Georges Perec est mort le 3 mars 1982. Quarante ans après sa disparition et six ans après son entrée dans la bibliothèque de la Pléiade, l'écrivain occupe une place majeure dans le paysage littéraire français. Qu'ont encore à nous apprendre sa vie, son oeuvre ?
Pour en parler,
Jean Leymarie reçoit
Claude Burgelin, universitaire et spécialiste de
Georges Perec, ainsi que le journaliste
Denis Cosnard.
#litterature #Perec #jeu
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Autant qu’on peut l’être homme de la lettre, du verbe, du livre, Pérec a vécu dans les mots et pour les mots. Le disciple de Roussel qu’il fut a adoré faire naître des histoires du pur jeu des lettres et des mots. Il a considéré le matériau qu’offraient les livres, les dictionnaires et tout ce qui relève de la galaxie Gutenberg comme des éléments de la réalité. Il a eu le goût du concret, une manière à lui, presque enfantine d’observer et de nommer, un bonheur vrai à inventorier le monde des objets, en regardant de tout ses yeux les mots autant que les rues, les lettres autant que les chats, les voitures qui passent, les gestes du quotidien.
(p.227)
Alors que Perec a multiplié les ruses et s'est enchanté des messages à triple entente, la marque la plus profonde qu'il ait laissée en beaucoup de ses lecteurs tient en quelques phrases très simples. Ainsi, « je fus comme l'enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait pas ce qu'il craint ou désire le plus : rester caché, être découvert ». Ou cette approche ― là encore ― de l'écriture : « Laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. » Ou cette façon d'investir le plus banal des énoncés : « Je me souviens. »
Perec a fait de la phrase de Klee « le génie, c’est l’erreur dans le système » une des formules qui le guident. Il lui faut de la machine et du système pour qu’au prix d’un déraillement plus ou moins léger advienne de l’imprévisible, de l’inventif, du vivant.
Le roman met à bas toute hiérarchie, traitant carpettes et bassinoires sur un pied d'égalité avec les tableaux de maîtres. Il y a de l'ironie dans le regard de Perec sur cette abondance de traces, de décombres graphiques ou littéraires, mais plus encore de la bienveillance. Le petit peuple des objets, l'infraordinaire des choses, leur vie fantôme détiennent une part de ce que nous ne savons ni voir ni dire : la patine du temps, la force des détails et des habitudes, le mutisme faussement silencieux de ce qui cadre nos existences. En donnant place à cette multitude de presque riens, Perec fait faire au roman comme une sorte de révolution copernicienne.
Le legs de Perec à quiconque écrit tient en ce modeste conseil : cherchez vos mots, laissez-leur vraiment l'initiative, à leurs collisions de lettres ou de sons, aux incertitudes de leur advenue et de leurs zigzags. Le jeu de mots viendra comme de lui-même faire vaciller nos principes de classement. « Je ne pense pas mais je cherche mes mots : dans le tas il doit bien y en avoir un qui va venir préciser ce flottement, cette hésitation, cette agitation qui, plus tard, « voudra dire quelque chose ». » « C'est surtout, conclut-il, affaire de montage, de distorsion, de contorsion, de détours, de miroir », autrement dit d'artisanat et de débrouillardise.
Quand Manderre part en voyage, il emmène toujours avec lui un petit fétiche qu'il a gagné, voilà quelques années, dans une fête foraine.
Je le connais assez pour savoir qu'il n'est pas superstitieux. Mais j'ai beau lui demander quelle était la signification de ce fétiche, il n'a jamais voulu me la dévoiler.
Je la soupçonne.
Mais je ne vous le dirai pas.
Georges Perec a, par touches successives, proposé une image neuve de l'écrivain, artisan plutôt qu'artiste, chercheur-expérimentateur autant que littérateur. Le public des lecteurs a perçu en lui un visage fraternel de l'auteur, redevenu, tel le scribe de jadis, « homme de lettres » stricto sensu, laissant ouverte la porte de son atelier, livrant généreusement quelques recettes de fabrication, souriant courtoisement à tous.
En cette oeuvre-monde qu'est La Vie mode d'emploi, Perec a fait place à la « somme d'événements minuscules, inexistants, irracontables » qui s'y déroulent et à « la vie tranquille des choses » : « il y aurait dans chaque pièce les gens qui y avaient vécu et les gens qui y vivaient encore et tous les détails de leur vie, leurs chats, leurs bouillottes, leur histoire... ».