Tribunes de la Presse - Raconter Tiananmen
Dans une prison, on est d'abord transformé en un détritus. On n'a pas le choix. Et quand on n'a pas le choix, alors on survit.
Il ne suffit pas d'être physiquement libre pour avoir l'esprit et la conscience libre. La plupart des Chinois de Chine aujourd'hui ne sont pas derrière les barreaux, mais leur pensée est bridée et entravée. En réalité, ils ne sont pas plus libres que les détenus.
(Extrait d'un entretien de 2013, Books HS n°16)
- Y a-t-il encore des êtres vivants en Chine ? S'interrogea Li Mai. Quand tu te réveilleras demain matin et que tu te souviendras du moment présent, ne crois-tu pas que tu éprouveras un sentiment d'irréalité ?
(...) puis, de toute mon énergie, j'ai recommencé le texte, sans inspiration, sans passion, avec mon stylo qui écorchait le papier (...) résister contre l'Etat. Pourvu qu'il reste des documents écrits et que mon enfant, plus tard, ne pense pas que son père n'était qu'un vantard. (p. 69)
(En Chine) la population est comme anesthésiée. Le mot d'ordre de Deng Xiaoping en 1978 était "enrichissez-vous, mais surtout ne réfléchissez pas". Il a été exaucé. Quand je suis sorti de prison en 1994, les Chinois n'avaient plus qu'un mot à la bouche, l'argent.
(Extrait d'un entretien de 2013, Books HS n°16)
Préface
" Pourquoi avais-je le coeur douloureux" et "éviter les paumes des mains qui claquent"- avec une extrême concision voilà nommée la double peine : la prison douloureusement logée dans la tête qu'il faut dompter par l'écriture, et la menace que fait peser l'Etat policier, pour cause d'écriture, de vous renvoyer en prison au-delà de l'emprisonnement. (p. 13)
Je dis que je préférerais mourir plutôt que d'aller en prison, et Michael répliqua sur le ton de la plaisanterie que faire de la prison était pour les lettrés chinois contemporains le plus court chemin pour être reconnus sur la scène internationale. (p. 66)
Ma femme est morte pendant la famine de 1960, comme des millions d’autres gens cette année-là. N’ayant aucune possibilité de lui offrir une tombe avec un bon feng shui, j’ai creusé un trou dans un endroit choisi au hasard, et je l’ai enterrée. Comme vous vous en doutez, elle est née et morte pauvre. Avec son mauvais karma, elle risque de gâcher le bon feng shui de mes descendants si on m’inhume à ses côtés. Mais si je suis enseveli tout seul, yin et yang ne seront pas en harmonie. C’est pour cette raison que je dois rejoindre Ruan Hongyu dans la mort.
"Ensuite, cet enfant qui avait pour nom Guofeng est parti pour Pékin, suscitant dans l'esprit de ses parents toutes sortes de rêves pour l'avenir, puis, encore plus tard, il fut tué dans les rues de cette terre étrangère, et le rêves des parents devinrent des cendres mortes." (P. 87)
D’une société communiste dogmatique, nous évoluons vers une société obsédée par le commerce. Les gens ne pensent qu’à gagner de l’argent. Les souffrances de ma génération n’intéressent personne. Cette indifférence ne m’atteint pas et n’influence aucunement ma musique. Mes aspirations artistiques sont tout autres. Je compose une série d’élégies dédiées à la nation entière, aux millions de victimes du maoïsme, mortes pour rien. Si la musique de Chostakovitch fut un témoignage des horreurs de l’époque stalinienne, la mienne sera… je n’ai pas envie de terminer ma phrase. Je pense que ma musique se révélera utile le Jour du Jugement dernier parce qu’elle est éternelle.