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4.36/5 (sur 82 notes)

Nationalité : États-Unis
Né(e) à : Fargo, Dakota du Nord , le 30/07/1924
Mort(e) à : University City, Missouri , le 6/12/2017
Biographie :

William Howard Gass est un nouvelliste, essayiste américain.

Né dans le Dakota du Nord, il grandit dans l'Ohio, où sa famille déménage après sa naissance. Père absent, mère alcoolique, son enfance est malheureuse.

Il poursuit des études à l'Université de Wesleyan, avant de s'engager dans la marine et de participer à la Seconde Guerre mondiale.

En 1954, il obtient son doctorat en philosophie à l'Université Cornell. Il devient professeur et enseigne entre autre à l'Université Washington de Saint-Louis (1969-1978). Il y côtoie les auteurs Mona Van Duyn, Howard Nemerov, Stanley Elkin.

En 1966, son premier roman, "La Chance d’Omensetter" (Omensetter's Luck), lui permet d'être reconnu comme l’un des écrivains les plus prometteurs depuis Faulkner.

Cependant, ce n'est qu'en 1995 que son second roman, "Le tunnel" (The Tunnel), qui a nécessité trente ans de travail, est publié. Ouvrage culte aux États-Unis, où il est considéré par de nombreux écrivains et critiques comme l’un des meilleurs romans américains de tous les temps. Il est récompensé par l'American Book Award en 1995.

Il est aussi l'auteur de trois recueils de nouvelles, sept volumes d'essais (dont trois ont remporté le National Book Critics Circle Award) et de critiques.
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Source : Wikipédia
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Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Le monde de châtiment repose ici sur le principe de l’œil pour l’œil, mais je suis bien sûr que si les enfants Mean peuvent redouter d'être réincarnés en fourmis (qu'un rouleau compresseur écrase) ou en papillons (dont les bras sont arrachés), les fourmis et les papillons de leur côté redouteraient tout autant une complète réciprocité. J'imagine que les papillons préféreraient mourir tout de suite, les ailes brûlées, en possession de toute leur beauté, plutôt qu'être bousculés, pincés, malmenés, et, avant de perdre le pouvoir de voler, d'en perdre le désir, et avant le désir, l'éloquence de leur splendeur.
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Dans le pays de l'esprit, il y a des calamités, non point semblables, mais qui toutes méritent notre désarroi. Le massacre de la raison est aussi régulier que celui des vaches dans un abattoir.
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(...) les prêtres de toutes sortes ont toujours eu à coeur de proclamer l'importance au nom de Dieu du moindre pékin dont ils s'apprêtent à piller les piètres biens. Dieu, disent-ils, place la valeur du plus pauvre des miséreux au-delà de la valeur des éléments naturels (essence), des objets (maison) et, ou, des entités (banques). Le pauvre pèse autant dans la balance de Dieu qu'un nuage de moucherons, ou peut-être qu'un champ de fleurs, mais cent fois plus qu'un lac de montagne ou une vallée d'arbres fruitiers, plus qu'une symphonie de psaumes ou un système philosophique ; car l'être humain demeure d'une valeur infinie ; il est rempli d'âme comme un bol de soupe et ne doit pas être démoralisé ou abîmé ou se voir refuser ses besoins, quoiqu'il en coûte aux rives d'un lac ou à un bord de mer, à une forêt, à la ionosphère, à l'arc-en-ciel ou au geyser ; pas un seul cheveu sur son caillou ni le moindre petit poil à son menton ne devraient être malmenés, puisque même les rognures d'ongle, les mucosités et les empreintes laissées par les pieds possèdent des pouvoirs magiques ; l'homme est si glorieux, si inestimable, quel que soit son coût, aussi étonnants que soient ses muscles et autres exploits, qu'il surpasse le ver qui fait la soie, le castor qui érige des barrages, et l'oiseau qui évolue sans cesse seul dans le désert des mers.
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(...) nous pourrions nous tourner vers Erasme lui-même et lire comment "l'esprit humain a été pétri de telle sorte qu'il se laisse prendre par les apparences plutôt que par la vérité. Voulez-vous en faire l'expérience pratique et concluante ? Allez à l'église écouter les sermons". Mais Erasme n'excluait pas non plus les philosophes. Ils sont "vénérables surtout par leurs barbes et leurs manteaux. Ecoutez-les, ils s'imaginent posséder toute sagesse, le reste des hommes n'existe pas pour eux. Qu'il est délicieux, leur délire, lorsqu'ils créent dans le vide des mondes infinis, quand ils mesurent la lune, les étoiles et les globes avec autant d'aplomb que s'ils les avaient sous leur compas, ou bien encore, quand ils s'expliquent des choses inexplicables de la foudre, du vent, des éclipses et des autres phénomènes naturels ! Et n'allez pas croire qu'ils hésitent ; il semble qu'ils sont dans la confidence des architectes des mondes et qu'ils arrivent en droite ligne de leur conseil. Heureusement, la nature se moque bien de leurs hypothèses".
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William H. Gass
Les véritables alchimistes ne transforment pas le plomb en or ; ils transforment le monde en mots.
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Le soir était un peu moins pesant pour l’esprit. Ce qui était perdu était perdu, même si l’amertume demeurait. Le souper se composait de tranches de viande froide, de salade de pommes de terre et d’un fromage jaune. Après le repas, la radio nous transfusait sa jovialité, et je m’efforçais de finir mes devoirs entre deux blagues. D’habitude, ça se passait assez bien, mais parfois la concentration n’y était pas, ou j’étais obstinément récalcitrant, ou souvent, quand c’était de l’algèbre ou de la géométrie, je comprenais tout de travers et passais des prémisses aux preuves comme le petit poucet. Je n’avais alors aucune patience (aujourd’hui ma patience est celle de l’araignée), et je détestais farouchement passer pour stupide, du coup je me fâchais vite avec mon père, qui de temps à autre s’accordait avec Euclide pour dire que j’étais bête à un degré pour lequel même Edison n’aurait pas été en mesure d’inventer une mesure, et voulait être le seul à avoir le droit de râler et d’en faire des tonnes. J’écoutais toujours les informations, en espérant que le Hindenburg exploserait à nouveau. Dans mon lit, je pilotais des avions et larguais des bombes. Les occasions de rêvasser étaient infinies, et déjà j’imaginais des châteaux dérobés aux regards, des forteresses secrètes, des refuges souterrains, et autres retraites militaires. Ou, une arme à la ceinture, dans la botte et sous le bras, je prenais la première diligence du matin. Ou me balançais à bout de bras entre les arbres. Je récitais parfois d’un ton morne une leçon que j’étais censé apprendre, et le sommeil opérait tel un tendre antalgique, me délivrant des migraines et des devoirs.

Je recopie ces noms lentement, comme s’ils m’importaient, et forme les lettres avec un dédain calme. Je les dispose emblématiquement (car ne suis-je pas en train de jouer ?), formant une étoile que mon imagination remplit de jaune comme si c’était de l’urine. J’en tire du plaisir. Ce sont des noms étranges, pour la plupart ; arrachés aux fissures bibliques telles de petites pousses obstinées. Ce sont des noms donnés à des démons dans des incantations magiques, des noms sales, des noms si juifs que même leurs nez sont crochus, et leurs peaux bistrées ; regardez les croches de ces k, la rouerie et l’allure chicaneuse des z : Je t’invoque, Abimelech, apparais avec tes cohortes, les sorcières Chinke et Keile, les démons Zedek et Itzig, les succubes Hitzel et Mikele, les putains, les Jezebel, Rebekka et Chiniche, leurs cons dans leurs gorges pour mieux brailler, leur toison en sautoir, surmontée d’une fente souriante et lippue en T, présentant nos désirs sous forme d’une énigme : quelle bouche baiser ? quelle plaie panser ? quel orifice pénétrer ? quelle aubaine bénir ? quel fléau flatter ?
Cette étoile, cette forme, est comme mon livre, mon histoire de Hitler et de ses sbires (leurs cœurs homosexuels, leurs styles hermaphrodites), et se présente de la façon dont mon ouvrage présente les tenants et les aboutissants de leur crime ; car l’aspect sagement académique de mon manuscrit – si Buch, si Boche, la sonorité de son titre, Culpabilité et Innocence dans l’Allemagne de Hitler, sa forme sobrement documentée, ses jours entassés sur des décennies comme de la bouse dans une étable, sa puissance logique pareille à la puanteur qui en émane (y eut-il jamais assemblage de faits aussi déplaisant ?), ainsi que sa noble hiérarchie d’explications, comme s’il s’agissait d’un service gouvernemental, les tables anales de statistiques, également, et le pesant appareil des références : toutes ces choses redressent les dents de la vérité ; elles imposent un ordre à l’accident, trouvent une volonté dans l’histoire aussi brûlante que le phlogistique (quelles leçons tirer de la tyrannie sinon des défaites et des décrets ? quoi de plus répétitive que l’existence, de plus direct et de plus assertif que mon style académique et discipliné ? tout est à la fois simultané, continu, intermittent et mélangé ; aucun numéro tatoué, nul string en cuir ne marquent la page) ; ah, mon livre lance des ordres, et les événements sont disposés tels des raisins décoratifs sur un biscuit (cette rangée-ci est la bouche, et là c’est un œil) ; il lève le vent qui le fait claquer, et bientôt toute brume est arrachée aux circonstances, la confusion s’éclipse, un champ désert se retrouve encerclé de citations comme du fil de fer barbelé ; bref, de la même façon dont ce joli motif de noms ôte le dégoût d’une douzaine de dossiers, déchire quelques proclamations menaçantes, décore la mort tel un fanion sur une lance.
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La pensée que l’humanité puisse ne pas perdurer a été remplacée par la peur qu’elle s’en sorte.
Traversant le terrain d’un bout à l’autre, le Jugement dernier faillit presque remporter le match autrefois. Ce fut un demi-cataclysme – un clysme, donc. Un essai non transformé. Un tiers du monde tomba malade au cours des trois années où sévit la peste noire : 1348, 1349, 1350. Et la peste abattit quatre fois sa faux, réduisant au final l’Europe à la moitié de ce qu’elle avait été au siècle précédent : en 1388, 1389, 1390. On pensait alors que la maladie était le Malin devenu armée. On disait que c’était le siècle de Satan. Diabolus in musica. C’était avant la troisième bataille d’Ypres. La population de la planète diminua d’un cinquième.
Ceux qui contractèrent la peste et survécurent : ils indiquaient à Joseph Skizzen la fâcheuse éventualité que l’homme pût se défiler à l’heure de l’Apocalypse, un mort par seconde ne suffisant pas, et réchapper au carnage, esquiver les meutes de météores, croupir dans des bunkers pendant tout le temps d’une guerre totale tandis que les canons râlaient pour saluer notre dernier souffle comme si l’horreur était une cérémonie, puis en sortir pour chanter les bombes qui explosent, supporter les rafales de millions d’armes aux détentes amoureusement pressées jusqu’à complet épuisement des munitions de toutes les nations, quand toutes les balles domestiques auront détruit jusqu’au dernier voisin en vie, et dans le silence qui suivrait la saignée on entendrait seulement s’écrouler, pierre après pierre, les palais de la finance, d’innombrables aspirateurs, obéissant à leurs propres commandements, avalant les mensonges officiels, les contrats hurlant telles des salades qu’on cisèle, les hauts cris des crucifixions bienveillantes portés par le vent comme une ode, le grincement de toutes les roues qu’on désinvente, les brèves protestations des néons qui s’éteignent, des fils dénervés ; le ralentissement de toutes les fonctions se ferait pourtant en silence, la merde récoltée dans les rues afin d’être réchauffée dans d’aberrants fours à micro-ondes, les maladies proliférant et se disputant les victimes, les machines s’épuisant puis calant sans même soupirer, jusqu’à ce que le calme pesant de la guerre achevée soit brisé par… par quoi ? Pouvons-nous imaginer des furoncles fermenter et fuser de chaque œil survivant… le pus accumulé de la perception ? Une pétarade, mais laquelle ? Celle de trompettes recrachant vingt siècles de bruit inepte à la face d’un monde déjà assourdi… Quel serait ce son, exactement ? Une vocifération faisant frémir les clous déjà fichés dans la fente du bois, puis… puis, alors que ce son leur parvient par la fenêtre, les maisons qui se soulèvent et s’affaissent sur elles-mêmes, libérées de leur socle telle la chair d’un corset ; mais de chaque tas de gravats, des ruines fumantes, des fossés remplis de cadavres consanguins, pourrait ramper alors un survivant – il était ce survivant, Joseph Skizzen, diafoirus et musicien – quelqu’un né des ruines comme les mouches de l’ordure ; et d’une grotte ou d’un bosquet d’arbres châtrés émergerait une créature capable de survivre à un régime de soupe visqueuse, voire de ses propres entrailles, et malgré toutes les catastrophes imaginables de sauver au moins un vestige de sa race avec la force, l’intérêt, le cran, de continuer à niquer, à niquer comme un croisé chrétien, la bite encore bien roide, et assez de sperme pour engendrer, niquer encore, même amputé d’une jambe, même boiteux, niquer toujours, la langue tranchée, niquer, un œil en moins, niquer, afin de se multiplier, d’abord pour se répandre puis pour se rassembler, conférer, s’interroger, inventer, philosopher, accumuler, comploter – et s’interroger, pourquoi ce châtiment ? Se demander : pourquoi cette douleur ? Pourquoi avons-nous – parmi les nous qui furent – survécu ? Qu’a-t-il été accompli qui n’aurait pu l’être autrement ? À quoi bon des bébés si c’est pour les emballer brutalement dans la terre ? Qui d’entre nous a trahi notre foi ? Comment expliquer notre déveine ? Quel plan divin fut accompli par ce désastre ? Pourquoi les anciens ont-ils été torturés par les morts qu’ils étaient sur le point de pleurer ? Pourquoi ?… Mais n’étions-nous pas spéciaux ? Nous autres, les rescapés, sans un arbre où grimper, nous qui avons été épargnés, sauvés en vue d’un instant de splendeur ! Se voir remettre le trophée, accorder un prix ; parce que le Livre des Livres, en lequel nous avions foi, nous autres pauvres fous, affirmait que quelques-uns seraient sauvés ; parce que les bons, les grands, les bien nés et les mieux introduits, les riches et les gloires de ce monde, s’en sortiraient, et… et… nous y croyions, nous le savions, Dieu veille à notre heureux dénouement, il y veille, y veillera, s’il n’est pas déjà repu, s’il ne décide pas de nous plumer le dos, la tête et le bec, à nous autres pathétiques alouettes.
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Depuis la solitude de la poésie, Rilke a composé notre isolement. Hier blüht wohl einiges auf ; aus stummen Abstruz blüht ein unwissendes Krautsingend hervor. Les fleurs chantent comme autrefois les ménestrels. Du sang auquel personne ne croit éclate en fleur. Mais je n’ai connaissance d’aucun départ en parfum. De victoires évasées dans le verre d’un vase.
Un boulet de canon, une fois tiré, disait le Grand Juif, peut se sentir assez libre au sein de sa trajectoire ; il s’élève comme nous le faisons tous, puis descend sans douleur ni remords tel un fou.
Sale habitude, aussi – des cendres sur tout chose.
Certes, le fusil vous place à une saine distance. Dans le même temps, il inspire une inquiétante indifférence, une lassitude à l’égard du devoir, s’il n’est pas remplacé par la haine à un degré supérieur ; ainsi nous faisons-nous une image de notre ennemi ; ou plutôt, Kohler, c’est notre ennemi que nous fabriquons ; sinon notre soldat perd courage.
L’histoire refuse de se frotter à la solitude ou à la poésie, aussi l’ai-je choisie dans ma solitude, devenant l’intime des multitudes, étudiant le temps et la distance avec Margot la Folle.
Le mythe exterminant le mythe : c’est la guerre d’aujourd’hui.
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Quand j’écris sur le Troisième Reich, ou maintenant, quand j’écris sur moi, est-ce vraiment la vérité que je veux ? Qu’est-ce que je veux, exactement ? découvrir qui je suis ? À quoi bon ? Je veux me sentir un peu moins mal à l’aise. Nous traînons nos actions derrière nous comme une kyrielle de monstres. Je suis le Reich, le troisième fils, les ruines. Ce genre de chose – de confession – cette histoire de père-pardonne-moi – ce n’est pas mon truc. Mes pensées s’envolent telles a flèche de Zénon, immobiles en plein vol. Non, pas ma tonalité. Mon ton habituel est académique. Je me déplace toujours avec prudence. Et j’ai été loué pour le poids, la substance de ma pensée. Mais ce n’est pas ainsi que j’ai envie de m’exprimer maintenant, et je m’aperçois (je l’ai compris en écrivant) que mon sujet est bien trop sérieux pour l’enseignement, pour l’histoire, et que je dois trouver une autre forme avant de libérer ce qui en moi est captif. Rendez-vous compte : l’histoire n’est pas assez sérieuse, la causalité trop comique, la chronologie insuffisamment précise. C’est la mesure de mon style. Ça l’est assurément. Moi qui conçois de telles phrases. Même dans mon esprit. Et c’est dans cet état d’esprit que j’ai accompli mon célèbre travail – oui, en l’ouvrant en grand au monde. Le professeur Kohler a donné à l’esprit allemand un lieu public dans la nature. Les hommes peuvent l’arpenter désormais comme quelqu’un qui attend un bus, et donner à manger aux oiseaux. Mais cela, bien sûr, le vieux Bjornson ne l’a pas dit ; c’est ce que je dis, moi.
Si je pouvais simplement me sentir un peu moins mal à l’aise. Ça serait bien.
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Les nouvelles conféraient un poids moral à Ray : les progrès victorieux de la guerre – ou son issue catastrophique, selon Nita, qui ne reniait rien de ses attaches autrichiennes -, des nouvelles qui justifiaient ses pressentiments, qui étayaient de plus en plus ses sévères jugements et rendaient l’étrange exode de sa famille aussi extralucide que les dires d’une sibylle. Tu as peut-être l’air pure parce que tu sens le savon, disait-il, mais je suis pur des deux côtés de ma conscience ; tes mains sont peut-être ridées à force de lessives, mais les miennes sont plus lisses et plus blanches que du papier. Il exposa ses paumes. On peut voir à travers. Le travail accompli par ces mains n’a rien de honteux ; par conséquent, je ne puis être autrichien ; les mains d’un Autrichien devraient être avalées par ses manches. Et toi aussi tu peux jouir d’un cœur serein. Nita opina sans acquiescer. Son mari pensa si fort « grâce à moi » qu’elle crut l’entendre. Mon cœur a été kidnappé, dit-elle, emporté avec mes bébés dans un monde de désastres. J’aurais pu vivre dans mon village une vie paisible et inoffensive… et tendre ma main au premier venu. Ray grimaça sans démentir. Tu aurais serré des mains qui s’enrichissent, insista-t-il, qui fabriquent des engins de guerre ; qui rapportent à la police ; qui aident les rafles ; qui commettent des meurtres ; les mains d’un oncle qui ravitaille des troupes, les mains d’un cousin qui conduit un camion, d’un neveu qui vend des habits. Tu n’en saurais rien : rien du fils du voisin qui a abattu des gitans, des homos, des Juifs, et du dentiste qui a arraché l’or de leurs dents. Les nazis cultivaient tant d’alliés sournois. Tu aurais rencontré dans une rue de Graz où tu serais allée acheter un chapeau – untel, celui-ci. Tu te serais assise sur une banquette dans le même train. Tu n’aurais pas regardé par la fenêtre mais feint de lire alors que le train passait devant des barbelés, des arbres abattus, un camp. Tu aurais souri à un homme qui a fabriqué ce barbelé, qui a parlé dans un mégaphone, qui a abusé de femmes emprisonnées. Ça souillerait même des mains bien propres et réduirait à néant le penchant qu’a la nature pour les mains pâles, puisque même les paumes d’un Nègre sont roses. Tes doigts gracieux ne seraient pas noueux du fait d’un labeur honnête ; ils prendraient lentement l’aspect de serres. Désirer la nationalité autrichienne, c’est accepter les actes des assassins, adhérer tacitement – mon Dieu – au meurtre et au massacre. Maintenant que tu n’es plus Nita, te voilà affranchie de ces répugnantes contaminations. Ne les laisse pas devenir comme le lichen sur ces pierres en pleine forêt, qu’on ne voit ni ne remarque, ou qui ne choque plus comme l’humidité persistante sur les pierres de Vienne, ses kiosques recouverts d’affiches, ses rues grises. Pour le pur, pour l’apatride, ma Nita, tout est possible.
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