour tout le monde.
J'espère avoir surmonté le modèle grâce à Dario.
J'espère avoir commencé à guérir.
Je t'embrasse,
Stéphan

Je pressentais que la nuit allait être longue. Pour arrêter de cogiter, je pris un livre dans ma bibliothèque. La tranche rouge et épaisse des Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand attira mon œil. Je me remis dans le lit et choisis une page au hasard. Je raffolais de ce jeu : saisir un volume, l’ouvrir sans réfléchir, pointer le doigt sur un passage et le lire d’une voix forte. C’était ma mère qui m’avait appris à faire ça. Elle disait que le bloc de texte choisi donnait des réponses. Je n’avais pas de question précise, mais j’étais certain que Chateaubriand était disposé à m’aider.

Nos enfances appartiennent désormais au passé, mais il nous en reste toujours quelque chose.

Le goût du public pour le scandale est trop fort. Le mystère fait vendre ; les énigmes passionnent. (p. 65)

D'une certaine façon, l'artiste est un alchimiste. Il transforme le plomb en or, le vulgaire en précieux, le banal en exceptionnel.

Marie-Noëlle,
Lorsque je pense à vous, à celle que vous êtes aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de penser à ma grand-mère.
Nous étions proches, je vous l'ai dit. Enfant, j'ai passé beaucoup de temps chez mes grands-parents. Je lisais, peignais, jouais dans l'atelier de couture de Mamie. Cet endroit que nous appelions "la pièce" était un refuge, un lieu sûr où tout était possible. Nous fermions la porte - afin de tenir mon grand-père à l’écart - et nous écoutions de la musique. Mamie repassait ou cousait pendant que j'habillais mes poupées. Je dessinais des princesses et rêvais de porter des robes pleines de rubans. Disons-le franchement: je voulais être une fille. Je voulais porter des cheveux longs et mettre des chaussures à talons. Mamie n'a jamais considéré ça comme un problème: "Tous les enfants aiment se déguiser. C'est normal." Mes parents étaient inquiets. Quand ils rentraient du travail et me trouvaient habillé en impératrice, leurs yeux s'écarquillaient. "Enlève ces vêtements tout de suite!" disait mon père avec colère. Ma mère lançait des regards noirs à mon aïeule.

Les hommes, au moment de leur mort, se transforment en étoiles et comme chacun sait, même mortes, les étoiles continuent de briller.