Citations de Éric Dubois (104)
Comment conquérir le cœur de cette jeune fille rencontrée à la terrasse d'un café, vers l'Odéon ? "Rencontrée " n'est pas le mot juste , plutôt "abordée " brièvement en quelques paroles douces et nullement intrusives. Et comment décrire exactement ce qu'il s'est réellement passé ? Peut-être qu' en croisant mon regard, elle a compris qu'il y avait quelque chose ? Mais je me perds en conjectures. D'abord, qu'est-ce que je lui ai dit exactement ? Il semble que je ne m'en souvienne pas précisément. J'ai dû dire des banalités sur la météo, comme il fait beau, ah, le soleil ! Le soleil et Paris s'entendent si bien comme deux vrais amis pour la vie. Je sais qu'elle a souri, à ce moment-là. Nous étions proches, l'un de l'autre. Deux tables côte à côte. Une partie de hasard, jeu merveilleux aux règles mystérieuses.
Elle est simplement partie. Bref éclair de volupté sinueuse. Et j' ai fait hmm dans la tête. Hmm... J'ai juste le souvenir de son profil de médaille.
J'ai payé ma consommation. Un expresso. J'avais du temps à perdre. J'avais le choix entre les cinémas de l'Odéon et les bouquinistes des quais de Seine. J'ai décidé de divaguer, de me perdre dans les rues du Quartier Latin. Avec l'air de ne penser à rien, juste l'air, parce qu'en fait, mon esprit était occupé par des rêves éveillés, c'est comme ça quand on est amoureux ! Et quand je suis amoureux, me viennent, en rafale, des idées lumineuses, des sentiments limpides, à l'aune des sensations du monde. Mais je ne sais rien d'elle et cela ressemble à un mauvais roman photo ou à une romance à deux balles. Je la retrouverai peut-être. Et là, j'irai plus loin. J'oserai.
Écrire c’est tutoyer la mort
Dire l’impossible
Écrire ou mourir
On laisse des mots en héritage
On partage le sensible avec les mots qu’on isole dans des cages
vides
Ajuster le pourquoi et le comment Interroger l’espace
Quelque chose qui ressemble à un départ promet l’aube claire
met de la couleur au monde et de la tristesse aux arbres
Quelque chose comme les dents du ciel
Quelque chose comme les bruits du RER
On met toujours des mots au corps
des mots au présent
des mots à la présence charnelle
aux vêtements des malades
SACREMENT
La nuit les rêves la brèche
Spasme
À la croisée des abîmes les semailles en friche
L’imminence
Je traverse les battements de ton cœur tes arcanes
enterre tes errances
Pensées mortes
Entrevoir une clairière après l’obscurité
Voir le ciel
Pensées mortes
Entrevoir une clairière après l’obscurité
Voir le ciel
CHEMIN
en amont du siècle
par où passent les
loups
je creuserai
mon chemin
en balisant
de blancs
les mots
qui mènent
à la défaite
je louerai
l’eau et le sable
je soulèverai
le soleil
jusqu’à
plus soif
et bénirai
le cyprès et
l’ortie
en aval
j’ouvrirai
la perspective
et lorsque la
nuit viendra
j’allumerai
un feu
pour mes amis
DU FEU
on aime parfois allumer dans la nuit des feux protecteurs
des pénates et des sentiers intimes
et laisser dériver ses pensées premières le long des voies
sans balise
on aime creuser dans son lit les plumes et le coton de
quelques blessures passées et dormir dans le plaisir du
plaisir
on aime vivre dans le vivier de quelques amis
et les écouter nous écouter des voix nues
on aime tout cela et plus encore et mieux on aime
particulièrement toucher l’âme
EAU VIVE
se souvenir
à l’imparfait
l’eau
qui serpente
oriflamme de nacre
dans l’épaisseur
vive s’ébat
dans les marnes
et les dépôts
un peu de bru/me
de brui/ne
couleur de lait
nourrice aux seins
solides et bolides
caresse les joncs
coule dans la gorge
l’orge et le jour
s’éteint
réceptacle
de la mémoire
parchemin
jamais ne meurt
le goût de
la promenade
UNE NUIT DE SENS
à perte de nu
vers l’infini définir
cet insaisissable
devenir
monte à cru
une nuit
de sens
pour quel tourment
s’assemble
au coin du temps
je navigue à vue
mon amour s’isole
dans la note sourde
la nuit à blanc
Quelques pas
l’oubli
Chercher à dire
on attend
L’autre cherche aussi
c’est troublant
Marée qui monte
les mots
C’est si simple
comme la continuité des bras des mains
Le geste à la parole
le possible qui se fait jour
QUARTIER
Un œil
qu’on ouvre
Le poids du temps
la bouche
Le bras qui
la rue est pleine
se tend
pleine de gens exilés
On dirait
s’accroche à vos chaussures
Une impression comme ça
des gens exilés
C’est ce que j’ai vu
la bouche
Qui demande
l’autre bras aussi
Des gestes
se tend
Qui emplissent l’espace
vision familière
D’un quartier tant de fois
il y a l’eau
Traversé
de la rivière
Les commerçants attentifs
sans vous en apercevoir
DE L’INTÉRIEUR
Qui sent
dans l’avancée de la nuit
Les pensées
on touche à l’essence même de
L’hiver
de l’intérieur
Les heures volées
la nuit
Dans les couvertures
du temps
Qu’on veut comprendre
chaque regard
Quelques mots
dans le conflit
Étrange musique
air déjà entendu
Nécessité de parler
paradoxe
Affrontement
chacun à tour de rôle
Ses intérêts
dans le partage du sang
ATTENDRE
Il faut attendre
prolonger
La présence
l’absence
La chair ouverte
fermée
Quand le ciel est
attendre quand même
Noir
que les jours aient un sens
Drapé dans un hiver
comment dire?
Opaque
quand on cherche la transparence
Oui
la transparence
Attendre
c’est notre part d’humanité
ANNÉES
Il faut composer
des bruits s’en extraire
Chaque plan
chaque histoire
De la trousse
sortent les mots
Ecrire
c’est aussi inscrire
Sur les frontons des visages
l’écume du temps
Les panneaux indicateurs
dans quelle direction
Années
chiffres nombres pour quel résultat
Tarit le langage
au pied de l’arbre sentinelle
Quelques années, auparavant, je travaillais dans une société
de marketing direct à Créteil. Employé de bureau, j'étais devenu,
les derniers temps, la tête de Turc de certains de mes collègues,
une victime toute désignée d'un bizutage intempestif. Rien de
méchant, apparemment, pas de violence physique ni sexuelle, ils
me considéraient comme un "ami ", qui fait rire, certes, un pitre
dépressif, mais un "ami". Ils m'aimaient à leur manière et
bizarrement, je les aimais. On passait même de s soirées
ensemble, le week end, souvent. Pourtant, avec amour, ils
m'humiliaient dans leurs jeux sadiques. Ils pouvaient chaparder
ma carte d'identité, momentanément, en y inscrivant "Petite
bite", cacher mon sac à dos dans les buissons du parking de la
b oîte, à l'extérieur, me scotcher dans l'entrepôt, avec du gros
ruban adhésif, qu'on emploie dans les entreprises, pour emballer
des paquets, sur un plateau tournant, qui filme les palettes.
Et la nuit est venue
tordre les draps
qui écument les larmes
en présence offerte
des silences
mourir au bout des lèvres
comme une cigarette
qui consume tout
Qu’est-ce que je cherche dans l’alcool que mon propre néant, la pitié d’autrui, la fatigue et l’angoisse au bout du compte avec un calcul faux, au bout du conte sans princesse miraculeuse, sans cueillir les fruits de la nuit, dans les paroles envolées des autres buveurs aux illusions éthyliques ?
Je partage avec la lumière
l'envie de me reposer
à l'ombre de quelque arbre
de porter au bout des bras
des fruits magiques
et des fleurs épiques
Je donnerai tout mon être
à l'explication des sentinelles
qui veillent sur tous les silos
aux esprits miraculés du bonheur
aux anges perdus de l'amour
Mais mon étoile est morte
dans la seule galaxie que je convoitais
Je ne sais rien de la nuit
qu'à part le vent qu'à part les larmes
comme des oiseaux peureux
Je ne sais que la brume
les oscillations des verres
et la fatigue des buveurs
Je ne sais rien de la nuit
que les ombres furtives
le long des rues désertes
J’écris depuis avril 2021 et même avant, d’abord un roman autobiographique, une autofiction, quelques pages l’hiver dernier, puis depuis ce printemps sous l’impulsion de VM cela devient un récit personnel certes sur la schizophrénie et l’expression artistique, poétique et littéraire avec des sauts dans le passé grâce à mes carnets et mes cahiers de brouillon. Ma posture est étrange en ce sens que je recherche une unité dans mes écrits et mes créations, avant, pendant et après la Maladie, comme si j’avais toujours été malade abouché à une réalité insupportable, celle d’un Moi fragile, constant dans ses angoisses, ses peurs, un « inadapté social » qu’on veut faire sortir absolument de l’enfance paradisiaque dans un costume d’employé modèle, à qui tout réussit, amours, parcours professionnel, que sais-je encore ? Mais je suis brisé dans le chant de brisants ! Mon océan intime est parcouru de naufrages et de tempêtes. Et je ne sais pas nager. Je ne sais pas conduire une automobile. Je sais peut-être écrire, faire du vélo, mal dessiner et pas ressemblant. Mon image est floue, je ne sais pas cadrer, je suis à côté de l’objectif, à côté de moi, petit moi. A l’armée, on me disait déjà que je psychotais.
Jean-Paul Belmondo est mort. Et je constate combien les années passent vite. Dans les années 60-70 l’acteur vivait dans une propriété à Saint Maurice, dans le Val de Marne, pas très loin de là où habitaient mes parents, mes frères et moi, dans un quartier de Joinville le pont, jouxtant l’Usine des Eaux et le Canal de Saint Maur, promis à la démolition. Ursula Andress, la compagne d’alors de JP parfois, y faisait ses emplettes, paraît-il, grimée sous une perruque et derrière des lunettes noires. Je ne l’ai jamais vue, mes parents, non plus. Quant à Jean-Paul…La Schizophrénie est un film très coloré, très lumineux, presque aveuglant et qui va très vite. C’est aussi comparable à une drogue très puissante, mais cela je l’écris dans mon récit L’homme qui entendait des voix. C’est aussi une éponge qui s’imbibe de tout ce qui se présente, amasse et déverse le liquide cervical comme les chutes du Niagara et noie la réalité, la raison, la conscience. Pour peu qu’on aie des souvenirs marquants de son enfance, ils reviennent en rafale, dans une confusion illogique, bien sûr transformée par l’imagination et l’égarement, mêlant le vrai et le faux. Je voudrais tellement faire parler les murs de ma vie, dans ce livre que je rédige en tâtonnant du bout d’une canne virtuelle, comme pour chercher le bon chemin, la bonne direction à prendre. Mais le parcours est une zébrure et non une ligne droite. Une sinuosité inégale et imparfaite. J’ai beau naviguer dans ma mémoire, il semble que certaines époques sont opaques ou bien scellées par un surmoi dominateur et sûr de lui. VM me demande d’écrire sur la Schizophrénie et de ses conséquences sur l’écriture mais c’est d’un compliqué pour moi. Le Malade est un mauvais témoin de sa Maladie. Et puis, je suis trop « stabilisé » pour en parler. Et la faculté d’oubli est dans la logique de la Rémission. On va mieux parce qu’on a oublié.
La nuit nappe, étouffe les bruits de l’extérieur. Cette sensation comateuse me rappelle la bouffée délirante. Bientôt la fin de l’été, mais pas encore la fin de ce livre. Cela fait plus de six mois que je suis dessus. Impression de ne pas avancer. Je suis un papier déchiré qu’on rafistole à bout de scotch, pas celui qu’on boit mais celui qui colle, le ruban adhésif si cher à l’écolier comme le mètre et le compas. VM me dit que je dois écrire ce récit-essai en poète. Je ne connais d’autre religion que moi-même maintenant que je suis éloigné depuis vingt-cinq ans d’Élie. Or, cette religion ne repose sur rien, sur aucun mystère ou révélation. Mon vieil ami, feu Charles Dobzynski, comparait ma poésie à celle d’André Laude, c’était gentil de sa part, mais je ne suis même pas capable d’être un bon poète maudit, ni d’en porter les oripeaux, ni d’en garder les stigmates. La Maladie a fait de moi un Mollusque avec des érections certes, mais un Mollusque, je me réveille, je n’ai pas la foi ou juste un peu pour continuer à vivre ! Je tourne les pages du Cahier de brouillon, bien abîmé, lui et moi, on a vieilli, on s’est ankylosé dans les médocs. On accepte volontiers notre sort de Mollusque.
On veille aux mots comme à la prunelle de nos yeux. De nous, il ne restera que des mots. Des mots, parlons-en ! Il y a tous ces calepins, ces cahiers remplis de poèmes et d’aphorismes, pour quoi, pour quoi, pourquoi ? Pour être lus dans des livres par une poignée de personnes, pour paraphraser l’ami-poète Jean Gédéon, un autre de mes soutiens. La littérature c’est davantage pourquoi écrire que comment écrire même si comment importe beaucoup ! C’est ce que j’ai réussi le mieux, écrire, non pas travailler, connaître une vie sociale et professionnelle normative …. J’ai travaillé 8 ans dans ma vie et ça n’a pas été magnifique dans le sens que je n’ai su ou pu avoir les moyens de mes ambitions que je n’avais pas par ailleurs, me contentant de faire à peu près ce qu’on me disait de faire , tout cela pour toucher un salaire à la fin du mois. En fait, au fond de moi, j’étais obsédé par l’écriture, chose que peu de gens comprennent à moins d’être célèbre, de vendre beaucoup, de passer à la télé ! Mais avec les écrivains et la littérature, on n’évite pas les clichés. Et le public aime les clichés ! Écrire me résume, résume ma personnalité et ma vie. Écrire me fait exister. Et c’est ce qui me caractérise avant tout. Ne parlons plus de Maladie, de Psychisme ! J’ai écrit et publié L’homme qui entendait des voix en 2019 et maintenant plus de deux ans après ? Aspirer à être léger ?