J'ai mis plusieurs semaines à lire ce livre, afin d'en digérer progressivement les pistes de réflexion qu'il ouvrait en moi.
J'ai 38 ans. J'ai connu ce livre car il y a deux ans, j'ai voulu aider ma propre mère, fille unique, qui a subi toute sa vie les méfaits de sa mère extrêmement toxique (ma grand-mère donc). Ma grand-mère, alors en fin de vie, a jusqu'à son dernier souffle rabaissé, dénigré et détruit ma mère. Pour aider ma propre mère durant cette période compliquée, j'ai cherché un livre, ai trouvé celui-ci, et lui ai offert.
Cependant, j'ai toujours su, inconsciemment, que ma mère était aussi toxique que sa propre mère. J'ai toujours su, inconsciemment, qu'elle reproduisait de nombreux comportements, attitudes et paroles anormales sur moi, également fille unique. J'ai toujours vu chez les autres : un minimum de confiance, de respect, de considération, d'admiration dans les yeux des mères de mes camarades. Je ne voyais pas ça dans les yeux, les paroles ni les actes de ma mère, mais je pensais que c'était certainement ma faute, que je ne devais pas être aussi sage, aussi dégourdie, aussi jolie ou aussi méritante que mes camarades d'école.
Et puis j'ai grandi, et depuis mon adolescence, je suis en colère contre mes parents. En effet, j'ai cette particularité d'avoir deux parents toxiques, même si je suspecte que la source initiale de leur toxicité provienne de ma mère. Depuis toujours, ma mère et mon père prennent toute la place. À 38 ans, j'ai toujours la nette sensation de ne pas être une adulte, de ne pas être leur égale. Je suis souvent niée, moquée, ridiculisée, et je ne suis en tout cas jamais prise au sérieux. Mes convictions, mes sentiments, mes émotions, mes idées, mes envies, mes actions, mes revendications n'ont jamais été écoutées, et n'ont jamais été légitimes aux yeux de mes parents. Je n'ai donc jamais pu vraiment m'affirmer. Je n'ai jamais pu vraiment devenir adulte ou devenir moi-même.
Mes parents sont sociables, bruyants, expansifs, à l'aise partout. Là où moi je suis réservée, calme, peu sociable. Ils me l'ont toujours beaucoup reproché, notamment ma mère.
J'ai toujours eu du mal à me faire des amis, ou du moins à les garder. Les relations sociales sont difficiles, douloureuses et mystérieuses pour moi. Mes parents ont depuis toujours plusieurs dizaines d'amis, une vie sociale très riche, sortent et reçoivent beaucoup. Depuis mon enfance, ils me reprochent ma timidité, ma réserve, mon absence d'appétence pour la vie sociale.
Depuis toujours, mes parents sont intrusifs. J'étouffe, je n'ai pas de place. Je suis régulièrement sur la défensive avec eux, régulièrement désagréable avec eux. Jusqu'à récemment, j'étais incapable de savoir réellement pourquoi j'étais autant sur la défensive, et je culpabilisais beaucoup.
Normalement, la crise d'adolescence et l'opposition envers ses parents passe avec l'arrivée de l'âge adulte. J'ai vu beaucoup de personnes de ma génération, arrivées à l'âge adulte, partager de chouettes moments avec leurs parents. Mais moi, même adulte, j'ai toujours en moi cette colère, ce besoin d'opposition envers mes parents, comme si j'étais toujours adolescente. Ils prennent tellement de place, ont tellement d'avis, de commentaires, de remarques et de reproches à me faire sur tout, que depuis toujours je veux garder mon jardin secret. J'accepte rarement de les convier à des moments importants (et lorsque je le fais, je le regrette très vite), et je prends soin d'éviter de trop leur parler de moi. Mon attitude me vaut bien sûr régulièrement des sous-entendus et ses reproches (déguisés ou pas) de leur part. Et cela va de pair : puisque je n'ai jamais manqué de rien matériellement et qu'ils sont mes parents, j'ai toujours beaucoup culpabilisé de mon attitude, et j'ai toujours eu l'impression d'être une mauvaise fille, une fille ingrate, et ce, depuis l'adolescence.
Alors depuis le début de l'âge adulte, je culpabilise, je suis bloquée, je n'arrive pas à m'affirmer, je n'arrive pas à avancer, à me construire, je n'entreprends rien, je n'ose rien. J'ai fait de longues études (sans quitter le domicile parental, évidemment, condition qu'ils m'ont imposée), j'ai deux bac+5 en poche, mais je n'ai pourtant rien fait professionnellement. Des petits boulots alimentaires uniquement, tout au plus. Je suis pleine d'angoisses. J'ai peur. Je ne sais rien faire. J'oserais presque dire : depuis 38 ans, en tant qu'individu, je ne fais rien. Persuadée d'être anormale et décevante (comprendre : trop différente de ceux que j'admirais et que pensais être la "norme" à laquelle il fallait ressembler : mes parents).
Il y a quelques mois, en juin 2023, j'ai tout à coup ouvert les yeux, pris une énorme claque, et vu ma mère sous un nouveau jour, alors que le jour n'était en fait pas nouveau. Sans raison particulière, lors d'un week-end a priori anodin, j'ai enfin VU ma mère telle qu'elle a en réalité toujours été vis-à-vis de moi : méprisante, rabaissante, humiliante, irrespectueuse. Cet été, j'ai réellement vu ce que je n'osais admettre sur ma mère. J'ai réellement VU ma mère, alors qu'avant je fermais manifestement les yeux sur son attitude. Cette fois-ci, je l'ai VUE.
Depuis cet été, je me repasse en tête le film de ma vie, le film des nombreux événements de ma vie minimisés et banalisés par mes parents (et hélas inconsciemment jusqu'à récemment par mon propre esprit aussi). Mais aujourd'hui j'en ai clairement conscience : si je n'ai manqué de rien matériellement (et cela, mes parents ne cessent de me le rappeler...), j'ai en revanche été maltraitée mentalement et verbalement toute ma vie. Et j'ai enfin conscience aujourd'hui, depuis quelques mois seulement, que mes parents ne sont surtout pas "la norme" à laquelle il faut ressembler. Et que la seule personne normale dans cette histoire : c'est moi.
Je ne pense pas que ma mère ait lu ce livre, que je lui ai offert il y a deux ans. Toute sa vie et jusqu'au bout, elle a servi, idolâtré et pris soin de sa propre mère, malgré tout le mal qu'elle lui avait fait, sans lui imposer la moindre limite. Je lui ai souvent demandé pourquoi. Sa réponse a toujours été la même : "Bah enfin, même si elle est méchante avec moi, c'est ma mère !!!".
En ce début d'année 2024, je me suis offert ce livre. Depuis ma prise de conscience et ma claque de l'été dernier, j'ai fait un peu de chemin, ai pris conscience de beaucoup de choses, ai analysé sous un nouveau jour de nombreux événements / traumatismes que mes parents m'ont fait subir.
Si vous avez lu ma critique de "Nos tendres cruautés" d'Anne Tyler, vous savez déjà que j'ai passé des fêtes de fin d'année 2023 compliquées. Pour faire court : Le jour de Noël, après la deuxième entrée, ma mère, qui était une nouvelle fois en train de me rabaisser et à qui j'ai alors osé dire stop, m'a gratuitement et violemment insultée de c*nn*sse, en présence de mon mari et de ma fille de 3 ans. Lorsque j'ai cherché à obtenir le soutien de mon père, il a banalisé cette violence et cette insulte, et m'a répondu que je l'avais sans doute un peu cherché.
Alors qu'en réalité : Je n'ai jamais rien cherché. Ni ce jour-là, ni avant ce jour-là. Cette insulte est inexplicable, inacceptable, inexcusable, impardonnable. Rien ne peut justifier le fait de me faire insulter par ma propre mère, encore moins le jour de Noël, en présence de ma fille et de mon mari adorés.
Il n'y a pas de hasard : il y a près de 20 ans, devant mon père et moi, ma mère s'était elle aussi faite insulter par sa propre mère le jour de Noël, ce qui avait déclenché une crise familiale sans précédents.
J'ai écrit plus haut que depuis 38 ans, je ne fais rien, je n'entreprends rien, je ne construis rien. Vous l'aurez compris, ce n'est finalement pas vrai : J'ai la chance d'avoir un mari et une fille adorables, que j'aime et que je chéris de tout mon cœur. Ils sont ma plus belle entreprise.
Je dédie d'ailleurs cette critique à ma fille.
Car ce que j'ai subi s'arrête ici.
Je fais le choix de faire ce que ma mère n'a jamais eu le cran de faire vis-à-vis de sa propre mère : dire stop. En prenant enfin conscience des maltraitances que j'ai subies, en choisissant d'imposer mes limites à mes parents, enfin, je prends soin et je respecte l'enfant que j'étais et l'adulte que je suis. Et donc par extension, en travaillant à être enfin l'adulte épanouie et saine que je mérite d'être, je respecte, prends soin et protège ma propre fille. Ce que ma propre mère n'a jamais fait pour moi.
J'ai bien conscience que cette critique n'en est pas vraiment une. Elle est peut-être plus un exutoire personnel qu'une réelle critique du livre.
Mais je pense que toutes les personnes qui liront ce livre et/ou qui viendront en lire les critiques seront à la recherche, elles aussi, de témoignages. Comme je l'ai lu dans une autre critique : qu'il est difficile dans notre société de ne pas se sentir coupable en affirmant "ma mère est toxique, j'ai besoin de prendre mes distances avec elle" ou "mes parents sont toxiques". Et pourtant, ce livre vous le confirmera : ne culpabilisez pas, vous n'êtes pas responsable de cette situation.
Le présent livre ne concerne que la relation mère-fille, mais pendant ma lecture j'ai souvent remplacé "votre mère" par "vos parents", et le propos est pourtant resté tout aussi pertinent.
J'ai beaucoup apprécié la dernière partie "Les voies pour se reconstruire", qui donne des pistes concrètes à la lectrice pour enfin se faire respecter : continuer de communiquer avec sa mère intelligemment tout en imposant ses propres limites / décider du type de rapports que la lectrice souhaite désormais imposer à sa mère / rompre totalement les liens si cela est inévitable / et même des pistes sur un sujet sur lequel je pense toute lectrice se pose forcément des questions avec le temps : comment réagir et continuer de se protéger dans le cas où les liens sont rompus mais que la mère toxique devient soudainement dépendante (vieillesse, maladie, veuvage...).
Ce livre nous donne beaucoup de pistes de réflexion bien utiles. Bien sûr, il ne s'agit que d'un livre me direz-vous, et pourtant depuis que je l'ai lu, il a eu un réel impact sur la manière dont je réfléchis à la relation que j'ai avec ma mère (et globalement avec mes deux parents donc), et aux limites que je suis en droit d'imposer en tant que femme adulte (et que j'aurais dû imposer bien plus tôt).
À noter, pour approfondir cette thématique, le livre "Parents toxiques" de la même auteure est également très instructif, très utile, et je dirais même complémentaire, puisqu'il a le mérite de s'adresser cette fois-ci à tout.e.s, fils et filles, de parents toxiques.
Si comme moi vous prenez conscience de certaines choses et lisez ce livre (ou encore "Parents toxiques" de la même auteure), alors vous êtes certainement déjà sur le bon chemin. Celui de l'épanouissement bien mérité, enfin ! Courage (et merci si vous avez lu ma trop longue critique jusqu'au bout) !
Commenter  J’apprécie         55