Depuis que le destin lui avait enlevé sa femme, il faisait partie de la caste inférieure.
Elle avait toujours été heureuse. Même avec moi. Peut-être pas toujours, bien sûr, le bonheur n'est pas un état permanent, sinon on ne pourrait pas le ressentir comme du bonheur; il semble que seul le malheur soit un état permanent.
C'est bien triste une brosse à dents toute seule dans son verre, et je ne compte plus les fois où il me manque une raison de m'endormir, une étreinte, un baiser, ou même une dispute pourquoi pas, bref quelque chose qui me permettrait de me tourner vers le mur et de sombrer en chien de fusil dans un sommeil béat ou révolté. (p24)
Voyez-vous, dit-il alors, vos statistiques ne me sont pas inconnues, je sais même que dans tout lit conjugal grouillent deux millions d'acariens, et une enquête plus étonnante encore m'a révélé qu'au bout de six ans de mariage les couples allemands ne se parlaient plus en moyenne que neuf minutes par jour, les couples américains quatre virgule deux minutes. (p16)
Dès sa publication, ce premier roman de Markus Werner a propulsé son auteur au rang des romanciers de langue allemande les plus remarqués aujourd'hui. Le succès de ce livre culte, d'une rare radicalité, ne s'est jamais démenti, alors même que cinq romans, tous traduits en français, sont venus confmner la maîtrise de l'écrivain. Dans leur singularité, tous les héros de Werner ont quelques points communs: confrontés à un moment où leur vie semble basculer, ils font preuve d'un nombrilisme à la fois désopilant et désespéré, et rêvent de partir. Zündel s'en va, avec son héros pitoyable, désenchanté, titubant et chaplinesque, propose la meilleure entrée dans l'univers tragi-comique de Markus Werner.
Né en 1944, Markus Werner vit aujourd'hui à Schaffhouse. Ses romans lui ont valu de nombreux prix en Autriche, en Suisse et en Allemagne.
Zündel s'en va. Traduit de l'allemand par Marion Graf. Zoé, 160 pages