Momo tendit la main pour caresser la tapisserie jaune. Elle croqua dans la peau rose et délicate d’une pêche cultivée sous serre, le jus ruissela à travers. Mais elle n’aurait su dire avec certitude si c’était bien les terminaisons nerveuses de son épiderme à elle qui avaient effleuré à nu la tapisserie, et si ses papilles avaient réellement saisi le goût sucré de la chair du fruit — n’y a-t-il pas toujours entre un objet et un corps une frontière impossible à franchir ?
(Incipit)

La question n’était plus vraiment celle du rôle tenu par les partenaires, ce qui comptait c’était la « fréquence des pulsions d’intimité » (FPI). Au début de leur relation, dix ans plus tôt, Gros Ours avait une FPI de 3, et Petit Lapin une FPI de 2. En d’autres termes, Gros Ours ressentait des pulsions une fois tous les trois jours, sa FPI était donc de 3 ; Petit Lapin éprouvait quant à lui des pulsions tous les deux jours, sa FPI était donc de 2. Par « pulsion d’intimité », on entendait un élan amoureux, une attirance érotique. Sans une pulsion d’intimité de part et d’autre, pas de sexe. Mais FPI sonnait trop « médical ». Dans le langage courant, on parlait plus volontiers de « rythme sexuel ». La fréquence avec laquelle avaient lieu les rapports sexuels se calculait en multipliant les rythmes sexuels des deux partenaires ; dans le cas de Gros Ours et de Petit Lapin : 3 × 2 = 6, soit une « nuit de gala sexuel » tous les six jours. Ces nuits de gala correspondaient à des nuits de sexe où les pulsions d’intimité des deux amants coïncidaient. Si Petit Lapin voulait forcer Gros Ours à entrer en intimité, cela revenait à « coller un visage chaud sur un cul froid » : il essuyait un refus. Mais avec le temps, les relations entre les deux époux étaient devenues plus fades, comme un plat trop souvent servi ayant perdu toute saveur. Le rythme sexuel de Gros Ours était désormais de 7, et celui de Petit Lapin de 3. Soit 3 × 7 = 21. Leur nuit de gala ne se déroulait donc que tous les vingt et un jours.
Dans ce monde dominé par les carrés où primaient l’efficacité et la vitesse, peut-être les hommes avaient-ils, à force de se heurter aux angles, la nostalgie de la lenteur et du raffinement des cercles.
Je n’ai été créée que pour mon mari : de son point de vue, mon visage est souple et laiteux, alors que les autres savent que je suis comme toutes les aDomes, que ma figure est faite de plastique moulé sous pression. Mes deux yeux ne sont pas aussi beaux et brillants qu’il le croit, ce ne sont que des caméras miniaturisées. Les baisers torrides que je lui donne ne sont, au fond, que le produit de lèvres faites de plastique ultra-doux et de salive artificielle parfumée aux fleurs de pavot.
Par-dessous le ciel saturé de rayons ultraviolets, par-dessous la surface, par-dessous la mer, par-dessous la protection du vélum imperméable et antisismique, les hommes semblaient vivre comme dans une serre.
Mais les hommes n’étaient pas des fleurs.
C’est très aisément que j’aperçus mon mari.
Je ne l’ai ni vu, ni entendu, je l’ai senti… parce que je n’existe que pour lui : nous sommes un couple conçu expressément sur mesure.
(...) mais les experts étaient très clairs: quand bien même, les humains arriveraient à réduire la pollution atmosphérique , cela ne ferait tout au plus que freiner la dégradation de l'environnement, on ne pouvait pas l'éradiquer...
Dans un monde dominé par les carrés où primaient l’efficacité et la vitesse, peut-être les hommes avaient-ils, à force de se heurter aux angles, la nostalgie de la lenteur et du raffinement des cercles.
On qualifie d'ordinaire d'invisible tout ce que l'œil nu n'est pas en mesure de voir, et on croit qu'un miroir ne peut rien refléter d'autre que l'image que l'œil peut percevoir.
Je n’ai été créé que pour mon mari : de son point de vue, mon visage est souple et laiteux, alors que les autres savent que je suis comme toutes les aDomes, que ma figure est faites de plastique moulé sous pression. Les deux yeux ne sont pas aussi beaux et brillants qu’il le croit, ce ne sont que des caméras miniaturisées. Les baisers torrides que je lui donne ne sont, au fond, que le produit de lèvres faites de plastique ultra-doux et de salive artificielle parfumée à la fleur de pavot. Mon mari et moi connaissons parfaitement mon vrai visage, mais nous continuons à faire semblant : lui n’a pas de meilleur choix, les soldats ont besoin de la douceur de l’arrière, qui veut aller loin ménage sa monture, je n’ai pas le choix du tout, mon mari est la seule raison de mon existence.