Valse Russe - Nicolas Delesalle - Rentrée Littéraire 2023
Il n’y a pas d’âme russe, il n’y a que des humains qui essaient de survivre dans les conditions qu’on leur impose, il n’y a que des décisions politiques qui influent sur leur manière d’être, qui rétrécissent ou agrandissent leurs espoirs et leurs journées.
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les deux homo sovieticus vont ainsi vadrouiller dans la France de la fin des années 1980, tels des gamins abandonnés dans un magasin de confiserie. Persuadés qu’ils ne reviendront jamais en France, ils veulent en profiter. Au supermarché, ils font des réserves impressionnantes de sacs en plastique – des trésors en URSS –, et collectionnent surtout ceux avec un logo, n’importe lequel, qui se revendent à prix d’or dans les rues – en russe, on appelle ces sacs des « Au cas où ».
Vania avait découvert la hiérarchie tacite qui régulait la troupe de mercenaires : il y avait d’abord eux, les bleus, assimilés à de la viande à canon, puis les cadres, à peine plus aguerris, et au-dessus de la mêlée, ceux que tout le monde appelait les « musiciens » : les mercenaires de Wagner de la première heure, rompus aux combats en Afrique, ceux qui posaient parfois pour la photographie sur la ligne de front avec un violon ou une guitare devant le panneau d’un village anéanti et conquis.
Je veux raconter que partout, dans le Donbass, les soldats creusent et meurent. Une armée de taupes dans une guerre de bombes et de pelles. Les forces ukrainiennes s’enterrent pour résister aux coups de boutoir des troupes russes, qui ne cessent d’avancer malgré leurs pertes monstrueuses : plus de trente mille hommes sont passés sous le hachoir en trois mois. J’ai l’impression d’évoluer dans un livre d’histoire sur la Première Guerre mondiale, j’assiste à des scènes que je croyais révolues.
L’avancée des troupes russes effraie tout le monde. Les Ukrainiens en parlent comme d’une invasion d’insectes géants. Ils surnomment les Russes, les « Orques », tandis que les Russes parlent de « nazis ukrainiens ». Le processus vieux comme le monde de déshumanisation de l’adversaire est déjà engagé. Lorsqu’on aura ôté toute humanité à l’ennemi, il sera plus facile de le piétiner.
Sacha pousse le pion du roi d’un air méfiant. Il connaît quelques ouvertures et, comme toutes les personnes de sa génération, sculptées par le modèle soviétique, maîtrise assez bien les grands principes du jeu d’échecs.
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L’avancée des troupes russes effraie tout le monde. Les Ukrainiens en parlent comme d’une invasion d’insectes géants. Ils surnomment les Russes, les « Orques », tandis que les Russes parlent de « nazis ukrainiens ». Le processus vieux comme le monde de déshumanisation de l’adversaire est déjà engagé. Lorsqu’on aura enlevé toute humanité à l’ennemi, il sera plus facile de le piétiner.
(page 45)
A cet instant, en voyant la flamme jaune et bleue lécher le réservoir gelé, j'ai compris que les Russes avaient non seulement une autre manière de réfléchir que les Français, mais aussi des notions de sécurité très relatives.Pour eux, les risques sont des aléas avec lesquels il faut apprendre à vivre ou bien mourir.
On venait d'enterrer ma grand-mère, une petite ortie brune d'origine sicilienne qui souriait tout le temps. (p.11)
Quand on a moins de huit ans, tous ceux qui ont plus de trente ans semblent décatis. "Je cours plus vite que toi". J'ai couru, vite, très vite dans ce chemin de terre. J'ai couru à en perdre haleine. J'ai couru à m'en arracher le cœur. Mais j'ai perdu. Ce jour-là, mon regard changea. Mon père n'était pas si vieux finalement. Mon regard changea, mais je ne lui dis rien. Nous avions le même orgueil.