Le roi se plaisait à s'avancer à cheval un peu au-delà de la lisière, face au moutonnement des flots, pour entendre se mêler au chant sauvage de la houle le bruissement du vent sur les feuillages, chargé des bruits furtifs de la forêt.
Un temps qu'il ne mesurait pas, il se laissait rouler comme un nageur par la vague dans cette harmonie grondante de la terre et de la mer.
La mer semblait absorber l'azur du ciel qui la saturait d'un bleu plus intense que le sien, et l'écume avait la blancheur des nuages qui flottaient dans les hauteurs. Ces deux étendues jumelles qui se rejoignaient à l'horizon berçaient les voyageurs au coeur d'une demi-sphère immense et miroitante où l’elfe pris de vertige se demandait parfois laquelle était le miroir de l'autre.
Le soir, à l'ouest, un brasier unique inondait le ciel et les flots, brûlant encore sourdement sous la surface après la disparition du soleil. L'azur se teintait d'une obscurité nocturne, criblée de constellations dont les vagues miraient le reflet tremblé, et la lune pavait la mer d'un chemin de vif-argent électrique. A l'aube une lueur laiteuse qui s'irradiait peu à peu d'or et de rose précédait la résurgence de l'astre rajeuni.
Glaive de Jais, qui ne portait aucun cavalier, planait au-dessus des troupes, beaucoup plus haut dans l'azur. Hors d'atteinte de l'ennemi, ses jours étant trop précieux pour qu'il prît le moindre risque, il veillait sur les siens comme un grand aigle noir dont la vue stimulait leur bravoure. Un rayonnement émanait de lui, qui leur apportait courage et réconfort. Anne et ses amis le sentaient remonter dans leurs veines, comme un flux de sang chaud où se concentrait l'ardeur du soleil.
Je sentais une lutte identique, implacable et sereine, se poursuivre autour de moi dans la torpeur trompeuse du silence végétal. Il me semblait entendre le fourmillement de cette force irrésistible qui parcourait les nervures de chaque plante, faisait éclater l'enveloppe des graines et passait dans le sang des bêtes cachées. Elles aussi, je devinais leur présence : les chevreuils rembuchés dans les fourrés qui peupleraient au crépuscule les couloirs de la futaie en aiguisant contre les troncs le perçant de leurs dagues fourchues; les sangliers vautrés dans la fraîcheur des bauges, dont ils sortiraient cuirassés de boue et de soies rudes, pour trotter de compagnie dans les allées et remuer le terre d'un groin allègre.
je marchais parmi des floraisons éclatantes écloses sur un lacis de verdure noire qui s'agrippait aux arbres vivants et aux souches mortes. La lune mûrissait comme un fruit doré entre les branches, et de temps à autre un frémissement de la pénombre me révélait, plaqués contre l'écorce, un pelage de fauve ou des écailles de serpent. J'éprouvais un sentiment de sécurité dont je ne m'étonnais pas : quelque chose de sinueux et de royal cheminait à mes côtés, qui se confondait avec la nuit. Puis je me trouvai allongé au plus épais d'un fourré. Une silhouette glissa près de moi comme ondule une fumée sombre; je sentis le poids d'un corps, la pression retenue des griffes et la brûlure du regard.
Cristalmaure offrait des pelouses d'un vert intense, le bruissement de ses cascades et le parfum des roses sauvages épanouies sur les buissons bourdonnants d'abeilles. Les chevaux se posèrent au bord d'un ruisseau à fleur de terre, un filet d'eau sur une coulée de sable, et Gilmer conduisit les jeunes gens à l'endroit où reposait l'étalon. Il était allongé sur le flanc, une aile à demi déployée, à l'ombre d'un saule dont les branches pleuraient sur son corps livré à un sommeil qui ressemblait à la mort.
Je me souviens, nous nous souvenons de l'ombre du printemps, clairsemée entre les chatons jaune pâle suspendus aux arbres, du feuillage d'été et de ses profondeurs fraîches que la morsure fauve du soleil n'atteignait pas : il y persistait une odeur d'humus, de champignons, de fougères rouillées, où nous venions flairer les germes de l'automne et de ses ors mourants, avant le triomphe d'un hiver pur et stérile comme nos corps. Pureté de l'enfance impubère, fragile comme les cristaux du gel.
J'étais serein en sortant du tribunal, et je me suis même offert le luxe de sourire aux flashs des journalistes. Je sais que mon avocat m'en veut beaucoup, et que je suis sûrement son pire échec. (...) J'ai transformé mon procès en tribune, j'ai scandalisé tout le monde et j'ai aggravé mon cas au point de le rendre indéfendable. Bref, je suis pleinement satisfait.
Ne vous étonnez point, Monsieur, si je vous écris trois siècles après votre mort. Quoiqu'à mon sens il ne reste plus de vous qu'atomes épars, je ne saurais à qui d'autre adresser ma lettre. Car sachez le, l'Infâme est de retour. Nous avons régressé en deçà de votre époque, et mis vos Lumières sous le boisseau.