8 juillet 1941
« J’ai ressenti alors la brûlure de ces grands ronds de tissu jaune sur leur dos. Longtemps je n’ai pu porter ces insignes. Je sentais comme une bosse sur la poitrine et dans le dos, comme deux crapauds accrochés sur moi. J’avais honte de me montrer avec ça dans la rue, non parce que c’est signe que je suis juif, mais j’avais honte de ce que l’on fait de nous, honte de notre impuissance. On va nous couvrir de la tête aux pieds de rouelles jaunes et nous ne pouvons rien y faire. J’en ai souffert, car je ne voyais aucune issue. Maintenant nous n’y prêtons plus attention. La rouelle est accrochée sur notre manteau, mais notre conscience n’est pas touchée. Nous avons à présent une conscience telle que nous pouvons le dire haut et clair, nous n’avons pas honte de ces marques infamantes ! Qu’ils en portent la honte, ceux qui nous les ont accrochées. Qu’elles soient une brûlure sur la conscience de tout Allemand qui tente de penser à l’avenir de son peuple. »
Mercredi, le 10 décembre 1942
Voici que je m’aperçois qu'aujourd'hui c'est mon anniversaire. Aujourd'hui, j'ai quinze ans. Vous prenez conscience que le temps passe. Il - le temps - court sans que l'on y prête attention et soudain, comme je le fais aujourd'hui, vous réalisez et découvrez que les jours, les mois passent; que le ghetto n'est pas un douloureux et pénible moment d'un rêve qui disparaîtrait constamment mais un large marécage qui engloutit nos jours et nos semaines. Aujourd'hui, je suis très absorbé par cette pensée. Je décide de ne pas perdre mon temps en vain dans ce ghetto et d'une certaine manière, je suis heureux de pouvoir étudier, lire et me développer et de m'apercevoir que le temps ne reste pas finalement immobile comme j'ai tendance à le percevoir d'ordinaire. Dans ma vie de tous les jours dans le ghetto, j'ai l'impression de vivre normalement mais souvent j'éprouve de grandes inquiétudes. Certainement, j'aurais pu vivre mieux. Suis-je condamné à ne voir que les murs et les portes de ce ghetto? Ne verrai-je durant mes meilleures années que cette petite rue, que ces cours étouffantes?
D'autres pensées bourdonnent tout autour dans ma tête. Deux d'entre elles plus fortement: un regret, lancinant. Je voudrais crier au temps de suspendre son cours. Je voudrais récupérer cette dernière année pour plus tard, pour une nouvelle vie. Mon second sentiment aujourd'hui est fait de force et d'espoir. Je ne ressens pas le moindre désespoir. Aujourd'hui, j'ai quinze ans et je vis confiant en l'avenir. Je ne suis pas en conflit avec lui et vois devant moi du soleil, du soleil, du soleil... »
Jeudi 10 décembre 1942
Est-il normal en mes meilleures années de voir cette seule ruelle, ces quelques cours encloses, étouffées ? Je voudrais crier au temps d’attendre, de cesser de courir. Je voudrais rattraper mon année passée et la garder pour plus tard, jusqu’à la nouvelle vie. Je n’éprouve pas le moindre désespoir. Aujourd’hui j’ai eu quinze ans et je vis confiant en l’avenir. Je vois devant moi du soleil, du soleil, du soleil…