Nous n'avions pas le courage,nous n'osons pas leur dire,a nos cheres sœurs,de se deshabiller.Car les vêtements qu'elles portent sont la cuirasse,le manteau dans lequel repose encore leur vie.Des l'instant ou elles oteront leurs vêtements et resteront nues,elles perdront leur derniere defense,leur dernier appui,le dernier point d'ancrage auquel leur vie est encore accroche.Voila pourquoi nous n'avons pas eu le cœur de leur dire de se devetir au plus vite.Qu'elles restent encore un moment,encore un instant,dans cette cuirasse,dans ce manteau de vie.
Sans jamais preter allegeance au jargon nazi la lingua tertii et a ses variantes qui s'appliquent a violenter les victimes a travers la langue.
Ou l'allemand parle de fosses "grube",l'ecrivain yiddish reprend le terme hebraique "keyver"pour linguistiquement rendre aux morts la tombe personnelle dont ils sont frustres.La langue yiddish restitue a chaque victime l'individualite ultime dont l'anonymat de la mort a la chaine l'a privee.
Ce qui nous etonne ainsi,a l'encontre de tant d'autres transports,c'est qu'elles se montrent en general si calmes.Pour la plupart elles font preuve de courage et d'insouciance,comme s'il ne devait rien leur arriver.Elles regardent la mort en face avec un tel heroisme,un tel sang-froid,que nous en sommes sideres.Ne savent-elles donc pas ce qui les attend?Nous les contemplons avec compassion,car nous voyons deja devant nos yeux une nouvelle scene,une scene d'horreur.Toutes ces vies palpitantes,ces mondes effervescents,tout ce bruit,ce tapage qui s'en degage,dans quelques heures tout cela sera mort et fige.Leur bouche sera muette pour toujours.Ces yeux étincelants,a l'eclat ensorcelant,regarderont fixement dans une seule direction,scrutant l'eternite morte.
Nous espérions, nous pensions qu'aujourd'hui se produirait l'étincelle, aujourd'hui serait le jour décisif que nous attentions nous aussi avec impatience, ce serait pour nous l'occasion, quand cette masse désespérée, au seuil de la tombe, lèverait l'étendard du combat, de nous jeter avec eux, main dans la main, dans ce combat inégal. Et sans nous soucier de savoir si c'était sans issue, si nous pourrions ainsi gagner la liberté ou la vie. La meilleure chance serait pour nous de donner une bonne fois une fin héroïque à cette vie de ténèbres. Cette tragique vie d'horreur devait prendre fin.
Ils l'ont laissée parler, bien qu'ils aient su ce q'elle allait leur dire, mais ils voulaient entendre ce que pensait et leur dirait une femme juive allant à la mort. Et les voici graves, songeurs, ces assassins et bandits. Cette femme, de la tombe, a arraché leur masque et leur a présenté l'avenir tout proche qui les guette. Ce n'est pas nouveau pour eux, ils y ont déjà songé plus d'une fois, plus d'une pensée noire est venue assombrir leur esprit, et voici que cette femme juive vient de leur asséner la vérité. Elle ne s'est pas laissée intimider, et leur a dévoilé la nue réalité.
Ici c’est un camp de la mort, un camp où on crève. Ici c’est une île des morts. L’homme ne vient pas ici pour vivre, mais pour y recevoir sa mort, qui plus tôt, qui plus tard.
Elles ne comprennent pas ce qu'ils leur veulent, ces dizaines d'officiers à épaulettes d'or et d'argent, avec leurs revolvers luisants et leurs grenades au côté.