Citations de Tahar Ben Jelloun (1757)
A quinze ans, on ne pense pas à la vie ; on aime rêver, construire des monuments avec de la soie ou de la mousseline, puis tout brûler pour recommencer le lendemain.
C'était cela, la peur : la présence d'une chose tentaculaire, non visible, et qui frappe aveuglément, sans raison et sans répit. Cette chose me maintenait éveillée tout en me promettant un sommeil profond. Elle m'y jetait, puis me repêchait jusqu'à m'étourdir et confondre le jour et la nuit. La chose que j'appelais chien de mer, loup des steppes, renard des terrains nus courait dans les ténèbres suivie par un souffle froid qui me donnait des frissons.
Elle pleurait et se mit à raconter ses souffrances : "J'avais vingt ans pendant la guerre. Mon père était médecin, il fut dénoncé par un confrère : il était juif. Il fut arrêté par la police qui travaillait avec les allemands et nous ne l'avons jamais revu. Il fut déporté dans les camps de la mort avec de dizaines de milliers d'autres Juifs."
Elle m'expliqua la démence des hommes, la haine, la déchirure des coeurs, l'acharnement du mal.
Quand elle eut terminé, je lui dis :
- Alors je comprends ! Ma tante est raciste !
- Non. Elle est folle.
- Oui, pour être raciste, il faut être fou.
Si notre terre n'a pas su nous garder, c'est peut-être parce qu'un jour une main malheureuse y a semé les graines de la discorde et du retard.
Adossée à l'arbre, je m'endormis en comptant les vaches. Une brise légère me caressait le visage. Je me laissai aller à cet état d'abandon très doux, propre à certains enfants. Je n'étais pas une enfant douce. Mes pieds avaient marché sur tant de cailloux tranchants que tout mon corps, et même mon âme, se mirent à détester tout ce qui pouvait être doux et tendre. Mais j'avoue que le sommeil de cet après-midi-là fut merveilleux et je ne l'ai jamais retrouvé. C'est peut-être pour cela que je m'en souviens encore.
Et moi, j'invoque à présent le droit à la liberté de penser, de croire ou de ne pas croire. Cela ne regarde que ma conscience.
J'avais vécu en quelques mois une passion qui pouvait me nourrir jusqu'à la fin de mes jours.
Le sentiment amoureux ne s’efface pas par le remplacement de la personne aimee
"Je navigue entre une vie paisible et une nostalgie cruelle"
« La vie était facile, le ciel d’un bleu limpide et la paix régnait sur leur monde. Entre eux, c’était du solide. Et puis, ils appartenaient à des familles où l’on ne divorçait pas, où l’infidélité était de l’ordre de l’inconcevable. La famille était la base de tout, on ne faisait rien en dehors »
Chaque visage est un miracle
Un enfant noir, à la peau noire, aux yeux noirs,
Aux cheveux crépus ou frisés, est un enfant.
Un enfant blanc, à la peau rose,
Aux yeux bleus ou verts,
Aux cheveux blonds ou raides, est un enfant.
L’un et l’autre, le noir et le blanc,
Ont le même sourire quand une main leur caresse le visage.
Quand on les regarde avec amour et leur parle avec tendresse.
Ils verseront les mêmes larmes si on les contrarie, si on leur fait du mal.
Il n’existe pas deux visages absolument identiques.
Chaque visage est un miracle, parce qu’il est unique.
Deux visages peuvent se ressembler,
Ils ne seront jamais tout à fait les mêmes.
Vivre ensemble est une aventure où l’amour,
L’amitié est une belle rencontre avec ce qui n’est pas moi,
Avec ce qui est toujours différent de moi et qui m’enrichit.
Tahar Ben Jelloun
Célébrer la joie, plus forte que les difficultés. Qu'y a-t-il de mieux que la couleur pour démentir la fatalité ?
( p.202)
Voilà que Jean Genet vient à mon secours. Ni saint ni martyr.L'écrivain et le peintre échappent à ces deux catégories. Et Genet proclame :" On n'est pas artiste sans qu'un grand malheur s'en soit
mêlé. "
( p.110
Je ne cesse de remercier tous les artistes qui m'ont montré un chemin.Matisse m'a aidé à écrire. Aragon, aussi.Ozu et Jean Genet m'ont appris l'humilité. Fritz Lang et Miloš Forman m'ont donné le courage de quelque audace aussi bien dans la peinture que dans l'écriture.
( p.121)
Mais ce sont surtout des cinéastes et des musiciens de jazz qui m'ont appris à raconter une histoire, plus que les écrivains. (...)
Puis j'ajoute à cette liste Alberto Giacometti, Ernest Pignon- Ernest, Joan Miró et Van Gogh .
Comment ? Simplement parce que Giacometti a su sculpter la détresse humaine.Il n'y a pas de gras chez lui. C'est encore Jean Genet qui évoque l'absence de gras.Cela me rappelle ce que faisait Georges Simenon quand il terminait de taper un roman sur sa machine. Il s'emparait du paquet de feuilles et le secouait en disant : " C'est pour faire tomber les adverbes ! "
Ernest Pignon- Ernest, parce que c'est un artiste qui raconte notre histoire contemporaine au travers de portraits de personnages mythiques ( Pasolini, Caravage, Rimbaud, etc.)qu'il colle sur les murs de villes belles et chaotiques comme Naples.
( p.98)
En relisant " La plus haute des solitudes ", comment ne pas y déceler l'influence des oeuvres de Giacometti ? Dans mon essai, j'explique comment la solitude des immigrés nord- africains constitue un traumatisme qui s'exprime par une impuissance sexuelle.Ces travailleurs n'ayant que leur force de travail, je les voyais composant une forêt d' hommes sculptés par Giacometti, avançant dans un néant gris.
(p.98 )
Enfant, j'aimais raconter des histoires, mais je n'avais pas les mots.L'école coranique ne m'avait pas appris à écrire. Je pouvais réciter les versets du Coran que je devais apprendre par coeur sans en saisir la signification.
Mon regard essaie de puiser ce qu'il peut dans tout ce qu'il voit.Pour peindre, pour écrire, pour mélanger des images et des mots, des couleurs et des nuages.
( p.54)
Entre Dalí et Miró, Magritte a réussi à se faire une place originale qui fait de lui le peintre de ce qui se dissimule derrière les apparences.Il raconte des histoires saugrenues, plaisantes, surprenantes et on sourit quand on est devant une de ses toiles.Un sourire de joie et même de bonheur.
( p.87)
Mais Giacometti m'a rendu à la littérature, car ma prose trouve un écho dans son travail sur la condition humaine.
( p.96)
Toi que je ne connais pas
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Toi que je ne connais pas
Je devine la forme de tes illusions
Je soulève le tissu en soie
Que des mains heureuses ont posé sur le temps
Dis-moi la plénitude de l’Esprit
Raconte-moi
Ce que deviennent les souvenirs
Épuisés par la nostalgie
On me dit
Un peu de brume rosée sur les feuilles
Vapeur ou musique du vent dans les arbres
Les souvenirs se reposent dans une grotte
Plus les ans passent plus nous les cherchons à l’aveugle
Sous la poussière.