5 avril 1992
Dear Mimmy,
J'essaie de me concentrer sur mes devoirs (un livre à lire), mais je n'y arrive absolument pas. Il se passe quelque chose en ville. On entend tirer des collines. Des colonnes de gens arrivent de Dobrinja. Pour essayer d'arrêter quelques chose - quoi, ils ne le savent pas eux-mêmes. Disons simplement que l'on sent que quelque chose va se passer, se passe déjà, un terrible malheur. A la télé, on voit des gens devant l'Assemblée nationale. A la radio, on passe en permanence la chanson Sarajevo mon amour. Tout ça, c'est bien beau, mais j'ai tout le temps des crampes d'estomac et je n'arrive plus à me concentrer sur mon travail. Mimmy, j'ai peur de la GUERRE !
Si l'on choisit d'affronter les situations inhumaines avec humanité, on peut changer le monde et créer des leçons positives pour nous-mêmes et les autres.
Nous avons appris aujourd'hui que les lettres n'arrivent plus à Sarajevo. S'il y a quelque chose de pire encore pour nous que les coupures d'eau, de gaz et d'électricité, c'est bien ça, car les lettres sont les seules choses qui nous relient encore au monde. Et ce lien a été coupé. C'est assez, maintenant !
Lundi 29 juin 1992
Dear Mimmy,
[…] Mon Dieu, est-ce que cela va cesser un jour, est-ce que je vais pouvoir redevenir écolière, redevenir une enfant contente d’être une enfant ? J’ai entendu dire que l’enfance est la plus belle période de la vie. J’étais contente de vivre mon enfance, mais cette sale guerre m’a tout pris. Mais pourquoi ?! Je suis triste. J’ai envie de pleurer. Je pleure.
Ta Zlata
On me compare à Anne Frank. Et ça me fait peur Mimmy. J'ai peur finir comme elle.
En recourant à la force d'une guerre qui me remplit d'horreur, on tente de m'enlever, de m'arracher subitement, brutalement, au rivage de la paix, au bonheur d'amitiés merveilleuses, au jeu, à l'amour, à la joie.
Je suis comme un plongeur qui n'a aucune envie de plonger dans l'eau glacée et qui y est forcé.
Je suis décontenancée, triste, malheureuse, j'ai peur et je me demande où on cherche à m'emmener, je me demande pourquoi on m'a volé la paix du beau rivage de mon enfance.
Je finirai bientôt mon journal de guerre. Ce sera le dernier journal de guerre que j'écrirai de toute ma vie, car il ne doit plus jamais y avoir de guerre, plus jamais...
Papa et maman regardent en permanence les informations à la télé. Ils sont inquiets. Maman pleure souvent en voyant les terribles images que l'on montre. Avec leurs amis, ils discutent le plus souvent de politique. La politique, qu'est-ce que c'est? Aucune idée, pour ma part. Et puis ça ne m'intéresse pas tellement.
De temps en temps, je retourne dans la chambre dangereuse où se trouve le piano et je fais des gammes. J'ai l'impression d'être avant la guerre. La Jahorina, la mer, Crnotina, mes amis, le bon temps qu'on avait, tout ça ressuscite. Je vais pleurer, j'ai des larmes qui coulent. Mon Dieu, tout ce que l'on m'a pris...
Samedi 30 mai 1992
Dear Mimmy,
La maternité a complètement brûlé. C’est là que je suis née. Des centaines de milliers de futurs bébés, de futurs habitants de Sarajevo n’auront pas la chance d’y naître. Elle était encore toute neuve. Le feu a tout dévoré. On a pu sauver les mères et les bébés. Au moment où l’incendie s’est déclaré, deux bébés étaient en train de naître. Ils sont vivants. Ici, les gens meurent, périssent, ici tout brûle, tout disparaît, et pendant ce temps-là, des bébés, des futurs hommes, viennent au monde, en sortant des flammes.
Ta Zlata