Zoulfa Katouh

Est-ce que tous les enfants de six ans comprennent ce qu'est la mort ? Ou seulement ceux qui ont connu la guerre ?

Enterre moi avant que je t’enterre.

Ce sont mes vidéos, me confie Kenan. Ce que je fais est utile.
J'incruste des sous-titres en anglais pour que le monde entier comprenne ce qui se passe. Avant ça, seul le monde arabe était au cou-rant. Les gens ne savent même pas qu'il s'agit d'une révolution. Ils ne se doutent pas qu'on vit dans une dictature depuis cinquante ans.
Les infos leur montrent des militaires en train de tuer des civils. Ils ne connaissent pas la différence entre l'Armée syrienne libre et les troupes du gouvernement. Pour eux, la Syrie n'est qu'un nom. Mais moi, c'est ma vie. Je ne peux pas la quitter.

J'acquiesce lentement, bouleversée. Son uniforme vert est en lambeaux, noirci par le sang qui imbibe également la bande blanche du drapeau de la révolution sur son épaule. Il n'est pas beaucoup plus vieux que moi. Ses cheveux blonds sont tout emmêles et des larmes brillent dans ses yeux verts. Dans une autre vie, il ne serait pas obligé d'affronter la mort chaque jour. Le monde s'offrirait à lui et il s'élancerait, plein d'espoir, pour y trouver sa place. Les guerres et les révolutions seraient cantonnées aux manuels d'histoire. Elles ne feraient pas partie de sa réalité.

Il faut du temps pour que les germes de peur grandissent et deviennent des idées claires qui se traduisent par des actes.

Je n'aurais jamais cru que travailler ici endurcirait et briserait mon cœur à la fois.

— Si on reste, on meurt, résume Kenan. Si on part, on risque de mourir.

Puis les avions font trembler les nuages, tressauter les graviers, et nous cessons de vivre pour simplement survivre.

Trois citrons fripés posés sur une étagère et un sachet de pains pita plus sec que moisi.
Voilà tout ce que la supérette a à offrir.

C'est mon pays. Et comme les citronniers qui poussent ici depuis des siècles, on ne se laissera pas décourager par le sang versé. J'ai foi en Dieu. Il me protégera. J'ai vécu sous l'oppression depuis toujours ; je refuse de me laisser faire plus longtemps. Peu importe ce qu'il m'en coûte.

Pour eux, la Syrie n’est qu'un nom. Mais moi, c’est ma vie. Je ne peux pas la quitter.

Partir, c'est aussi mourir.