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Payot - Marque Page - Herbjorg Wassmo - Ces instants-là.
Les sons du violoncelle traversaient les portes, les fenêtres et les fentes. Se mêlaient aux rafales de vent qui allaient et venaient'. .
La pluie était une harpe d'eau qui jouait sa propre mélodie.
Comment est-ce possible ? Des arbres qui restent là, au même endroit, et poussent jusqu'au ciel ?
Pendant cent ans.
Ils poussent et ils poussent.
Ils sont secoués par le vent qui siffle dans leurs branches.
Grands-parents et petits-enfants meurent, les grands arbres, eux, restent.
Ils perdent leurs feuilles et il en pousse de nouvelles.
Les grandes branches s'étirent en hauteur. Les racines plongent en profondeur.
L'arbre sort de la terre et s'étire toujours plus haut, pour l'éternité.
Un jour, ignorant qu'il y avait une différence entre l'eau de la mer et celle de la rivière, Tora avait bu de l'eau salée.
Elle n'en avait ensuite jamais oublié le goût.
Un goût qui lui avait fait redouter les bains de mer.
Elle préférait les trous dans la rivière, même si l'eau y était plus froide. Et, lorsqu'elle apprenait que quelqu'un s'était noyé en mer, le goût salé et nauséabond lui revenait dans la bouche.
Ainsi savait-elle un peu ce que c'était de mourir.
Ceux qui assistèrent Elisif cette nuit-là racontèrent ensuite qu'ayant eu à souffrir des heures durant [son accouchement], elle n'avait cessé de prier. Elle avait prié pour obtenir un grand garçon bien constitué qui ferait honneur à Dieu et pourrait ainsi devenir missionnaire afin d'aller convertir les païens.
Mais, vers les six heures du matin, un cri de bête vint déchirer l'air et se vriller dans toutes les têtes de la maison des Mille. Chacun se mit à supputer.
C'était Elisif qui, n'arrivant plus à se contenter de l'aide céleste, s'abandonnait au seul recours qui lui restait. Le cri originel. Le premier cri véritable de l'histoire universelle. Le hurlement arraché à un être dans la détresse, abandonné de Dieu, seul avec sa douleur. Le combat auquel les livres n'accordent aucune importance particulière parce que la vie nouvelle n'est pas le fait des grands généraux.
Je suis Dina. Les humains sont tellement passifs. La nature est indifférente. Gaspille tout ce qui est vivant. N'endosse aucune responsabilité. Laisse tout s'accumuler comme de la boue à la surface. Comment de nouvelles vies arrivent-elles à naitre de cette boue? La boue engendre la boue à l'infini, sans que rien d'important n'arrive. Si seulement un seul être humain s'était relevé de cette boue et avait fait quelque chose de sa vie! Un seul...
"Il en va du mariage comme des cornichons trop fades! Il faut un morceau de viande bien épicé en-dessous pour les faire avaler!"
C'était dehors qu'elle était le plus souvent le mieux.
La vie y était d'une tout autre nature. On pouvait courir ! courir loin de tout.
Par mauvais temps, quand le vent soufflait assez fort, elle avait l'impression de voler. Il lui suffisait de courir spécialement vite et de sauter spécialement haut pour immédiatement se transformer en Tora volante.
Fritz Jensen était allé chercher le livre et s'assit confortablement dans le meilleur
fauteuil du salon. Puis sa voix s'éleva dans la pièce, transformant tout ce qu'elle contenait. Les meubles et les gens. Tout disparut aux yeux de Sara Susanne.
L'heure bleue était alors passée au blanc brumeux et les bruits de la ferme se transformaient en bourdonnement léger. Les ombres s'estompaient dans les coins comme des esquisses sur un vieux parchemin. Elles renfermaient des odeurs
Quand le commissaire fulminait au-dessus de la tête baissée de Lorech parce que Dina, après trois ans d'enseignement ininterrompu, ne savait toujours pas lire autre chose que la bible de Hjertrud, elle ouvrait alors la porte de sa chambre, plaçait le violoncelle entre ses cuisses et laissait la musique des psaumes préférés de son père déferler sur le bureau. Cela ne manquait pas de faire son effet.