Zakia Heron parle de "Le premier qui voit la mer"
Partie 1
[...] On a parlé de tout, de nos pays respectifs, de l'éducation des filles, de la place de la religion dans nos vies.
- Agnostique, c'est presque athée, non ?
- Pas tout à fait, c'est plutôt "On ne sait rien de ce qui n'est pas explicable."
- C'est différent du pari de Pascal. Lui, c'est "On ne perd rien à ..."
- Le meilleur c'est quand même Voltaire, "Je suis athée, Dieu merci."
En écoutant les uns et les autres, j'ai réalisé à quel point je me méfie des approches de Dieu. Je ne peux empêcher qu'Il soit omniprésent dans tous mes échanges, mes pensées, même silencieuses. C'est ma langue maternelle qui le veut. Je dis bien "Merci mon Dieu, Hamdoullah" si je suis soulagée, "Inch Allah" si j'espère, "Bismillah" dès que ma main touche quelques chose... C'est un réflexe. Sa présence envahit ma langue. Elle ne peut par contre, en aucun cas parasiter mes choix, influencer mes refus, me dicter mon destin, ce n'est pas Son domaine. [...]
-On nous a enseigné notre religion mais on peut la vivre autrement. Moi je n'aime pas les rites. Ils nous enferment souvent dans des pratiques vides de sens. Pour moi Dieu c'est la vie, la recherche du sens justement, le mystère d'une rencontre comme la notre.
De toute façon, on s'habitue à son destin. Dieu a déjà tout écrit, tout prévu pour nous, de la naissance à la mort. Dieu le sait, il sait tout de nous. Oui, Il sait tout, Il a tout prévu... sauf notre chagrin face à sa toute puissance.
Le miracle, ce n'est pas d'être en vie, c'est d'être debout sans souffrir.
" Nous n'habitons pas des régions.
Nous n'habitons même pas la terre.
Le cœur de ceux que nous aimons
est notre vraie demeure. "
[citation de Christian Bobin, choisie en ouverture]
Lorsqu'un jour le peuple décide de vivre,
Force est pour le destin de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser
Étrange destinée de ces mots images, réunis par un poète tunisien dans les années 30 [Abou Kassem El Chabbi], mis en musique par un compositeur libanais, chantés par une Égyptienne.
A-t-il eu peur d’être déconsidéré par notre société, si prompte à se réjouir d’un mariage mixte quand un Algérien épouse une étrangère mais tellement « rejetante » dans l’autre cas de figure.
Je n’y peux rien. Je ne veux plus y repenser. P 123
" On comprend Brahim, mais où est le verbe... ? "
M'accrocher à la forme, éviter la guerre, laisser les horreurs hors les murs. Le laisser seul aussi, avec ses images. Nulle et lâche. De toute façon, pas le temps de nous appesantir.
Comment s'organisent en nous les mots pour traduire ce qui nous dépasse ?
Je sais qu'il y a des morts partout, en Algérie et en France. Tous les jours, on l'entend à la radio. C'est la guerre. " C'est Eux ou Nous. "
Avant, dans le " Nous " il y avait mes amies françaises.
Nos différences nous amusaient. Maintenant, elles nous renvoient à nos peurs.
A la maison, mon père s’exaspérait. Il ruminait ses désillusions, ses rêves brisés d’une société libre, forcément juste et fraternelle. Avec la nationalisation des cinémas il n’avait plus le droit de choisir la programmation des films. Il assistait, impuissant, à la dégradation de sa vie. Son cinéma était sa victoire, sa fierté. Par lui, il avait réalisé son rêve : réunir les gens, les distraire, les éduquer. Les films égyptiens qu’il était obligé de projeter, des histoires à l’eau de rose, lui donnaient la nausée.
L'heure de rentrer chez soi a parfois le goût de l'exil.