Etoiles Notabénistes : ******
ISBN : inconnu tout à fait à l'époque puisque "La Cafetière", sous son premier titre d'"Angela", parut en 1831 - Le texte que nous avons lu est tiré de "Récits Fantastiques", chez Garnier-Flammarion sous l'ISBN 9782081207219
Eh ! oui, celui qui, sur une caricature célèbre, figure en croupe du cheval d'un Hugo partant droit pour la Bataille d'"Hernani", avait un faible accentué - la liste de ses œuvres le prouve - pour le conte fantastique. Il nous en reste donc de très nombreux récits, certains parfaits, d'autres moyens, d'autres moins accessibles et moins réussis, dont les meilleurs ou tout simplement les plus populaires se croisent et se recroisent dans les anthologies spécialisées. Citons par exemple "Aria Marcella" ou "La Morte Amoureuse" et osez me dire que vous ne les connaissez pas au moins de titre même si vous confondez le premier avec une version latine et le second, avec une nouvelle de Poe. ;o)
Alors, évidemment, Théophile Gautier, en principe, c'est un Romantique. Mais, en ce qui me concerne, je l'ai souvent trouvé proche, en tout cas dans l'écriture à défaut des idées, du réalisme. Non pas un réalisme un peu sec, trop "léché" comme celui, parfois, de Flaubert, non pas cet autre, qui est aussi un miracle d'équilibre avec le lyrisme, et que l'on trouve dans certains ouvrages de George Sand, mais un réalisme qui lui appartient en propre, dont il ne se rendait peut-être pas compte lui-même quand il écrivait, et qui rend si vivantes les ruines où flâne Aria Marcella comme cette chambre tapissée de Jouy où pénètre le narrateur de "La Cafetière", Théodore, cela par une nuit assez sombre des années 1830, au cœur d'une antique maison où il se retrouve avec tout une bande d'amis.
Pour obtenir ce résultat, Gautier n'utilise que le détail, mais un détail assez précis pour que le lecteur soit à même de le "voir" mais pas trop nettement limité cependant pour que cette vision au millimètre près - ou presque - n'en vienne à l'aveugler et, pire encore, à le lasser.
Car enfin, cette délicieuse petite "Cafetière" en porcelaine, nous sommes en 2018, sous l'Ere d'un pseudo-Jupiter qui se croit tout permis (on se demande d'ailleurs pourquoi mais ... je m'abstiens d'aller plus avant afin de ne pas souiller ce petit joyau qu'est cette nouvelle, à la fois simple et élégante, une véritable aristocrate de la Littérature française) lorsque nous ouvrons les pages qui nous content son histoire : or, à peine suivons-nous Théodore dans la chambre où il va passer la nuit que nous voici transportés non seulement au XIXème siècle, siècle de l'écriture du texte, mais encore au XVIIIème, siècle où est censée avoir vécu la petite cafetière.
Le tour de force est magistral et pourtant, comme les plus grandes illusions jamais inventées par les meilleurs magiciens, il n'a l'air de rien. Mieux : il nous annonce, sans que nous en ayons conscience, que la fin de la nouvelle nous prépare une autre virevolte (plus exactement une double-virevolte), confondante de malice ... et de fantastique. L'Art sacré de la Chute, si difficile à atteindre et cependant commun - songez à la simplicité tranquille, à la vulgarité même que dissimule ce dernier adjectif, quand on le prend dans un sens qui n'inclut pas la connotation du partage - aux meilleurs nouvellistes et conteurs : cet Art est quasiment au summum dans l'humble petite "Cafetière" de Théophile Gautier.
D'ailleurs, c'est tout-à-fait banale, commune quoique mignonne, qu'apparaît tout d'abord à notre narrateur l'héroïne du récit. Il s'agit d'une cafetière, une petite cafetière en porcelaine, posée sur une table, d'où il la voit bientôt se lancer fort habilement sur le sol pour, sans nul doute, se rendre jusqu'à la cheminée et y faire réchauffer son contenu. A ce moment-là, Théodore n'est déjà plus le jeune voyageur frigorifié mais hautement cartésien que la pluie et le bourbier auxquels il venait d'échapper avec ses amis étaient les seuls à préoccuper. Cela fait bien une heure qu'il est couché dans cette chambre qu'on lui a donnée pour la nuit et dans laquelle, dès qu'il y est entré, il lui a semblé que la vie venait tout juste de s'arrêter, comme si quelqu'un l'y avait précédé et était sorti à l'instant pour s'en aller vaquer à d'autres affaires.
Et puis, en contemplant, pour s'endormir, les personnages de la tapisserie - de la toile de Jouy, qui fait toujours très XVIIIème - voilà que, peu à peu, il découvre - on devine avec quelle stupeur d'abord, puis avec quelle épouvante - avec quelle vivacité et quel ... réalisme ;o), les petites marquises et les petits marquis qui s'y ébattent se mettent à bouger vraiment. Ils discutent même entre eux, c'est très clair. Le lit, de son côté, donne l'impression de bouger, de s'animer. Quant aux portraits qui ornent les murs, eux aussi se mettent à faire des leurs.
Visiblement, pour tout ce petit monde, l'heure de se divertir et de faire salon est arrivée. L'occupant de l'une des toiles, qui semble préposé à cette charge importante, s'extirpe de son cadre et s'en va élargir, à l'aide d'une petite clef, ceux de ses voisins, afin qu'ils puissent prendre pied dans la chambre et le rejoindre. Que ces fantômes rematérialisés le temps d'une nuit aient un invité surprise, partagé entre la peur et le besoin de comprendre, n'a pas l'air de les déranger le moins du monde et, précisons-le d'emblée, aucun d'eux n'a la mauvaise grâce de chercher querelle à Théodore. On fait simplement comme s'il n'était pas là - après tout, il n'a pas été officiellement présenté - on bavarde, on papote, on boit du café (savez-vous, à ce propos, que Louis XV, symbole par excellence du XVIIIème siècle français, n'aimait rien tant que préparer tout seul son café matinal ?) et certains vont même jusqu'à danser.
Théodore est fasciné. Dans la pénombre, entre les nuages passant devant la lune et la lueur affaiblie de la bougie, le spectacle est merveilleux, à vrai dire plus merveilleux qu'inquiétant. Toute la grâce, toute la beauté disparues d'un siècle qui s'engloutit dans le sang de Thermidor se raniment sous les yeux d'un jeune homme né sous l'Empire.
Certes, commencée aux douze coups de minuit dans le rythme encore solennel des menuets d'antan, la danse a fini par ressembler, pour chaque couple de danseurs, à une sorte de tourbillon, toujours gracieux mais infiniment rapide. (On notera d'ailleurs que tous les objets ayant servi à prendre le café, y compris la cafetière en porcelaine, au profil si particulier, ont disparu tous d'un seul coup quand a sonné l'heure du bal.) Mais tout demeure aussi étrange qu'éblouissant pour notre héros. Néanmoins, si obsédé qu'il soit par ces couples tourbillonnants, il finit par remarquer, assise dans un fauteuil, un peu à l'écart, une jeune fille au profil bien découpé et qui semble regarder avec nostalgie vers l'extérieur. Elle est jeune, elle est jolie, il voudrait bien faire sa connaissance, ce qui se fait dans les règles, il voudrait même risquer une danse car - de cela il ne s'en apercevra qu'à son réveil - il est (depuis quand donc ?) habillé comme un gentilhomme du siècle précédent.
La jeune personne, d'abord, décline aussi gentiment que poliment, jusqu'à ce que la voix qui avait annoncé l'heure du début des réjouissances - la "voix d'argent" - s'adresse à elle, comme intemporelle, et lui dit : "Angela, vous pouvez danser avec monsieur, si cela vous fait plaisir, mais vous savez ce qui en résultera." Ce à quoi, d'un air boudeur, Angela répond : "N'importe !"
Et notre couple heureux, heureux, oh ! mais heureux ! de valser, de valser, de valser jusqu'au chant de l'alouette. Alors, Angela pousse un cri et veut s'enfuir, elle tombe ...
... et je vous laisse découvrir la fin, bien entendu. Une chute remarquable et qui, il faut bien le dire et le redire, n'a pourtant l'air de rien alors qu'elle nous abandonne à tant de questions - trois très précisément. Mais vous en découvrirez peut-être d'autres. Quoi qu'il en soit, j'espère que vous trouverez plaisir à lire et à relire cette exquise nouvelle, pourtant si brève, qui fait honneur non seulement au talent de Théophile Gautier mais aussi à notre Littérature. ;o)
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