Terre Thierry Metz
lu par Lionel Mazari
Je rêve d'un jardin: pauvre, à peine entretenu, pas grand, cerné de murs, dans une rue qui monte. On y accède par cinq petites marches. On pousse une porte que j'ai bricolée avec du grillage, des bouts de bois, un restant de peinture bleue. Il y a une lanterne noire accrochée à une perche. L'été, j'allume une bougie pour les papillons. Contre le mur, au fond, à droite, j'ai construit une tonnelle avec des chevrons et des planches. Le toit est goudronné mais il faudra que je mette des tuiles quand j'en trouverai. Dedans, j'ai placé une table ovale et des chaises un peu tordues, un meuble bas récupéré dans une décharge, un vase blanc à long col et d'autres récipients en argile ou en verre. Au mur, contre la pierre, comme un tableau, j'ai fixé une fenêtre, une vraie fenêtre pour voir ce qu'on veut, pour désigner, peut-être, une sorte d'inaccessible, une autre parole, une autre image, la trace inventée d'un mot absent, quelque chose au-dedans d'éclairé qui se sépare de nous momentanément. La fenêtre des morts. Mon jardin est une dissonance faite d'objets et de plantes, de choses dénichées ici et partout, reprises, recomposées, sauvées de l'incertitude et de la fatigue où sont les gens. Ainsi, par quelques trouvailles ordinaires, on retrouve les accords élémentaires du monde et du ciel. On y voit tout le reste.
( Extrait de "Un jardin dans une rue", 1991 )
Un avril d'oiseaux s'éveille dans les arbres. Qui sait où je vais? Pas un nuage, seulement le chemin de castine puis le bois. Je rôde par là vers rien. Dans cette lumière qui me cherche comme une ombre. Seule, agaçante, une abeille me tourne autour. Mais chacun des mes pas compose un chemin.
Ce n'est que moi. Né d'une fougère.
Promeneur sans bâton.
Toujours lui, jamais le même. Une branche, peut-être de l'indiscernable.
1995
Tendre le bras, l’élever, c’est cueillir ce fruit haut placé–c’est arrivé avant les oiseaux. Avant les étoiles.
Je voulais marcher, c’est tout. Sortir un instant de ces besognes qui n’écoutent pas ce que nous sommes.
Marcher, dériver…
Lentement j’ai suivi le soleil…
Lentement…
Qu’importe ce que j’ai trouvé. Du vent et des ombres. Je passais.
Croiser ta voix c'est entendre, au loin, un ruisseau.
C'est aller y chercher de l'eau, t'en donner.
Et seulement du bout des doigts, connaître la soif.
Un peu de jour
pris
par la fenêtre
le monde et quelque chose
comme un instant de verdure
de renoncement
tout le livre ouvert maintenant
et l'oiseau
mais ce qui fut jardin
en un temps
hors des limites
comme est la mort
un temps de clôture
pour que puisse entrer
une autre idée de l'oiseau sur le sol
un peu de ciel.
.
Le chef est italien, dur d'accent, dur de caractère. [...]
Il manie la pioche comme un bâton [...]
Ses mains déployées en disent long.
Il parle peu mais toujours du travail. D'une coulée de gestes qu'il dirige vers nous par le plus court chemin.
Discuter l'énerve, le déconcerte.
- Tu connais le travail ? Alors si tu connais le travail, tu le fais. Pourquoi me raconter des histoires? Tu dis que t'es maçon ? Et tu fais un travail qui n'est pas de niveau ! Autant appeler un passant dans la rue...
Il parlait d'un homme que l'entreprise avait embauché sur un autre chantier. Et qu'ils n'ont pas gardé.
Ici on n'attend pas. Il faut suivre ou rester avec les oiseaux.
Ici on ne trace pas l'arc-en-ciel autour de sa soif.
Dès l'aube, ne trouver dans le lit qu'un peu de soleil, que le jour qui se lève. Et les graines que j'avais laissées dans tes mains.
Tu viens me rejoindre. Tu es là. Je t'aime.
Tu m'apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd'hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n'ai as à m'absenter...
Te regarder.
T’écouter.
C’est tout.
Tu vois : nous sommes pauvres.
Tu es l’aile que l’ange envie dans sa ténèbre.
Je ne cesse, moi, de sillonner , de
bouger l'enclume.
Et dès que je suis seul
comme ici
je m'étoile.
Je couve.
Je découvre une voix
qui n'a pas dormi.