Citations de Valérie Cohen (147)
Dans cette clinique de revalidation où les hommes réapprennent à tenir debout, elle a creusé sa tombe, chaque jour un peu plus. Elle y a enterré ses rêves et s’est accommodée de la tiédeur des choses
La vie rejoue en boucle un même scénario dont seuls les époques et les rôles changent. Mila et Barbara reprochent à leur parente de se taire, de cacher, de camoufler. Mais Sybille ne vaut pas mieux que son amie. Complice d’un même délit, celui de draper le passé de silence et d’espérer qu’il disparaisse avec soi. Toutes deux avaient oublié un détail important: leurs souffrances murées en secret font désormais partie de leur héritage et celui-ci, après elles, ne leur appartiendra plus.
La famille fait mal, immanquablement. De ces douleurs vivaces qui lacèrent le cœur et le font battre à la fois. Son derme gonflé lui rappelle alors les stigmates de sa déception, l’immensité de sa naïveté. Quelques heures ou quelques jours. Une minuscule piqûre, un simple bouton de rappel sur sa peau claire de rousse. Il l’accompagne quand elle glisse dans le sommeil puis disparaît, jusqu’à la prochaine fois. Évanescence des émotions. Il laisse alors en elle une cicatrice imperceptible qu’elle contemple les yeux rougis et puis, sans s’en rendre compte, elle finit par l’oublier. Et voilà qu’elle est une vieille femme…
Le passé, ça colle toujours aux semelles. Alors, j'ai jeté les chaussures.
Blandine n'était arrivée que depuis quelques heures, mais déjà, par sa seule présence, elle avait anesthésié ses angoisses et son hyperactivité mentale. Cette femme devrait être brevetée Xanax naturel !
Pourtant, elle en est consciente, c'est dangereux, un passé. On peut l'envoyer balader, le disséquer, lui claquer la porte au nez, le diluer dans l'alcool ou simplement le tenir à distance. Tentatives hasardeuses. Il chancelle, mais ne s'évanouit jamais. Au pire, il vampirise nos nuits. Au mieux, il éclaire nos jours. Une fois inscrits dans la mémoire, les souvenirs se contorsionnent, traversent notre conscience et s'immiscent, sans y être invités, dans nos rêves, nos silences et nos conversations.
Gisèle avait englouti une nouvelle bouchée et plongé ses yeux dans ceux de son hôtesse. Devinait-elle alors que cette sage-femme serait sa plus belle rencontre ? Sa sauveuse, sa tutrice jusqu'à sa majorité, une part d'elle-même dont elle ne pourrait jamais se défaire ? Sybille s'était sentie happée par ce regard profond.....
...Dans ces yeux-là, elle s'était reconnue.
Alors qu'il étiquette un nouvel échantillon, le généticien tente de donner un visage à ces milliers de femmes et d'hommes condensés en une pipette transparente. Tant de gens et de vies entremêlées. Des êtres prêts à léguer quelques millilitres de salive pour en avoir plus sur leurs aïeux. Des inconnus disposés à ouvrir leur portefeuille ou à poser sur Facebook pour faire parler leur profil génétique.
Ainsi donc est faite la vie : chaque corde dénouée se referme sur un noeud plus solide encore.
Rien n'avait changé, ou si peu. Elle se coulait dans le flot de la vie et souriait avec envie aux papillons nocturnes. Un jour, elle aussi ferait ce qu'elle voudrait . Elle s'autorisait à rêver et à effacer les interdits.
L'acceptation de la fatalité germait en elle et elle s'ouvrait à demain avec la conviction qu'il serait rose pâle.
« Ces femmes sont comme ce paysage. Immuables et changeantes ; éphémères et pourtant éternelles », se dit-elle avant de serrer sa grand-mère fort contre elle.
La famille est un parterre de ronces dans un magnifique jardin d'hiver.
Au fait, vous savez pourquoi on a créé les couteaux avec des bouts ronds ?
- Euh… non, mais j'aimerais bien le savoir, répond Cynthia.
- C'est pour éviter les meurtres à table.
certaines personnes permettent d'accoucher de soi-même et de faire éclore, au-delà des apparences, l'intime qui se tapit sous les couches de convenances et se refuse à naître.
Pourquoi les arbres généalogiques ne comportent-ils pas une case pour les amis de toujours, les amours défuntes et les amants, les personnes qu'on aurait adoré avoir dans sa lignée, les maîtres à penser, les sauveurs ? Les rencontres providentielles. Les complices choisis...
La terre, comme une famille, porte en elle les germes de demain. Elle doit être nourrie, veillée, ensemencée, célébrée. Les récoltes ne sont pas dues, elles se méritent.
On peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes.
Elle empruntera des sentiers balisés, des chemins de traverse et des voies de garage. Certains matins, elle optera pour de larges enjambées et certains autres, leur leur préférera les petites foulées. Il y aura tant de terres à parcourir avant de trouver celle qui la retiendra que ses pieds usés lui feront mal. Mais ses pas auront toujours une empreinte plus large que la sienne. Une empreinte indélébile. Comme chacun, elle découvrira qu'on ne court pas en toute impunité sur les traces de sa propre histoire. Ses ancêtres lui ont ouvert la route et ils l'accompagneront à son insu. Aujourd'hui comme demain.
Elle... reste là, immobile, la bouche pleine de mots qu'elle ne peut prononcer. Des émotions contenues, des pensées cadenassées. Comme souvent, sa joie est fracturée, fragmentée par des réminiscences d'hier. Elles s'infiltrent dans les interstices de son bonheur.