J’ai hésité quelques secondes devant la porte de l’appartement qui a encore le nom d’une autre personne. Deux pièces vides qui donnent sur la rue et une pièce tout aussi vide donnant sur la cour. Le plancher a grincé sous mes pas, des pas qui résonnaient. J’ai eu le sentiment de déranger. Déranger quoi ? Le vide, l’absence en soi.
Son regard se posa sur le petit livre gris qu’il avait pu emprunter. Le Poids de la poussière. C’était bien trouvé. Les grains de poussière ne se remarquent pas, et on ne les voit pas parce qu’ils sont tellement microscopiques et parce que, au début, la couche de poussière est transparente si l’on ne possède pas de surmoi à retardement. Si l’on n’a pas peur de sombrer socialement, et si l’on ne voit pas le ménage comme un rempart. Combien d’années faudrait-il pour que la poussière se fasse sentir sur un pèse-lettre ?
La vérité contraire aux faits n’existe pas. La vérité est toujours concrète, comme l’écrivait Bertolt Brecht, et seuls les constats en question sont concrets.
Comme tous les enfants, Francesco espérait surtout que les disputes entre ses parents n’étaient qu’un orage passager, et non la vérité de leur relation.
L’ennui, c’est un autre mot pour désir.
De même que la Terre avait une atmosphère d’oxygène qui conditionnait toute la vie, la vie humaine possédait également une atmosphère. Celle-ci s’appelait imagination ou faculté de conception et, comme l’oxygène, elle était une condition de notre respiration, dans son acception intellectuelle. Les sceptiques avaient raison quand ils disaient que l’amour était le produit de l’imagination, puisqu’il n’avait pas d’existence en lui-même, en dehors de notre conscience, mais ils se trompaient quand ils en concluaient qu’il pouvait être mis au rebut comme illusion. Parce que tout ce qui était important pour l’homme au-delà de la simple survie, tout ce qui nous distinguait des animaux, tout cela n’existait que grâce à nos représentations.
Qui l'on est a-t-il tant d'importance? En tout cas, qui l'on semble être a encore moins d'importance. Mais, sur le moment, dans le passage coloré et bruyant du temps, il peut y avoir une certaine ivresse à faire peau neuve.
J’ai réfléchi à ce qu’elle avait dit alors que je revenais de l’Île aux Musées en direction de Checkpoint Charlie. Je n’arrivais pas à saisir ce que je ne comprenais pas. J’ai jeté des coups d’œil aux différents éléments de socialisme réel que je croisais en chemin. Les nuances toujours grises des voitures, comme si un éclat de couleur était l’expression de la décadence bourgeoise tardive. Les piétons qui ne se distinguaient pas immédiatement des piétons de l’autre côté du Mur, sauf que leurs vêtements n’étaient pas aussi chic. Étaient-ils plus ou moins heureux ? Je ne savais qu’en penser. Que m’aurait-il fallu savoir pour le découvrir ? Y avait-il un homme pour le savoir ?
C’est un des mythes de notre époque émancipée qui veut qu’une bonne vie sexuelle sauve tout.
Parfois je me demande ce qu'est une histoire. Il y a peu de choses qui se passent dans mes livres parce que les événements essentiels se passent à l'intérieur des personnages, dans leur vie sentimentale. La rencontre érotique dans un hôtel est emblématique de ce à quoi je reviens toujours dans mes romans : la fugacité des relations. On peut se séparer, on peut se rencontrer, on a cette liberté par rapport à d'autres générations avant. La nécessité sociale qu'était le mariage, autrefois, n'existe plus et donc nous avons la possibilité de rompre. Tous les personnages dans mes romans ont cette conscience que tout est provisoire et que tout peut basculer en un instant.