Chute d'une ville, Stephen Spender, lu par Claude Mathieu et Bibi Jacob.
Éveil
Tout est semblable, mais tout est nouveau !
L'allée de graviers cherchant le Chemin ;
La rosée perlant aux fins écheveaux ;
Le vide préfaçant le jour qui point.
J'ai le souvenir de ces matinées
De l'enfance où les cailloux sont miracles.
Par ma fenêtre, je revois l'oracle
Scintillant de ces défuntes journées.
Je m'éveille en me croyant entouré
De tout un lac de lumière pénétré
De clarté, comme emprisonné dans l'ambre
D'un monde encerclé de murailles d'ombres.
Puis les arbres tournent sous le soleil
Qui envoie au tapis maisons, montures
Et cavaliers, frappés d'une main sûre
Par ce boxeur qui domine le ciel.
Et tout ce ciel s'épanouit en O,
La barbe pousse à l'horloge, la toile
Perd ses perles, la fleur met à la voile.
On foule aux pieds les morts et ses tombeaux.
Tout tourne sur le grand cercle du monde
Dans l'avant d'après, dans l'après d'avant.
Chaque éveil me donne une joie profonde
Mais l'inquiétude, toujours, me reprend.
(p. 81-83)
DEUX FRAGMENTS SUR L’AMOUR
II
Défaillant d’amour, la Dame du Sud
Gisait dans le paradis du Liban
Sous un ciel de branches de cèdre ; la soif
D’amour était sur ses lèvres ; la lumière avait quitté
Ses yeux…
p.169
Nul n'est parfait.
Loin de toi, pourtant, je me rassure
En réfléchissant à quelque ancienne flétrissure
Qui aurait pu prendre si grande importance
Que j'en vienne à souhaiter cette absence.
(p. 69)
DEUX FRAGMENTS SUR L’AMOUR
I
Je défaille, je péris de mon amour ! je deviens
Frêle comme un nuage dont les (splendeurs) pâlissent
Sous l’éclat toujours changeant du soir :
Je meurs comme la brume sur la brise,
Et comme une vague sous le calme je faiblis.
p.169
Chacun renferme en son sein le monde de sa propre âme aussi immense que l'univers extérieur, aussi immédiat, et qui ridiculise cette petite étendue de veille cohérente qui s'appelle "je".
–Je me demande si tu t'intéresses à la graphologie. Si oui, tu pourrais aimer à voir ce que Möring a écrit ici. Tu sais, il y a une spiritualité indéniable dans un mot gracieusement tracé. Je pense qu'on peut deviner bien des choses du caractère de l'écrivain d'après son écriture.
S'emparant d'un autre livre dédicacé, il poursuivit :
–On voit tout de suite que celui qui a écrit cela (il se trouve que c'est André Gide) est à la fois énergique et profondément sensible. Les lignes de cette dédicace, plutôt longues, vont en remontant, les mots eux-mêmes sont penchés en avant, comme des coureurs, et quand l'écrivain arrive au bout de la page, il s'irrite d'avoir à aller à la ligne et les derniers mots en sont tordus, d'un air de défi, vers le bas. Il y a une indéniable unité d'effet, du point de vue esthétique, sur toute la page, qui trahit, je pense, la touche, ou au moins une touche, du génie. Et pourtant, ajouta-t-il en un sourire, il y a là-dedans de la faiblesse aussi bien que de la force. Il y a quelque chose de presque efféminé, de presque mesquin –ou, pourrait-on dire, en anglais, de «juponneux» ? – dans toute cette rapidité. En allemand, on dirait weiblich, qui est un peu moins fort.
- Mère avait du flair pour ce qui prendrait de la valeur (parlant d'une peinture, d'un tableau). Aujourd'hui ça vaut une fortune.
- Ça ne m'a rien coûté. L'artiste mourait pratiquement de faim