J'ai failli à ma mission, j'ai déserté mes rêves. Parfois, un sentiment de honte s'empare de moi quand je pense que, de la vie militaire, je n'ai vécu que l'entraînement et le quotidien absurde de la vie en régiment. J'ai vécu l'exercice de la guerre sans la guerre, puis la préparation d'une mission sans la mission.
Avant de s'engager dans l'armée, Cédric avait vécu l'ennui de ces jours trop lents qui avaient composé ces années trop longues, comme une drame insupportable dont il lui avait fallu absolument se soustraire, sous peine de crever. Il lui fallait racheter la faute de cette famille modeste qui se contentait d'exister sans vivre et dont les membres rejoindraient bientôt la cohorte de ceux qui disparaissaient un jour sans laisser de traces.
Cédric voulait devenir un héros. Quitte à en crever, quitte à ce qu'on le marque au fer rouge [..]
Toujours pas de panneaux indicateurs. L’absence d’indices était telle que j’avais l’impression de traverser un pays sans mots, un pays sans verbes. Peut-être était-ce cela, tout simplement, un pays en guerre.
J'avais besoin qu'on me serre, qu'on m'étreigne. Même d'un peu de violence. Qu'on me frappe, qu'on me batte, mais qu'on me touche. J'avais envie de hurler. Est-ce qu'un jour Cédric poserait de nouveau ses mains sur moi ? Son odeur, douloureusement précise, m'a submergée. Le cri a pris de l'ampleur dans ma bouche. Raclé ma gorge jusqu'aux tympans.
J'ai peiné à garder mon calme face à elle qui, avec les mêmes gestes immuables d'hôtesse parfaite, frottait une tache absente sur son pantalon avant de se lever de nouveau pour disposer deux verres sur la table basse. le jus de pomme, la coupelle de chips, la pluie et le cycle des saisons, ma vie au bureau, la santé des enfants et des phrases toutes faites sur l'oubli et le temps qui fait son oeuvre, après la pluie le beau temps... n mot de plus et j'allais lui arracher son chemisier bien repassé.
Coincé dans son trou, l’adjudant Delmas a tout juste le temps de baisser la tête. La roquette vient de passer près de ses camarades et termine sa course derrière lui en explosant sur un petit monticule.
Au vu de vos résultats, on ne peut plus cohérents – un point pour vous au passage, on ne peut pas dire que vous n’êtes pas droite dans vos bottes –, j’observe que vous êtes d’une nature particulièrement sensible. Trop sensible.
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