Un an après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le Book Club parcourt l'oeuvre de Taras Chevtchenko, figure majeure de la poésie ukrainienne, que nous évoquons avec le traducteur André Markowicz et à l'historienne Iryna Dmytrychyn.
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Quand je serai mort, mettez-moi
Dans la terre qui sert de tombe
Au milieu de la plaine immense,
Dans mon Ukraine bien-aimee,
Pour que je voie les champs sans fin,
Le Dniepr et ses rives abruptes,
Et que je l’entende mugir,
Lorsque le Dniepr emportera
Vers la mer bleue, loin de l’’Ukraine,
Le sang de l’ennemi, alors
J’abandonnerai les collines
Et j’abandonnerai les champs,
Jusqu’au ciel je m’envolerai
Pour prier Dieu, mais si longtemps
Que cela n’aura pas eu lieu
Je ne veux pas connaître Dieu.
Vous, enterrez-moi, levez-vous,
Brisez enfin, brisez vos chaînes,
La liberté, arrosez-la
Avec le sang de l’ennemi.
Plus tard dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N’oubliez pas de m’évoquer
Avec des mots doux et paisibles.
LE DESASTRE
Mon cher dieu, le désastre est de retour !
Tout était serein, tout était si calme ;
Nous avions commencé à briser
Nos chaînes d’esclaves.
Tout s’est arrêté ! .. Il a coulé
Le sang du peuple ! Les bandits couronnés
Comme des chiens se battant pour un os,
S’étripent à nouveau.
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Taras Chevtchenko est la figure emblématique nationale ukrainienne (poète et peintre). Il décéda en 1861 et sa tombe se trouve à Kiev.
PEU M’IMPORTE !
Peu m’importe
De vivre ou non en Ukraine.
Que l’on se souvienne de moi ou que l’on m’oublie,
De moi dans ces neiges étrangères.
Cela m’importe peu.
En captivité, j’ai grandi avec des étrangers,
Sans que les miens ne me pleurent,
En captivité, en pleurant, je mourrai
Et j’emporterai tout avec toi
Ne laissant même pas une seule petite trace
Dans notre glorieuse Ukraine,
La nôtre – qui n’est plus notre propre terre.
Et le père dans ses souvenirs,
Le père ne dira pas à son fils : « Prie,
Prie, mon fils : pour l’Ukraine
Il fut torturé jadis. »
Peu m’importe, si demain,
Si ce fils priera, ou non…
Mais ce qui m’importe réellement
C’est de constater qu’un ennemi ignoble
Endort, dérobe et consume l’Ukraine
La volant et la violant …
Ô, comme cela m’importe !
***
Testament
poèmes
Quand je serai mort, mettez-moi
Dans le tertre qui sert de tombe
Au milieu de la plaine immense,
Dans mon Ukraine bien-aimée,
Pour que je voie les champs sans fin,
Le Dniepr et ses rives abruptes,
Et que je l'entende mugir.
Lorsque le Dniepr emportera
Vers la mer bleue, loin de l'Ukraine,
Le sang de l'ennemi, alors
J'abandonnerai les collines
Et j'abandonnerai les champs,
Jusqu'au ciel je m'envolerai
Pour priez Dieu, mais si longtemps
Que cela n'aura pas eu lieu
Je ne veux pas connaître Dieu.
Vous, enterrez-moi, levez-vous,
Brisez enfin, brisez vos chaînes,
La liberté, arrosez-là
Avec le sang de l'ennemi.
Plus tard dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N'oubliez pas de m'évoquer
Avec des mots doux et paisibles.
Le 25 décembre 1845
à Pereiaslav.
Traduit par Eugène Guillevic
Tarass Chevtchenko, Paris, Seghers, (Poètes d’aujourd’hui no 110), 1964, pp. 69-70)
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« L’histoire de ma vie est une partie de l’histoire de l’Ukraine »
Taras Chevtchenko, né à Kiev, père de la littérature nationale ukrainienne, prit la défense des peuples de l’empire russe ayant absorbé l’État cosaque, ancêtre de l’Ukraine.
Dans son poème « Le Caucase », il dresse un réquisitoire contre la Russie des tsars et ses visées impérialistes. L’extrait ci-dessous rend hommage à un ami tombé dans les rangs de l’armée russe.
LE CAUCASE
À mon ami très cher Jacob de Balmain
(…)
Pour toi donc l’exil à ton tour, mon seul ami,
Mon bon Jacob. Ce n’est certes pas pour l’Ukraine
Mais c’est pour son bourreau que tu répands ton sang.
Tu as dû boire le calice moscovite,
Le poison moscovite il t’a fallu le boire.
Mon bon ami Jacob, inoubliable ami,
Que ton âme toujours vive dans notre Ukraine :
Vole au-dessus des berges avec les Cosaques,
Cherche les tombes remuées parmi la steppe,
Verse de tristes larmes avec les Cosaques.
Attends-moi dans la steppe à mon retour d’exil.
En attendant cet heureux jour,
Mes pensées, ma peine féroce,
Je les sèmerai ; qu’elles croissent,
Qu’elles causent avec le vent.
Et le vent doux de notre Ukraine
Avec la rosée portera
Mes pensées au loin jusqu’à toi.
Ami, tu les accueilleras,
Pleurant des larmes fraternelles,
À voix basse tu les liras,
Tu te souviendras de la steppe,
Et des tombes et de la mer
Et tu te souviendras de moi.
(1845)
***
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MES PENSÉES, MES PENSÉES … (extrait)
Mes pensées, ô mes pensées,
Mes fleurs, mes enfants !
Je vous ai élevées, je vous ai choyées,
Que faire de vous maintenant ?
Allez en Ukraine, mes enfants,
Dans notre Ukraine,
Comme les orphelins longeant des palis,
Et moi, je mourrai ici.
Là-bas vous trouverez un grand cœur
Et des mots bienveillants,
Là-bas vous trouverez la vérité,
Et peut-être même la gloire…
Accueille, ma tendre mère,
Ô mon Ukraine,
Mes enfants innocents
Comme ton propre enfant.
Saint-Pétersbourg, 1840
Traduit par Darya Clarinard
***
Ivan Pidkova
Il fut un temps, en Ukraine,
Où les canons grondaient ;
Il fut un temps où les Zaporogues
Savaient régner.
Ils régnaient et gagnaient
Leur gloire et leur liberté ;
Cela est passé, seules sont restées
Des tombes dans la plaine.
Hautes sont les tombes
Où sombrèrent dans le repos
Les corps blancs des Cosaques,
Drapés dans une toile écarlate.
Hautes sont ces tombes,
Noires, semblables aux montagnes,
Qui conversent à voix basse, dans la plaine,
De la liberté avec les vents.
Ces témoins de la gloire des ancêtres
Discutent avec le vent,
Tandis que leur descendant porte sa faux
dans la rosée,
En reprenant leur chant.
Il fut un temps, en Ukraine,
Où le malheur dansait,
Le chagrin s’enivrait à la taverne
D’hydromel par seaux entiers.
Il fut un temps où il faisait bon
En cette Ukraine…
Souvenons-nous-en ! Notre cœur, peut-être,
Connaîtra un répit.
(...)
Et le père dans ses souvenirs,
Le père ne dira pas à son fils : « Prie,
Prie, mon fils : pour l’Ukraine
Il fut torturé jadis. »
Peu m’importe, si demain,
Si ce fils priera, ou non…
Mais ce qui m’importe réellement
C’est de constater qu’un ennemi ignoble
Endort, dérobe et consume l’Ukraine
La volant et la violant …
Ô, comme cela m’importe !
A soixante ans de distance, en guise d'avant-propos
(..)Le public français découvre l'oeuvre de Chevtchenko et son aura singulière alors que fait rage la guerre d'agression lancée par l'armée de Poutine contre l'Ukraine.Les textes rassemblés ici sont pourtant issus du volume consacré en 1964 à Taras Chevtchenko dans la collection " Poètes d'aujourd'hui ".A l'époque, il avait été publié avec l'aide directe du Parti communiste français et celle de l'URSS.
(...)
La traduction de ce recueil avait été confiée à Guillevic, qui était alors ( et depuis 1942) membre du Parti communiste français. (.. .)
Le volume paru chez Pierre Seghers, donc, a été publié en 1964.Il y aura bientôt soixante ans (p.6)
André Markovicz
A soixante ans de distance en guise d'avant-propos
(...) ( Taras Chevtchenko)
Né serf en 1814( la même année que Mikaël Lermontov), racheté à son propriétaire par deux des plus grands artistes de l'époque ( le peintre Karl Brioullov et le poète Vassili Joukovski), envoyé pourrir comme soldat aux confins de l'empire pendant près de dix ans par Nicolas Ier( qui avait donné l'ordre personnel de l'empêcher de dessiner et d'écrire), mort d'épuisement en 1861 à la suite des épreuves qu'il avait endurées, il a été l'un des plus grands créateurs de langue ukrainienne, auteur d'une œuvre titanesque dans les genres les plus divers(...)
Peintre et dessinateur hors pair- (..)Cet homme au courage indomptable, à la volonté de fer,qui à passé sa vie à dénoncer la dictature qui le persécutait au jour le jour, est aujourd'hui considéré en Ukraine comme un poète et un héros national.
André Markowicz