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Citations de Yassaman Montazami (25)


Rosa n’avait jusque-là jamais désiré d’enfant. Elle était jeune, elle voulait être libre et ne pas s’encombrer d’une autre vie que la sienne. Elle n’avait du reste pas hésité à avorter plusieurs fois. Par quel miracle ce fœtus-là avait-il échappé aux mains expertes et funestes de la faiseuse d’anges ? Dans quel lointain repli de son ventre s’était-il caché ? Elle l’observa longuement : il semblait incroyablement frêle, et d’horribles et muettes grimaces le défiguraient, comme s’il souffrait. C’est alors qu’un revirement se fit en elle. Le fait que cet enfant ait survécu l’obligeait. Elle se sentit le devoir de relayer la formidable volonté de voir le jour dont il avait fait preuve.
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Lorsqu'il se retrouva face à lui dans l'appartement modeste qu'il occupait seul dans une des banlieues sud de Téhéran, Behrouz fut pris d'une gêne incommensurable. Il ne savait que lui dire, il n'osait le regarder. L'homme le dévisageait sans un seul mot, avec une expression impénétrable, les mains autour de sa tasse de thé. le silence embarrassé qui pesait sur eux et cousait leurs lèvres ne tenait pas simplement aux vingt ans qui s'étaient écoulés depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. mon père se sentait soudain coupable de n'avoir pas été embastillé lui aussi : on ne l'avait pas tabassé à coups de matraque, on ne lui avait pas arraché les ongles, on ne l'avait pas enfermé un mois durant dans une pièce sans fenêtres, éclairée continûment par une lumière aveuglante, on ne l'avait pas forcé à réciter des prières pendant des jours entiers. nul ne lui avait jamais fait abjurer publiquement ses convictions. il n'avait somme toute payé aucun tribut à ses idéaux de jeunesse - il avait même eu le luxe d'y croire sans risque, confortablement, bourgeoisement presque, jusqu'à l'orée de la vieillesse.
Devant cet homme auquel on avait interdit d'enseigner, comme, plus largement, d'occuper tout poste dans la fonction publique, et qui en avait été réduit à faire chauffeur de taxi, il eut même la honte de n'avoir pas achevé sa thèse. Il aurait voulu fuir.
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J'étais en définitive la seule à croire dans le succès de mon père. Il était normal qu'il prenne son temps. Apporter la révélation suprême aux homme réclamait des années de labeur. On ne changeait pas la face du monde comme ça, en un tournemain. La tâche était considérable. Il nous fallait être patients. Mais nous serions récompensés : Behrouz se couvrirait de gloire. Sa renommée serait universelle.
Un jour pourtant, mon père nous annonça qu'il allait nous montrer son travail. Mes grands-parents, alors de passage à paris, ma mère et moi ne nous tenions plus de joie. le mystère allait enfin être levé...
Soudain, mon père sortit de son bureau, tenant entre ses mains un paquet de feuilles entouré d'un élastique épais, qu'il déposa solennellement sur la table du salon. Nous osions à peine nous approcher du manuscrit, intimidés par ce que nous considérions comme une sainte relique. un morceau de la croix du Christ ou une mèche de cheveux du prophète Mahommet nous auraient moins impressionnés. "Eh bien voilà, dit mon père en rompant le silence, c'est le premier chapitre. Il ne reste plus qu'à écrire les neuf autres à présent."
Comment ça ? neuf chapitres ! Seigneur tout-puissant ! Toutes ces années pour écrire seulement le dixième de sa thèse ? Nous demeurâmes bouche bée quelques instants. Nous étions hébétés, consternés, désespérés. Mais nous l'aurions été bien davantage si nous avions su que ce chapitre serait le seul qu'il achèverait jamais.
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Mon père n'avait pas quitté ma mère parce qu'il ne l'aimait plus, mais parce qu'elle ne l'aimait plus - ou, plus exactement, parce qu'elle ne l'avait jamais véritablement aimé. Cela ne tenait pas à la personne de Behrouz en particulier, non : il en aurait été de même avec n'importe quel homme. Car Zâhra présentait cette singularité de n'être pas concernée par le sentiment amoureux, comme si la nature l'en avait préservée. A l'instar de ces êtres auxquels il manque certains chromosomes, l'hérédité l'avait privée des gênes de l'attachement. Ainsi les hommes ne l'intéressaient-ils pas plus que les insectes volants dont elle eût suivi du regard les circonvolutions aériennes, avant que de les chasser d'un revers de la main, agacée qu'ils tournoient autour d'elle. Son cœur était une mer étale, que la houle d'aucune passion ne troublait jamais.
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Même à l'école, Behrouz n'échappait pas à la tyrannie maternelle. Chaque jour, Rosa envoyait le chauffeur d'Abi lui livrer une banane à l'heure du goûter. Dans les années 1950, la banane était pourtant un produit de luxe pour la plupart des Iraniens, mais cette mère sacrificielle ne regardait pas à la dépense : ayant entendu de la bouche de son médecin que ce fruit avait des vertus roboratives uniques, elle espérait que sa consommation régulière contribuerait à renforcer la constitution fragile de son enfant adoré. Ce rituel quotidien était toutefois une véritable mortification pour celui-ci, qui craignait de passer non seulement pour un fils à maman aux yeux de ses camarades, mais pour un privilégié.
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