merci @Zoé de Tarlé pour le montage
La nuit était froide et sans lune. Mais il y avait tant d'étoiles qu'il semblait ne plus y avoir de place pour un coin de ciel noir. Il n'y avait qu'à regarder fixement pour en voir apparaître encore et encore ; parmi les grandes aux rayons jaunes et bleus et verts qui tremblotaient et clignotaient, il y en avait des milliers de petites, toutes blanches, comme du fil d'argent dans un tissu de brocard ; et la grande route de Saint-Jacques s'étalait toute parsemée de gemmes comme un long drap d'autel tout blanc. Couché par terre dans les herbes sèches, la tête renversée en arrière, Auberi regardait, s'efforçant de comprendre comment toutes ces lumières tenaient ensemble, il lui semblait entendre ces cascades d'étoiles rouler lentement et se déverser quelque part derrière la terre dans un gouffre au bout du monde.
Zoé Oldenbourg est une femme de lettres russe, historienne et romancière.
Elle naît en 1916 à Saint-Petersbourg. Elle passe une partie de son enfance en Russie, avant de venir s'installer définitivement avec sa famille en France (1925).
Passionnée d'histoire, elle devient spécialiste de la France médiévale, plus particulièrement des Croisades et de la société cathare.
Elle publie plusieurs romans, dont La pierre angulaire, avec lequel elle obtient le Prix Femina en 1953.

Le repas était long, et les viandes étaient apportées sur les tables, par ordre d'importance, la volaille d'abord, puis le menu gibier, puis les cerfs et les chevreuils assis comme vivants sur des plats longs d'une aune, dressant leurs têtes graciles, ornées de verdure et de rubans, les cornes dorées, et autour de leurs flancs les épices étaient disposées sur de larges feuilles de vignes faisant des arabesques noires et rouges en forme de plantes ou de bêtes. [...]
Pour le dessert, il y eut des cygnes, et des paons à la queue déployée, et de petites cailles posées en essaims sur les herbes épicées. Puis il y eut des fruits confits, et du miel servi dans des petits pots de couleurs vives, et de la pâte d'amandes.
Comme la fête ne devait pas être seulement pour la bouche et les yeux, mais aussi pour les oreilles, la musique était douce, et devant chaque table les vielleurs et les luthiers jouaient des airs nouveaux, les faisant accompagner de chant.
Les parents et surtout les grands-parents sont prophètes, mais leurs prophéties plongent toujours dans un temps d'avant le déluge, et les enfants ont presque envie de se retourner pour voir les ombres de ces oncles, tantes, grands-pères qui surgissent sans cesse derrière eux, flottant quelque part entre ciel et terre dans un pays de légendes sombres ou lumineuses.
Mon Dieu, pour tous les brûlés de ce monde, pitié. Mon Dieu, pour tous ceux qui ont aimé autre chose que le monde, pour tous ceux qui ont aimé. Pour tous ceux qui avaient quelque chose de vrai à aimer.
Car ils furent un sur mille, et il n'y en eut pas plus de dix mille dans tout le pays, en cent ans.
Et parmi ceux qui les regardaient brûler, personne n'osait dire : "On les a condamnés à tort."
Le mal appelle le mal, et du mal il ne sort que du mal, jusqu'à ce que les temps soient révolus.
Toi qui est la loi inéluctable contre laquelle je ne peux pas tricher, toi qui est la lumière par laquelle je vois le monde. Tu es ma limite en ce monde comme je suis la tienne, mon dur contact avec ce monde sans lequel nous ne sommes que des ombres.
Comme il est difficile cet amour où l'on paie avec sa chair et son âme jusqu'à l'air qu'on respire.
Comme il est beau ce monde où l'amour est acheté si cher. Ce monde où la flamme brûle, où la pierre meurtrit. Car nous sommes l'un pour l'autre flamme, pierre, pain et eau, tant nous sommes vrais l'un pour l'autre.
Songez que je suis votre dame et votre seigneur, puis-je être pour vous comme une autre femme ? Pour vous tous, la femme est une marchandise qu'on peut acheter, les moins chères avec de l'argent, les autres avec des chansons et des promesses, et des services, et une longue attente. Mais dans le fond, vous ne voyez pas de différence.
Écoute, Auberi, un enfant, vois-tu, c'est pire qu'une bête, parce que c'est plus rusé et plus paresseux. On ne fait jamais rien de bon d'un enfant qui n'est pas tenu durement.
On dit qu'un maître trop doux fait de mauvais serviteurs.