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Citations de Zanna Sloniowska (20)


Pour moi, le mot « maman » n’évoque pas une image, mais un son. Il commence dans le ventre, passe par les poumons et la trachée vers le larynx, et se coince dans la gorge. « Tu es vraiment nulle en musique ! » me répétait-elle sans arrêt. Alors je ne chante jamais. Pourtant, la voix qui naît dans mes entrailles est la sienne, un mezzo-soprano. Il faut dire que quand j’étais dans son ventre, j’avais l’impression que cette voix m’appartenait, mais une fois dehors j’ai compris qu’elle n’appartenait qu’à elle, rien qu’à elle. Ce clivage musical entre nous a duré onze années , jusqu’à sa mort. Ensuite, longtemps, ça a été le vide, aucun son, aucune couleur, juste un trou au niveau de l’omoplate. J’si découvert en grandissant que c’était elle qui vivait à l’intérieur de moi. Elle qui ne pouvait rien voir. À nouveau, elle n’était qu’une voix, un merveilleux mezzo-soprano. Et moi, je restais en vain devant le miroir, la bouche ouverte, à tenter de la faire sortir.
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Aussi, plus les gens manifestaient dans les rues de Lvov, plus fort ils parlaient de choses autrefois entourées de silence, plus elle mettait d’acharnement à vérifier, le soir venu, que nos portes d’entrée étaient parfaitement closes.
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Depuis toujours, maman, l’histoire est entrée dans nos vies en forçant portes et fenêtres, à présent j’avance sans casque, j’ai cessé de m’en protéger. (p. 239)
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Le 1er novembre de l'année 1918 a été un jour tragique pour Lwów. Le début de l'effondrement de cette ville, telle qu'elle existait jusque-là. Et peu importe l'issue de la guerre. Peu importe qu'il a remportée.
- Il aurait fallu deux villes parallèles, l'une polonaise, l'autre ukrainienne avec deux noms différents, Lwów et Lviv. Est-ce que l'on y a seulement pensé à l'époque ? ai-je demandé. Deux villes avec la même place du marché, les mêmes tramways, les mêmes châtaigniers ? Mais il n'y avait qu'une ville, et c'est pourquoi la guerre a éclaté, pour finir par la séparer en deux.
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Sans doute cette pérennité des objets répondait-elle à la précarité du sort des hommes. Le mari de mémé Stasia, mon arrière-grand-père donc, a été arrêté en 1937 à Leningrad pendant la Grande Terreur, dans le cadre de « l'opération polonaise », après quoi, comme des milliers d'autres, il a disparu sans laisser de traces. Le mari d'Aba, mon grand-père, officier dans l'Armée rouge, a survécu à la guerre, il est parvenu jusqu'à Berlin, puis, vers le milieu des années 1970, il est mort de ce que nous appellerions aujourd'hui une dépression chronique combinée à une cirrhose du foie. Quant à mon père je me demandais s'il avait vraiment existé.
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Nous sommes l'humus, nous donnons notre vie pour fertiliser la terre, nous n'aurons pas le temps d'en voir les fruits.
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Sans doute était-elle de ces gens qui ne perçoivent la véritable nature du régime dans lequel ils vivent que lorsqu’il se met à lorgner à travers leurs fenêtres. (p. 33)
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Le mur de Berlin s'effondrait, accompagné dans sa chute par le violoncelle de Mstislav Rostropovitch. Les Polonais participaient à leurs premières élections libres. Les Roumains avaient tué le dictateur Ceausescu. La Lituanie avait déclaré sa souveraineté. Les villes russes commençaient à abandonner leur appellation soviétique.
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… et une fois la porte refermée, je retrouvais pour un instant la joie enfantine qu’ici, à la maison, nous étions en sécurité. (p. 32)
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Le soir où l'on a ramené le corps de maman, enveloppé dans le drapeau bleu et jaune, mémé Stasia a négligé le rituel des portes, que l'on n'avait même pas pris la peine de claquer. Il fallait y voir un signe de capitulation : elle avait fait tant d'efforts et malgré cela ils étaient venus à nouveau, ils avaient détruit son monde.
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Aba s'attendait à être convoquée en haut lieu. Elle m'a avoué plus tard qu'elle avait imaginé la scène des dizaines de milliers de fois. Elle s'était accoutumée à l'idée dès sa plus tendre enfance: à sept ans quand elle vivait à Leningrad, ils avaient tué son père, à presque soixante ans elle vivait à Lvov et ils avaient tué sa fille. Dans l'intervalle, elle n'avait cessé de les haïr, plus ou moins ouvertement. Lorsqu'elle s'était retrouvée ici, en 1944, elle avait décidé de former un mouvement de résistance à elle toute seule: elle réalisait des tracts dénonçant Staline comme un criminel et les distribuait dans les boîtes aux lettres. Je ne comprends toujours pas comment elle a pu échapper à la répression, la seule explication plausible c'est qu'elle bénéficiait de la protection rapprochée d'une escouade d'anges. Elle ne s'était rendue qu'une seule fois dans le fameux bâtiment gris de la place Dzerjinski, peu après la mort de Staline: elle n'avait cessé de les harceler de requêtes officielles concernant son père. En se rendant là-bas, elle avait effacé toute trace de haine sur son visage, passé une couche d'apprêt avant d'y peindre une autre expression, dans le seul but de leur arracher une information quelconque. Elle y avait été accueillie par un commandant au petit rictus cynique. Il tenait le dossier de son père entre ses mains, mais, malgré son insistance, elle n'avait pu l'obtenir. Il lui avait annoncé de manière énigmatique que son père était mort "quelque part dans le Nord". Il avait aussi ajouté qu'elle n'avait plus à porter l'estampille de fille d'ennemi du peuple, les victimes de la terreur stalinienne ayant été réhabilitées. Elle ne connaissait toujours pas l'endroit ou son père était mort ni la date d'ailleurs, ils veillaient à ce que les gens vivent longtemps dans l'ombre de leurs proches sans pouvoir faire leur deuil.
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Dans la rue Akademicka, il y avait un café, le Sniégourochka, « la fille des neiges », composé de deux salles identiques dans deux immeubles mitoyens, où travaillaient des jumelles monozygotes aux cheveux violets. Elles servaient dans des soucoupes en métal les fameuses glaces plombières à la crème fraîche auxquelles on pouvait ajouter, selon son envie, de la confiture, du chocolat ou des noisettes.
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Dieu, à l'instar de la Pologne, appartenait à un monde voué, bien avant ma naissance, à l'anéantissement.
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Jamais un mot de révolte. La fille avait obéi à sa mère, et cette dernière ne l'en avait méprisé que davantage. Il en était allé ainsi des années durant : le silence de l'une engendrait le mépris de l'autre, et bientôt le silence et le mépris s'étaient apprivoisés, unissant la mère et la fille jusqu'à la fin de leur vie, plus solidement encore que les liens du sang. Une petite-fille avait vu le jour, elle avait osé braver l'interdit et s'arracher à cet emprisonnement utérin.
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Nous sommes comme des poupées russes, l'une installée dans le ventre de l'autre, sans que l'on sache vraiment qui est à l'intérieur de qui, on sait seulement lesquelles sont encore vivantes : nous sommes comme des poupées russes embrochées sur une même flèche.
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Jamais elle ne m’abandonnait, ma grand-mère : elle avait mal aux jambes, elle ne pouvait s’en aller nulle part. (p. 91)
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… les petites portes de l’armoire se sont ouvertes à la volée et les blouses, les jupes sont tombées sur le sol, ainsi que le petit sac avec les affaires de première nécessité que chaque Soviétique se devait d’avoir toujours à portée de main. (p. 90)
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Chacun de nous était un pur produit de Lvov, Lviv désormais, un œuf couvé par cette ville. Nous avions éclos dans ses rues et en faisions partie intégrante: il était la couronne d’épines du Christ de Pitié de la chapelle de Boim, moi, la gueule de lion sculpté sur son socle; il était l’escalier fissuré qui menait à la cathédrale dominicaine, moi, la clenche usée en forme de pomme de pin de la porte d’un immeuble Renaissance; il était le pavage renflé de la rue Piekarska, moi, le battant de la cloche de la tour Korniakt - encore silencieuse il n’y a pas si longtemps. (p. 78)
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Nous sommes comme des poupées russes, l'une installée dans le ventre de l'autre, sans que l'on sache vraiment qui est à l'intérieur de qui, on sait seulement lesquelles sont encore vivantes ; nous sommes comme des poupées russes embrochées sur une même flèche, même si je pensais jusque-là que mémé Stasia ne faisait pas partie de la chaîne. Elle était une chanteuse d'opéra ratée, ma grand-mère est une peintre ratée, et ma mère avait beau être une prima donna, elle est morte aujourd'hui.
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Néanmoins, dès qu’elle a adopté l’ukrainien, je me suis mise à éviter de lui parler, comme si je m’étais métamorphosée en un dictionnaire dont quelqu’un supprimait des mots au fur et à mesure.
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