Les lecteurs comme toi aiment les histoires qui sentent la poussière d’os.
Certes, tout tient à la mémoire et à la santé, mais quoi qu'il puisse arriver, le futur se résume à une incertitude limitée dans le temps, qui s'achèvera obligatoirement sur une certitude.
Il écoutait le grabataire avec compassion. Il comprit alors une chose qu'il n'avait fait qu'entrevoir avec le fils : lorsque l'angoisse tenaille la chair, l'esprit se met en quête de liberté et la langue se délie pour admettre la complexité de la vie et sa cruauté.
Un jour, particulièrement enflammé, il raconta un évènement qui s'était produit aux abords de l'Islande: un des plus gros vaisseaux militaires du monde avait été coulé et plus de cent soldats s'étaient noyés.
Vous vous rendez compte, s'émerveilla le vieux. Jamais on n'aurait imaginé accomplir une telle prouesse quand j'étais petit. A cette époque, pour prouver sa valeur, il suffisait d'escalader la falaise et d'aller y chercher les œufs.
Quand on se noie, on se sent bien. On a l'impression de rentrer chez sa mère qui aurait changé le linge de lit en mettant un drap et une housse de couette d'un blanc immaculé, ainsi qu'une taie d'oreiller brodée de fil bleu avec écrit : "doux rêves". Un homme qui se noie redevient un enfant.
L'attitude des Islandais le surprenait également. Ces derniers avaient tout le mal du monde à se mettre à l'écoute de leurs perceptions et à trouver les chemins intérieurs qui leur crevaient les yeux alors même qu'ils étaient en quête d'une nouvelle vision du monde.
- Enfin, les touristes anglais sont plutôt radins, répondit-elle
Le gamin balaya ces paroles d'un revers de main. Il portait sur ses visiteurs un regard différent.
- Ces intellectuels anglais ont quelque chose de particulier avec leur côté négligé et leurs vêtements déformés qui font autant de plis que la peau de leur visage, ajouta-t-il.
- Qu'ils soient difformes à l'intérieur et à l'extérieur ne les empêche pas d'avoir des oursins dans les poches, rétorqua la patronne.
Son unique perception se résume à cela : il est vide. Il ne ressent plus la faim. Il se sent vide à l'intérieur, en proie à un malaise d'origine imprécise. Tout se confond en apathie, somnolence et silence. En dépit de son épuisement, il n'a pas envie de mourir. Il souffre d'un entêtement à vivre qui tient plus de l'habitude que d'un véritable désir.
Il savait d’expérience que le monde était aussi beau que multiple, mais ne se sentait nulle part aussi bien que dans cet endroit désert, abrité dans une ancienne grotte à moutons, au milieu d’un champ de lave.
Au loin, les convois de navires passaient, fantomatiques, dans la quiétude du soir, écrivant la réalité noire de la guerre avec la fumée de leurs cheminées sur la voûte céleste.