Lettres à la bien-aimée, ce sont des lettres où les mots sont ramassés dans le nid que forment deux mains collées l'une à l'autre. Ce sont des lettres d'amour et qui ont mal. Ce sont des nids de chagrin.
Ce sont des lettres comme on porte l'eau à sa bouche.
Thierry Metz est un poète maçon. Ou bien peut-être c'est l'inverse. C'est la main d'un maçon qui écrit ces lettres. Les mains d'un manoeuvre le jour sur les chantiers, là-bas dans le sud de la France. Je dis là-bas parce que pour moi le sud c'est toujours là-bas.
J'imagine ces lettres écrites le soir après le travail sur un cahier blanc. Il y a une petite table dressée là sous les combles d'une chambre étroite dont la lucarne unique donne sur le ciel et la lune.
Ces mots sont du miel à nos lèvres.
« Croiser ta voix c'est entendre, au loin, un ruisseau.
C'est aller y chercher de l'eau, t'en donner. Et seulement du bout des doigts, connaître la soif. »
Le coeur de Thierry Metz s'est peut-être arrêté de battre le 20 mai 1988, le jour où son fils Vincent, huit ans, est tué par une voiture. Thierry Metz ne s'en remettra jamais.
La bien-aimée, c'est la mère de l'enfant, celle qu'il aime par-dessus tout. Comment écrire des lettres d'amour après cela ? Comment ne pas les écrire ? Comment les écrire autrement ?
Comment tenir debout parmi le vent et les naufrages, dans ce corps qui penche vers le vide ? Comment tenir debout parmi les mots d'amour et les sanglots à peine couverts par le bruit du ciel et de la terre ?
« N'être pas sans ce que tu fais.
Me plonger où tu es.
Entrer en toi par tes gestes. Par ceux qui désignent la lune. »
Ce sont les mots d'un taiseux qui vont au coeur, à l'essentiel. Ce sont des lettres épurées. Ce sont des mots de l'urgence, griffonnés le soir après le travail, les doigts harassés de fatigue et de doute.
Ces mots sont comme le bruit d'un ruisseau, nous y entrons pieds nus, sans faire de bruit pour ne pas les affoler. Nous tournons les pages avec le soleil entre les doigts.
Parfois l'évocation de l'enfant revient dans ce dialogue. Il est toujours présent, toujours là dans les pages qui bruissent.
« Je sais que tu penses au petit, à sa mort.
Qu'il n'y a plus que quelques gestes. Dans un grenier de chagrin. »
Ce cahier d'écolier, était-il un appui, une délivrance, un chemin, un abord, un ami, une fenêtre, une main tendue vers le ciel par-dessus la lucarne, une façon d'aimer, une façon de le dire, une façon d'oublier la douleur au creux du ventre, un geste pour soulager la main fatiguée après le travail de manoeuvre, soulager le coeur qui a mal, un puits sans fond où tomber encore un peu plus chaque soir, une caresse sur la joue de la bien-aimée, une façon d'être seul avec elle contre la fatalité, les jours sans l'enfant qui n'est plus là, d'autres jours à construire, survivre malgré cela, était-ce un appui au bord du vide pour ne plus tomber...?
On sent bien que ces mots viennent habiter le silence d'un homme, le silence du soir, porter un peu de clarté, habiter la lumière.
Il y a une forme d'urgence dans la voix de ce poète.
On sent bien que quelque chose ne s'éteindra jamais.
Je ne sais pas ce que Thierry Metz voulait faire de ces lettres. On voudrait parfois naïvement penser que l'écriture peut sauver un homme en détresse.
J'ai été ébloui par les mots de ce poète et j'ai encore du mal à m'en remettre. On ne sort pas indemne de ce récit poétique, des autres récits aussi qu'il a écrit avant après.
J'espère vous donner envie de le lire.
Thierry Metz s'est absenté de la vie un 16 avril 1997.
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Une petite voix que nous connaissons bien
nous rend visite le soir. Une voix d'enfant qui
nous raconte ce qui se passe là-bas, comment
sont les gens, ce qu'on y trouve. Lentement il
nous berce, nous accompagne jusqu'au sommeil, nous ferme les yeux...
Non.
Rien de cela.
Qu'une inépuisable, inexorable absence.
Rien qu'une mort.
Et un nom : VINCENT.
Croiser ta voix c'est entendre, au loin, un ruisseau.
C'est aller y chercher de l'eau, t'en donner.
Et seulement du bout des doigts, connaître la soif.
Dès l'aube, ne trouver dans le lit qu'un peu de soleil, que le jour qui se lève. Et les graines que j'avais laissées dans tes mains.
Nous traversons chaque jour le regard de l'ange mais c'est plus loin, en marchant, que nous apercevons (sans demander pourquoi) l'urgence de sa quête, les quelques vestiges de l'être : bois sec, pierres qui bornent un feu, ces quelques étoiles qui nous font lever la tête.
C'est toujours l'intérieur qui est à l'affût.
Vers toi ou vers un Dieu...
Ces grands brûlés de l'être. Même si plus grand-chose ne s'établit entre eux, même si plus rien ne les retient.
Eux, au moins, jusqu'à n'être plus rien, marchent.
Vers l'intérieur.
On attend quelque chose.
Terre – Thierry Metz
lu par Lionel Mazari